Avec l’aimable autorisation de l’auteur, Jean Marc Deplaix, de l’école supérieure des transports de Paris, France, nous publions son étude sur « Trafic et part modale de la voie d’eau dans le transport de conteneurs en Europe ».
Trafic et part modale de la voie d’eau dans le transport de conteneurs en Europe
English version available at aftm.free.fr
Par Jean Marc Deplaix, Ecole Supérieure des Transports de Paris, France jm.deplaix@gmail.fr
Résumé
La présente étude sera la dernière publiée avec le niveau de détail habituel.
Eurostat publie désormais un tableau qui donne des résultats très voisins de ceux élaborés ci-dessous, et qui devront suffire pour les chercheurs. Il paraît donc inutile de poursuivre la présente publication, qui requiert des efforts qu’il ne m’est plus possible de continuer bénévolement.
L’activité du transport fluvial de conteneurs en Europe, qui a dépassé en 2018 7 millions d’Equivalents Vingt Pieds (EVP), est très fortement liée à l’acheminement des conteneurs dits « maritimes », en liaison avec les grands ports de mer. Elle se concentre donc essentiellement sur le Rhin, lui-même découpé en deux entités, le Rhin traditionnel, à l’amont de la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas, et les Bouches du Rhin, recouvrant la Belgique, les Pays-Bas et certains trafics du Nord de la France.
La caractéristique du trafic des Bouches du Rhin, qui dépasse 4,2 millions d'EVP, est sa faible distance moyenne de parcours, très en deçà de ce que l’analyse économique suggère d’habitude, preuve de l’ingéniosité des offres du fluvial. L’activité sur le Rhin traditionnel regroupe des flux en provenance ou à destination des ports de mer, vers l’Allemagne, la France et la Suisse, auxquels viennent s’ajouter quelques flux intérieurs au bassin rhénan. Il dépasse les 2,1 million d'EVP. Enfin, le trafic non-rhénan français (0,4 MEVP) a dépassé sensiblement le trafic non-rhénan de l’Allemagne (0,2 MEVP), même si ce dernier a beaucoup augmenté en 2018.
Quant à l'avenir, avant que la crise ne freine le mouvement, on pouvait raisonnablement penser que le trafic serait d'au moins 7 millions d'EVP dès 2010. Il a fallu attendre 2017 pour cela, malgré un sensible rebond dès le lendemain de la crise de 2009. A noter que 2019 semble montrer un très beau dynamisme.
I. Trafic fluvial ouest-européen de conteneurs
En l’an 2000, le transport de conteneurs sur les voies d’eau européennes avait atteint pour la première fois 3 millions d’EVP. Il avait atteint 4 millions d’EVP en 2004, 5 millions en 2006, 6 millions en 2010. Il lui a fallu cependant plusieurs années pour franchir la barre des 7 millions d’EVP, du fait de la crise larvée des années 2010, et les 8 millions d’EVP attendront les années 2020.
Un léger ralentissement de la croissance du trafic conteneur, correspondant aux basses eaux ou aux à-coups de la conjoncture économique, a pu être observé en 2002, 2003, 2009, 2015 et 2018. Cependant, le trend de la croissance se confirme, légèrement plus faible sur le Rhin : 2018 est la meilleure année dans les Bouches du Rhin, et globalement 2018 reste la 2ème meilleure année, malgré les basses eaux catastrophiques.
Sources : Eurostat, Destatis, CBS, VNF
La courbe est spectaculaire. Elle a été à peine freinée en 2009 car l’effet de la crise commencée au 4ème trimestre 2008 a été contrebalancé par l’obtention d’une meilleure part modale, grâce à une moindre saturation des terminaux maritimes et à la mise en service de nouveaux terminaux dédiés au fluvial. Par contre, l’activité économique en dents de scie de la décennie 2010 a entrainé une croissance ralentie du trafic fluvial de conteneurs, bien loin des quasi-doublements en 5 ans constatés depuis 1990.
La série "Observation du marché de la navigation intérieure européenne" de la Commission Centrale pour la Navigation sur le Rhin (CCNR) donne davantage de détails sur la croissance de l'activité conteneurs dans les divers secteurs du Rhin au fil des ans. On s’y reportera avec fruit.
Les particularités méthodologiques du présent travail ont été exposées dans un ancien article (NPI, 31/12/2003), on ne les répétera pas ici.
II. Analyse par entités géographiques
L’activité du transport de conteneurs en Europe est très fortement liée à l’acheminement des conteneurs dits « maritimes », en liaison avec les grands ports de mer. Elle se concentre donc essentiellement sur le Rhin, lui-même découpé en deux entités, le Rhin traditionnel, à l’amont de la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas, et les Bouches du Rhin, parfois appelées Delta dans les tableaux qui vont suivre.
