Les boucles de la Seine, le nouvel Eldorado industriel

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Le 22 novembre 2023, une convention a été signée entre Haropa Port et Verso Energy en vue de l’implantation d’une unité de production d’hydrogène bas carbone (par électrolyse de l’eau) et de carburants de synthèse à Grand Quevilly près de Rouen. Un projet de plus sur la partie normande de l’axe Seine en lien avec la décarbonation des sites industriels de la zone portuaire.

Crédit photo ©Haropa Port / Jean-François Damois

Décarbonation, recyclage, transition énergétique… de nouvelles industries s’implantent le long de l’axe Seine, plus particulièrement autour de Port-Jérôme. Ce haut lieu du raffinage et de la pétrochimie s’insère désormais dans une zone industrielle « bas carbone ».

Dunkerque, Marseille-Fos, Haropa, Nantes-Saint-Nazaire… Les principaux ports industriels français sont appelés à se transformer en « ZiBaC ». Ce sigle, acronyme de « zone industrielle bas carbone », est synonyme d’émissions de CO2 réduites. Diminuer les gaz à effet de serre sur ces sites qui en sont les plus producteurs serait un grand pas en avant vers la réalisation de l’objectif d’émission zéro en 2050.

Pour les ports des boucles de la Seine, où le raffinage et l’industrie pétrochimique sont des activités majeures, c’est le 2 avril 2023 que le gouvernement a révélé que la zone industrialo-portuaire qui s’étend du Havre à Rouen était lauréate de l’appel à projet « ZiBaC », lancé en 2022 dans le cadre de « France 2030 ». Cette annonce a été officialisée fin juillet, avec à la clé un financement de 15 M€ pour des études sur la « décarbonation » à lancer en coopération avec l’Ademe.

Les trois plates-formes normandes concernées

La « zone industrielle bas carbone » s’étend sur les trois plateformes industrielles de Rouen, du Havre et de Port-Jérôme. Au total, 33 études devraient être lancées, certaines dès l’automne 2023. Réseaux d’échange de chaleur ou de déchets, production de carburants de synthèse, nouvelle filière pour l’hydrogène renouvelable ou encore capture et stockage du CO2 : les projets ne manquent pas pour « décarboner » les industries établies le long de la Seine. Parmi les études prioritaires figure la « trajectoire », qui déterminera les hypothèses d’émissions des industries de la ZiBaC en 2030, 2040 et 2050 selon les projets mis en œuvre.

« L’écologie industrielle, avec la valorisation et l’échange de déchets ou de chaleur entre sites industriels, est un sujet que l’on veut pousser dans le cadre de la ZiBaC », déclare Élise Laperdrix, responsable du développement de l’association industrielle Upside boucle de Rouen, qui œuvre à la fois pour la décarbonation de l’industrie, pour l’écologie industrielle et pour la sécurité et l’acceptabilité d’une activité économique souvent perçue comme source de nuisance ou de danger par les riverains.

« La gestion de l’eau et le développement du photovoltaïque sont aussi au programme, poursuit-elle. Au Havre et à Port-Jérôme, c’est surtout la récupération de CO2 qui est mise en avant. Les études menées sur la réduction des émissions et la captation de carbone par les gros émetteurs vont aussi servir aux plus petits industriels ».

Composer avec la baisse des importations de pétrole

Le port, avec les associations d’industriels, a naturellement un rôle à jouer dans la mise en œuvre de ces solutions d’écologie industrielle.

« Le réseau de chaleur du Havre, par exemple, avait été initié par le port et ce sont les industriels qui le gèrent aujourd’hui, rappelle Kris Danaradjou, directeur général adjoint de Haropa Port. Le port est là notamment pour réunir les gens autour de la table et mettre à disposition le foncier nécessaire lorsqu’un réseau doit être créé ».

