Biomasse, pellets de bois, gaz, CO2 liquéfié et autres « nouveaux » produits ou « nouvelles » énergies constituent des relais de croissance pour les ports maritimes qui voient décliner lentement mais sûrement leurs trafics de charbon, pétrole... Compte-rendu d’une table-ronde du premier jour des Assises du Port du futur 2022.
« Il y a un déclin continu des produits pétroliers dans les ports depuis plusieurs années. La tendance peut s’accélérer dans la suite de la décision d’interdire la vente de voitures neuves à moteur thermique dans l'Union européenne à partir de 2035 : ce serait 34 millions de tonnes de produits pétroliers qui disparaîtraient. Avec la fin de l’installation d’équipements neufs fonctionnant au fioul pour le chauffage, c’est 4 millions de tonnes en moins. Ce n’est toutefois pas la fin totale ni du pétrole ni du gaz. Pour le GNL, une énergie de transition, cette année, on va atteindre des niveaux records d’importation, sans doute environ 28 millions de tonnes à la fin décembre 2022, on était déjà à 20 millions de tonnes le 10 septembre », a expliqué Marc Dunet, directeur régional Bretagne de Total Energies lors d’une table-ronde le premier jour de la 12ème édition des Assises du Port du futur le 4 octobre à Lorient. Le thème en était « déclin des trafics et activités industrielles d’énergies fossiles/carbonées, quels relais de croissance pour les terminaux portuaires ? »
Selon ce responsable de Total Energies, l’outil de raffinage dans les pays de l’Union européenne va devoir s’adapter à ces nouvelles donnes mais « cela ne signifie pas forcément fermeture des installations mais plutôt leur reconversion, comme ce qu’on a fait pour celle de La Mède où la biomasse remplace le pétrole, soit des flux différents mais qui existent ».
Biomasse et pellets
Parmi les relais de croissance pour les activités en déclin autour des énergies fossiles des ports, il y a donc les « nouvelles » énergies et autres « nouveaux produits » dans le contexte de la transition énergétique comme la biomasse ou le pellet de bois.
Pour ce dernier, le besoin est évalué par Marc Dunet à 2,5 millions de tonnes en France, dont 1 million doit être importé, « ce qui crée des flux et des besoins de terminaux pour les recevoir ». Une unité de stockage de vrac et d’ensachage de pellets de bois d’importation vient d’ailleurs d'être inaugurée par Total Energies sur le site rouennais de Sea Invest à Grand-Couronne.
Le responsable régional Bretagne de Total Energies a aussi rappelé que la « localisation de la production d’énergies renouvelables en France » peut aussi constituer une opportunité pour les terminaux portuaires disposant de plates-formes existantes à transformer pour s’adapter aux activités de l’éolien, du photovoltaïque, de l’hydrogène, des carburants de synthèse…
La problématique du charbon
David Lefranc, directeur de l’aménagement et de l’environnement au GPM de Dunkerque, a détaillé la chute du charbon dans ce port : de 8 millions de tonnes à 2 millions aujourd’hui et sans doute 1,5 million en 2030.
A Dunkerque Port, de « nouvelles » industries s’installent pour du ciment « vert » (sans clinker avec la société Hoffmann Green Cement) mais aussi des batteries. Pour celles-ci, c’est l’installation de la « gigafactory » Verkor sur un terrain de 80 ha, pour de premières batteries sortant de l’usine en juillet 2025. Les flux attendus sont à la fois des conteneurs et des vracs ; en amont, des minerais rares, en aval, le recyclage.
« Le charbon reste utile pour la sidérurgie et l’acier à Dunkerque », a souligné David Lefranc, un avis partagé par Nils Beneton, directeur général de Sea Invest, citant lui Marseille-Fos et ajoutant : « La baisse va toutefois continuer avec les évolutions des hauts fourneaux engagées par Arcelor Mittal vers l’électricité, en utilisant des ferrailles, en récupérant le C02…On voit ici que d’autres trafics vont remplacer le charbon ».
Ce responsable a lui aussi donné quelques chiffres : le charbon représentait environ 20 millions de tonnes en 2005/2007 puis a baissé à 12 millions au milieu des années 2010 et, depuis 3 à 4 ans, le trafic tourne autour de 8 millions de tonnes dans les ports français. « On devrait passer à 2 millions de tonnes à l’avenir, soit une division par 10 ».
Lui aussi a cité le potentiel de trafic que représente la biomasse (déjà 400 000 tonnes à Fos) ainsi que le gaz ou encore les déchets avec le développement d’une économie circulaire, les composants pour le ciment « bas carbone »…
Pour Nils Beneton, pour l’importation de ces « nouveaux » produits, il est important de miser sur le report modal, insistant sur « le cabotage européen, par exemple Bordeaux-Bayonne, Nantes-Dunkerque… ». Il se dit « sans inquiétude à la décroissance du charbon dans les ports français à condition d’être efficace et rapide afin de ne pas laisser les autres pays prendre les parts de marché et capter les nouvelles industries ».
Le besoin de foncier
Dunkerque Port est engagé dans la « décarbonation » des activités industrialo-portuaires avec des projets autour de l’hydrogène « vert » avec électrolyseur, le captage/stockage CO2, la production de carburants de synthèse, l’éolien, le photovoltaïque… Cela nécessite « des infrastructures de décarbonation » et donc du foncier disponible, dont ne manque pas ce grand port « qui prépare et va continuer à préparer des terrains » pour répondre à ces nouveaux besoins.
Le foncier est aussi un point évoqué par Nils Beneton, citant la législation « zéro artificialisation nette » et la nécessité désormais de travailler à récupérer et/ou convertir des terrains déjà utilisés, en prenant en compte tous les aspects de la domanialité publique.
Concernant l’hydrogène, ce responsable de Sea Invest a souligné que « la France prend davantage la voie de la production que de l’importation » (à la différence par exemple d’Anvers).
A propos du captage/stockage CO2 résiduel, qui peut être enfoui ou utilisé pour produire d’autres énergies, c’est aussi un gisement de trafics maritimes et portuaires. A ce propos, Marc Brunet a indiqué que tel serait le cas à Anvers à partir de 2025 avec un trafic de 800 000 tonnes de CO2 liquéfié (une technologie maîtrisé par Total Energie) qui seront transportés pour être enfoui dans les anciens champs gaziers de mer du Nord.
Plus loin dans le temps, cela pourrait représenter des dizaines de millions de tonnes de CO2 liquéfié à transporter en vue d’enfouissement, sachant qu’on pourra aussi aller le récupérer pour le réutiliser pour produire du e-carburant avec de l’hydrogène « renouvelable ». Les ports français peuvent donc aussi se positionner sur cette opportunité-là.
Pour Lamia Kerdjoudj-Belkaid, secrétaire générale de la Feport : « La crise en Ukraine et les récentes réorganisations des flux pour sortir le blé de ce pays ont fait comprendre aux responsables politiques européens que les ports sont des écosystèmes reliés à des réseaux multimodaux. C’est un point positif. Dans le contexte de la transition énergétique, ces écosystèmes portuaires vont évoluer vers autre chose qu’être un lieu de rencontre des différents modes de transport. Ils vont devenir des lieux de production avec une vocation industrielle différente de celle d’avant. Il faut toutefois pour y parvenir bien définir les rôles de chaque acteur de la communauté portuaire ainsi que la gouvernance ».