On traitera tout d’abord du Port d’Anvers, qui participe à ces deux entités statistiques. Sa croissance a été la plus spectaculaire dans les années récentes, et est la mieux connue.
II.1. Anvers
La part modale de la Voie d'Eau y dépasse 36% depuis 2013, avec une pointe à 38% en 2014. Le nouveau Plan Directeur du Port voudrait que, en 2030, le Rail augmente jusqu'à 15% et que la Voie d'Eau dépasse la Route avec 42%. L’ancien prévoyait 20% pour le rail dès 2020 et l’égalité route-voie d’eau à 40% à cette date. La situation actuelle semble un peu figée du fait de la faible croissance du rail, alors que la voie d’eau est effectivement sur une pente ascendante, simplement freinée par les basses eaux du Rhin et la congestion des terminaux, qui défavorise le fluvial. On a vu en particulier la réapparition de surcharges fluviales pour congestion à Anvers, tout comme à Rotterdam d’ailleurs.
La série d’Anvers comprend d’une part une activité de et vers le Rhin traditionnel, c’est à dire les ports situés à l’amont d’Emmerich-Lobith, et de l’autre le trafic échangé avec Rotterdam et le reste des Pays-Bas, qui, lui, fait partie des statistiques des Bouches du Rhin. Viennent s’y ajouter une certaine activité intraportuaire, ainsi que le transport d’Anvers vers le reste de la Belgique et le Nord de la France.
Source : Port d’Anvers, et estimations AFTM, fondés sur des données d’AVV & du Port d’Anvers.
On voit que le trafic entre Anvers et Rotterdam, après une très forte croissance en 1997-98 (+40% en deux ans), a tendance à stagner, voire même à baisser, alors que celui entre Anvers et le Rhin traditionnel augmente nettement jusqu’en 2008 ainsi que celui échangé avec le reste de la Belgique & le Nord-Pas de Calais, au point que ce dernier trafic, qui a repris sa croissance, dépasse désormais le trafic Anvers-Rotterdam.
Sur la liaison Escaut-Rhin, alors que le trafic de conteneurs se répartissait en 1995 à raison d’un tiers vers l’Allemagne et deux tiers vers Rotterdam, le trafic Anvers-Pays-Bas n’atteint plus désormais le tiers du total (28% en 2018). Ici encore, on constate l’influence des basses eaux du Rhin. Par ailleurs, l’autre grand port des Bouches du Rhin, Rotterdam, impose aux amodiataires de la nouvelle Maasvlakte de recourir au transport fluvial pour 45% des transports vers l’hinterland à l’échéance 2035.
En fait, les chiffres d’Anvers, tout comme ceux de Rotterdam, ne peuvent pas être inclus tels quels dans les statistiques, car ils participent tant à l’activité du Rhin qu’à celle de son Delta, et certains flux seraient comptés deux fois. La part de chaque type de flux de chacun de ces deux ports doit donc être isolée et est reportée séparément dans chacun des deux ensembles étudiés ci-après.
II.2. Transport de conteneurs dans les bouches du Rhin
Le transport de conteneurs dans les Bouches du Rhin est devenu depuis 1997 le plus important trafic de conteneurs en Europe. Il concerne l’activité dans le Delta, à l’aval d’Emmerich-Lobith, et regroupe les échanges entre les Pays-Bas, la Belgique et la France ainsi que les trafics intérieurs néerlandais et belge, plus le trafic vers l’Allemagne par le Dollart. On y note en particulier le trafic entre Rotterdam et Anvers, ainsi que la forte croissance du trafic intérieur des pays du Benelux.
Ce dernier transport, à courte distance, s’est vivement développé dans les dernières années, et existe aujourd’hui dans tous les coins de ces pays. Il y a même depuis 1997 des échanges de terminal à terminal, sans toucher ni Anvers ni Rotterdam, avec de nombreuses ouvertures de terminaux : dès 2009, près de 15% du trafic conteneurs du Canal Albert étaient des échanges entre terminaux autres qu’Anvers.
Enfin, s’il est vrai que le trafic des Pays-Bas échangé avec Anvers ait connu par le passé une croissance spectaculaire, il montre une sorte de stagnation depuis l’an 2000, mais à un niveau fort élevé. La part des trafics non originaires de Rotterdam a beaucoup augmenté, passant de 13% en l’an 2000 à 45% en 2018.
La caractéristique du trafic des Bouches du Rhin est sa faible distance moyenne de parcours, très en deçà de ce que l’analyse économique suggère d’habitude. On voit ainsi que l’ingéniosité des offres du fluvial peut largement pallier d’éventuelles faiblesses théoriques, au point de suggérer à l’économiste de réviser ses grilles d’analyse, en y faisant entrer notamment des éléments de qualité, de régularité, de service..