Haropa Port se doit aussi de composer avec la baisse des importations de pétrole liée à la transition énergétique, qui signifie moins de recettes au titre des droits de port. « Cette réduction des flux, nous l’avons anticipée, mais nous ne pouvons pas prévoir le rythme de la baisse, reconnaît Kris Danaradjou. La force de Haropa Port, c’est d’avoir des sources de revenus très différentes avec par exemple les transports de conteneurs, ou encore les céréales. Les nouvelles implantations industrielles participent à la diversification des flux, et les revenus fonciers sont aussi très importants ».

La diminution des importations de pétrole brut au Havre est déjà une réalité, puisqu’elles sont passées de 37 Mt en 2004 à 19 Mt en 2022.

Mais l’industrie de l’axe Seine reste encore fortement carbonée, avec la présence de producteurs d’engrais (Yara, Borealis) et de pétroliers (Total, Exxon). Ces quatre acteurs se sont engagés dans un projet de récupération de CO2, qui sera acheminé par pipeline jusqu’à un site de liquéfaction qu’Air Liquide doit installer soit à Radicatel, soit au Havre. Le CO2 sera ensuite transporté jusqu’en Norvège pour stockage. Par ailleurs, la production d’hydrogène vert prévue par Air liquide profitera au process de la raffinerie Total.

Les transformations de Port-Jérôme

Ce projet est central dans le programme ZiBaC. Il est aussi révélateur de la transition énergétique. « Historiquement, nous sommes sur un territoire spécialisé dans la chimie et la pétrochimie. L’industrie dans son ensemble représente 36 % de notre PIB, contre 13 % en moyenne nationale », rappelle Gilles Carpentier, directeur de Caux Seine Développement, le bras armé économique de la communauté d’agglomération Caux Seine Agglo.

Port-Jérôme est le cœur économique de ce territoire, situé le long de la Seine, à l’amont immédiat de la zone portuaire et industrielle du Havre. L’activité s’y est développée, depuis 90 ans, autour du raffinage du pétrole brut. L’installation actuelle est issue de la fusion des groupes Exxon et Mobil en 1999 : la raffinerie Esso de Port-Jérôme, créée en 1933, ne fait désormais plus qu’une avec la raffinerie Mobil de Gravenchon. L’ensemble occupe une surface de 800 ha, que jouxtent 200 ha occupés par d’autres entreprises liées à cette activité pétrochimique.

Depuis une quinzaine d’années, le port de Rouen, puis Haropa Port, ainsi que la communauté de communes Caux Seine Agglo ont développé Port-Jérôme 2, sur une superficie de plus de 400 ha. Les réserves foncières réunies par le port et l’agglomération constituaient, il y a encore cinq ans, les superficies disponibles les plus importantes le long de l’axe Seine. C’est désormais du passé, car toutes ces surfaces ont fait l’objet d’implantations industrielles ou ont été réservées pour des projets en cours de développement (voir encadré). 

Du foncier disponible

La transformation des industries laisse cependant des terrains inutilisés, parfois au cœur de l’emprise de la raffinerie. « L’industriel qui ferme une unité a intérêt à laisser ces dents creuses, alors que la collectivité souhaite reconstruire l’usine sur l’usine, comme on reconstruit depuis toujours la ville sur la ville, poursuit Gilles Carpentier. Pour cela, nous échangeons davantage avec les entreprises qu’auparavant, et travaillons avec Haropa pour proposer aux sociétés souhaitant s’implanter un panel de solutions .»

La mise à disposition de foncier en réutilisant les friches est aussi une préoccupation de Haropa Port. « Nous avons encore du foncier disponible, mais nous devons surtout dorénavant travailler sur les friches industrielles, qui ne sont pas les plus faciles à commercialiser, estime Kris Danaradjou. Sur Le Havre, nous avons encore des parcelles de plus de 30 ha et même de 100 ha, adaptées à des gigafactories, ce qui est assez exceptionnel pour un port du Nord de l’Europe. À Port-Jérôme, nous disposons de terrains au bord à voie d’eau et Caux Seine Agglo des terrains en deuxième plan, à qui nous pouvons fournir un bon accès aux installations portuaires en fonction de leurs besoins ».

Zéro artificialisation nette ?

Avec la fin de la disponibilité foncière sur le site de Port-Jérôme, Haropa et Caux Seine Agglo projettent déjà une zone Port-Jérôme 3, où 500 ha sont prévus, dont la moitié en compensation écologique. Ces terrains seront disponibles pour de futures implantations industrielles, à un horizon de dix ou vingt ans.

Un projet qui va à l’encontre de la loi Zéro artificialisation nette ? Pas vraiment, puisque la législation prévoit plusieurs décomptes pour la transformation des sols. D’une part, les terrains portuaires sont hors ZAN. D’autre part, les projets s’inscrivant dans la transition énergétique sortent du décompte local, considérés comme d’intérêt national.

Hydrogène bas carbone

Tout récemment, le 22 novembre 2023, c’est l’implantation d’une unité de production d’hydrogène bas carbone par électrolyse de l’eau et de carburants de synthèse qui a fait l’objet d’une convention sur un terrain appartenant à Haropa Port Rouen et situé sur la commune de Grand-Quevilly à la limite de Petit-Couronne. La mise en service de l’unité est annoncée d’ici 2029.

Le projet de Verso Energy prévoit :

  • une production d’hydrogène par électrolyse de l’eau pouvant atteindre une capacité de 350 MW, soit un volume de plus de 50 000 tonnes d’hydrogène par an, pour un montant d’investissement de l’ordre de 500 M€.
  • une unité de production de carburants de synthèse à partir de CO2 capté et valorisé.

 

A Port-Jérôme, des investissement industriels massifs

Sur le seul site de Port-Jérôme, entre Rouen et Le Havre, plusieurs implantations industrielles majeures concentrent à elles seules 2 Mds€ d’investissement.

  • C’est la société américaine Eastman Chemical qui prévoit l’investissement le plus conséquent, avec 1,2 Md€ consacré à la construction de la plus importante usine mondiale de recyclage du polytéréphtalate d'éthylène. Plus connu sous ses initiales PET, ce plastique est celui dont sont composées en particulier les bouteilles transparentes. Les 200 000 t traitées chaque année ne subiront pas un recyclage mécanique, par lequel on obtient un PET de moindre qualité, mais un recyclage chimique qui permet de revenir à la molécule de base et offre en sortie un PET conservant les propriétés initiales.
  • Le groupe belge Futerro investit 600 M€ pour une usine de production de bioplastique à partir de blé, utilisant chaque année 300 000 t de céréales. Les sous-produits de cette industrie seront aussi valorisés : si le sucre du blé fournit du plastique PLA, la protéine du blé ira à l’industrie agroalimentaire. Restera un déchet dont on extrait du gypse, et un autre qui sera méthanisé pour alimenter l’usine en énergie. Ce qui sort du méthaniseur sera ensuite traité par une autre entreprise, dont l’installation doit être annoncée en fin d’année et qui doit aussi traiter des déchets issus de la fabrication de biocarburant par Tereos.
  • Plastic Energy, entreprise britannique, va installer une unité de recyclage de polyéthylène (PE), un des plastiques les plus utilisés représentant la moitié des volumes d’emballages produits dans le monde. Cette installation sera la plus importante au monde pour le recyclage de ce matériau. Les 40 000 t d’huile ainsi obtenues seront livrées à Exxon, servant de substitut à l’intrant pétrole dans le processus du raffineur.
  • Air Liquide, enfin, investit 250 M€ dans son électrolyseur Normand’Hy, qui doit permettre de produire chaque année 26 000 t de dihydrogène. Au total, ces quatre nouveaux projets majeurs pour Port-Jérôme comprennent la création de 3 500 emplois.

 

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