Le très fort trafic intra-portuaire s’explique par la multiplicité des terminaux au sein même des grands ports de mer, ainsi que la présence dans les ports de très puissantes zones Industrialo-portuaires, également génératrices de ce type de flux. A Anvers, il semble que les conteneurs en transit dans le port soient comptés 2 fois. Le trafic intra-portuaire est d’un niveau sensiblement voisin dans les deux grands ports. On a donc pour simplifier multiplié par 2 celui d’Anvers.
II.3. Rhin traditionnel
L’activité sur le Rhin traditionnel regroupe des flux en provenance ou à destination des ports de mer, vers l’Allemagne, la France et la Suisse, auxquels viennent s’ajouter quelques flux intérieurs au bassin rhénan.
Pour estimer ce trafic, on dispose de plusieurs sources : L’une des plus intéressantes à observer est le passage à la frontière Germano-Néerlandaise (Emmerich-Lobith). Une estimation en EVP est disponible depuis 1994.
Après des débuts hésitants, sa croissance s’est emballée en 2004 La crise a provoqué un brutal retrait en 2009 qui a été effacé dès 2010, 2014 dépassant pour la première fois 2 millions d’EVP. Le trafic a augmenté jusqu’à 2,25 Mt en 2017, la baisse en 2018 étant largement due aux basses eaux du Rhin.
La courbe est la suivante :
Source : Destatis
Pour sa part, le trafic rhénan conventionnel inclut certains autres flux, internes au bassin rhénan en Allemagne, et les chiffres du tableau suivant ne peuvent donc correspondre totalement avec ceux à la frontière.
Ces chiffres portent cependant les mêmes stigmates de la crise, avec une très forte baisse dès le 4ème trimestre 2008, et une sortie de crise en 2010, suivi de 5 années pratiquement au même niveau. Dès 2014 la progression a repris, et 2017 a établi un nouveau record, avant que les basses eaux du Rhin n’interrompent cette progression en 2018.
On peut rappeler qu'une étude Planco de 1998 indiquait une prévision pour 2010, fort raisonnable, de 1,665 million d’EVP. Elle a été dépassée bien avant, dès 2004. Le record de 2017 s’établit autour de 2,4 millions d’EVP, tandis que la relative baisse de 2018 est concomitante aux très longues basses eaux du Rhin.
II.4. Trafic intérieur allemand
On voit que le trafic a progressé par bonds, tout d’abord en 2005. Cette année là, le trafic intérieur allemand a connu un pic qui n’a été battu qu’en 2010-2011, puis désormais 2018 en nombre d’EVP, même si le tonnage transporté a, lui, connu son pic en 2016.
On notera le faible poids moyen d’un Équivalent Vingt Pieds, comparé aux chiffres enregistrés dans les ports maritimes. En effet, 48% des conteneurs sont vides en 2018, ce qui traduit logiquement des repositionnements inéluctables.
Face à un tel chiffre, on comprend le danger d’utiliser des coefficients t/EVP uniformes, calqués sur le poids moyen maritime (11 à 12 t/EVP), sur toutes les destinations fluviales et même d’une année sur l’autre.
II.5. Trafic allemand non-rhénan
Il s’agit des bassins de la Weser, de l’Elbe, de l’Ems et du Danube, une fois retiré le trafic de ces bassins transitant par les Bouches du Rhin. Pour identifier avec précision le trafic non-rhénan, il faut vérifier donc la répartition par bassin des autres types de trafic.
Le trafic allemand non rhénan se limite à :
En effet, en ce qui concerne les trafics en transit, ils sont situés en totalité dans le bassin du Rhin. De même, les trafics d’import-export sont pour l’essentiel réalisés dans le bassin du Rhin. En ce qui concerne le « Westdeutsches Kanalgebiet », il inclut l’embouchure de l’Ems et enregistre plus de 65 000 EVP échangés avec l'extérieur, un tiers avec les Pays-Bas via l’Ems-Dollart, qui appartient aux Bouches du Rhin, le reste via le Rhein-Herne-Kanal (RHK), qui se rattache au Rhin traditionnel.
On peut noter que l’Elbe, après une belle croissance, puis une longue stagnation, retrouve des niveaux proches de son record de 2008. La Weser, après avoir stagné, a connu une évolution très positive, dépassant même souvent l’Elbe, avec un pic à près de 92 000 EVP en 2012. Le Mittelland Kanal a presque que doublé par rapport à 2008. Enfin, le trafic international non-rhénan a diminué fortement, au point de disparaître en 2018. Globalement, le trafic allemand non rhénan a, pour la première fois, dépassé en 2018 les 200 000 EVP, largement.
Ces chiffres sont basés sur des passages portuaires, et ne sont donc pas directement comparables avec ceux du trafic global. Ils donnent cependant une bonne estimation de la localisation des flux, et permettaient ainsi une approche par défaut du trafic non-rhénan. La décomposition dont ils sont issus n’est plus publiée après 2010. Destatis a cependant l’amabilité de continuer à fournir cette répartition sur demande.
Enfin, la distinction entre trafic intérieur, trafic international et transit est parfois trompeuse. En effet, la destination finale des conteneurs ‘intérieurs’ transportés sur l’Elbe est souvent à l’étranger, mais le franchissement de frontière se fait en camion, pour des raisons non élucidées. Un phénomène du même type existe également sur le Rhin Supérieur, vers la Suisse et la France, du fait de la position frontalière de certains terminaux à conteneurs allemands (Germersheim, Weil, Kehl, Breisach, Wörth, etc.), ce qui diminue le transit tel que comptabilisé par Destatis et se traduit dans les statistiques douanières françaises par la route comme mode à la frontière, bien que l’essentiel du transport ait été fluvial.
II.6. Trafic français non-rhénan
La France, après avoir tardé à se lancer dans le transport fluvial de conteneurs, fait preuve aujourd'hui d'un dynamisme durable, doublant son activité par rapport à 2005. A noter le début d’un trafic régulier sur la Moselle, partie intégrante du bassin du Rhin.
En 2016, le trafic français non-rhénan a atteint un nouveau record (+12%), et stagne depuis à un haut niveau. La Seine reste le premier bassin en termes de trafic de conteneurs, dépassant de beaucoup le Rhin, qui se situe en-dessous de 150 000 EVP (et ne figure pas dans le tableau car il est compris dans le total rhénan). Le Rhône enregistre également de hauts niveaux d’activité, tandis que le trafic de conteneurs non-maritimes a continué sa croissance (à la filière valorisation s’est ajouté le trafic de Franprix) et que le trafic passant par Dunkerque et Zeebrugge s’est redressé depuis 2014 et va largement dépasser les 40 000 EVP en 2019.
Le tableau suivant donne la série française, hors Rhin et Bouches du Rhin, depuis l’ouverture du service sur la Seine et sa reprise sur le Rhône :
La novation le plus notable est sans doute l’amélioration de la desserte maritime de Dunkerque et la mutualisation de ses frais de passage, une mesure expérimentée dans ce port, qui, si elle se généralise aux autres ports français, peut laisser espérer une belle croissance de tous les trafics d’origine maritime.
A noter que 2019 devrait voir ces chiffres largement dépassés, avec une croissance à deux chiffres, atteignant peut-être pour la première fois 500 000 EVP.
III. Conclusion
Les prévisions les plus optimistes avaient été allègrement dépassées jusqu'à la crise de 2008. Si Anvers, dont le trafic actuel représente presque 40% du trafic européen, gagne son pari, en atteignant 40% de part de marché pour le fluvial en 2020, le chiffre pourrait être très proche de 8 millions d’EVP, bien au-delà du chiffre prévu par exemple par le Port de Rotterdam dans son Étude 2020.
A la suite de l'économie, le trafic fluvial de conteneurs a connu une certaine pause depuis 2008. Par contre, dans beaucoup de ports maritimes sa part de marché recommence à croître et pourrait dépasser bientôt les 40% pour ceux des Bouches du Rhin. De plus, le rebond espéré après les basses eaux du Rhin s’est pleinement réalisé.
Ceci compensant cela, on peut espérer en 2019 entre 7,5 et 8 millions d'EVP.
ANNEXE I - Détails du trafic d'Anvers
Le chiffres ci-dessus utilisent une série statistique décrivant le trafic fluvial, en comptant chaque EVP pour 9 tonnes. Il semble en effet que le coefficient de passage entre tonnage et EVP utilisé par le Port donne des chiffres irréconciliables avec ceux des Pays-Bas. Quant à l’importance du trafic intraportuaire, il est provoqué en partie par un double compte : tous les bateaux faisant escale à Anvers sont comptés à l’arrivée, et à nouveau au départ : donc, tous les conteneurs en transit, qui ne devraient pas faire partie des trafics du port, sont comptés 2 fois, alors qu’ils ne sont généralement pas manutentionnés du tout !
ANNEXE II
A noter la croissance extraordinaire des flux intérieurs néerlandais entre 2007 et 2018 !
ANNEXE III - Trafic des conteneurs en Allemagne – année 2018