Sans grande surprise, les résultats de trafics du Grand port maritime de Marseille-Fos pour l’année 2023 sont en berne, compte tenu des « vertiges mondiaux », selon les mots de Christophe Castaner, président du conseil de surveillance lors de la conférence de presse annuelle organisée le 18 janvier 2024, rappelant que c’était la deuxième fois qu’il se pliait à cet exercice et attendait de savoir si son mandat allait être renouvelé dans quelques semaines. Les progressions de 2022 et 2021 ne se renouvellent donc pas une troisième fois.
Contexte mondial. Marseille-Fos et ses activités, comme tous les ports, doivent composer avec le contexte international, l’instabilité géopolitique, la guerre en Ukraine et ses effets sur l’économie où s’inscrivent les flux maritimes et portuaires, la hausse de l’inflation, des taux d’intérêt, a listé ce responsable. Sans oublier, en Chine, la poursuite de la crise sanitaire au premier semestre 2023 et une croissance ralentit même si elle atteint +5%. Sont évoquées rapidement les mouvements sociaux français de 2023.
Au niveau européen. Les économies européennes pâtissent de cette situation mondiale entraînant également une baisse quasi généralisée des trafics des infrastructures portuaires du Vieux continent, « et Marseille ne fait pas exception », a ajouté Christophe Castaner.
Des défis. Pour le président du conseil de surveillance, dans ce contexte, Marseille-Fos doit relever trois défis :
- La réinvention de la zone portuaire en favorisant :
- la souveraineté pour laquelle les espaces maritimes ont un rôle central,
- la réindustrialisation,
- l’écologie devant « l’affaissement climatique ».
- L’intégration économique de l’axe Rhône-Saône-Méditerranée, en lien avec les ambitions portés au plus haut niveau de l’Etat mais aussi par les collectivités territoriales. « Marseille doit favoriser le fluvial en direction de Lyon et au-delà vers la Bourgogne mais aussi vers l’Allemagne, a dit Christophe Castaner, listant les actions « pour fluidifier les parcours, numériser le suivi des marchandises » ainsi que l’élaboration en cours d’un schéma directeur d’aménagement.
Selon ce responsable, ce défi à relever est « important d’un point de vue environnemental avec le fluvial, important pour le port dont le succès sera amplifié par la réussite de l’axe l’axe Rhône-Saône-Méditerranée ».
- L’intégration du port dans son territoire dont l’une des illustrations est l’ouverture programmée au printemps d’un Port Center dans le centre-ville de la cité phocéenne.
Ces défis constituent les réponses aux « vertiges » des crises mondiales qui se succèdent mais aussi au projet « Marseille en grand » du Président de la République Emmanuel Macron. Selon Christophe Castaner, il faut entendre par là « continuer à faire grandir les ports, construire une stratégie maritime et fluviale plus forte ».
Des investissements. La mise en œuvre des défis nécessite d’investir, ce qu’a fait le port en 2023 avec 76 millions d’euros et va continuer à le faire en 2024 avec un montant prévisionnel de 118 millions d’euros.
Les investissements doivent permettre de réaliser « la troisième révolution économique du port, la décarbonation. Il faut pallier la principale faiblesse de Marseille encore principalement basé sur le pétrole pour devenir un port multi-énergies », a relevé Christophe Castaner pour lequel « la décarbonation de l’économie portuaire est compatible avec le développement économique du port et sa diversification. C’est l’économie de demain » en ligne avec l’un des objectifs du plan stratégique du GPM de Marseille-Fos « un port vert au service de l’économie bleue ».
Sur les 118 millions d’euros, 57 millions sont ainsi orientés vers la décarbonation (+79% par rapport à 2023 après une augmentation en 2022 de +111%) tandis que 31 millions vont servir pour le développement des activités maritimes et à l’aménagement des bassins et des terminaux, 30 millions à la modernisation des infrastructures portuaires.
Il y a plusieurs projets de « décarbonation » :
- Carbon vise à construire une giga-usine de panneaux photovoltaïques,
- GravitHy prévoit la construction d'une usine de production de fer pré-réduit bas carbone,
- H2V Fos envisage la construction de plusieurs unités de production d'hydrogène par électrolyse de l'eau,
- l’éolien offshore (projet DEOS) consiste à construire une plateforme de 80 hectares, de 1 000 mètres de linéaire de quai à forte capacité à Fos-sur-Mer, des zones de stockages,
- l’électrification des quais (projet CENAQ).
Les résultats de trafics 2023
Il est revenu à Hervé Martel, directeur général et président du directoire, de détailler les résultats de trafic pour le port qui affiche un repli de 7% avec 71,9 millions de tonnes. « Un port ne se réduit pas à ses trafics », a immédiatement dit ce responsable qui met en avant le chiffre d’affaires à 210 millions d’euros (+11%), résultant de la « montée ne puissance des revenus domaniaux et d’une très forte dynamique sur l’activité voyageurs ».
Vracs liquides : la « parfaite stabilité » (0%). Rentes du premier port pétrolier français depuis 60 ans, les vracs liquides (60% du volume du port) affichent 41,1 millions de tonnes et n’ont rien gagné l’an dernier (0%) par rapport à l’année précédente, qui avait été un exercice en croissance (+5%),
Les trafics perdus en début d’année en raison des mouvements sociaux ont été partiellement rattrapés ensuite « grâce au dynamisme des raffineries », tirées par des marges élevées et qui ont tourné à plein régime. Plus de raffinage, moins d’importations. Les produits raffinés accusent en conséquence un repli de 8%. L’effet GNL n’a pas opéré cette année, même cause sociale cumulée avec des problèmes techniques.
Conteneurs : la sanction géopolitique (-13%). A Marseille, la boîte, trafic étalon pour un Grand port maritime, a enregistré une baisse significative, de -11% en tonnage et de -13% en EVP. Le marché chinois, première destination à l’import, a coûté cher aux terminaux de Fos. Un sort qui devrait être commun à l’ensemble des ports européens (voir article sur Anvers).
Quant au trafic de conteneurs à venir alors que la liberté de navigation est entravée en mer Rouge et que 90% des porte-conteneurs, selon les dernières données, ont déserté pour emprunter la route historique du cap de Bonne Espérance, les deux responsables à la tête du port concèdent avoir plus de questions que de certitudes :
- « A ce stade, on constate un rallongement du temps de transport de l’ordre de deux et trois semaines, ce qui engendre un décalage dans le programme des arrivées. Il n’y a pas d’effets massifs mais cela deviendrait un sujet de préoccupation si cela devait perdurer », estime Christophe Castaner.
- Dans tous les cas, la situation ne sera pas dans l’intérêt du port méditerranéen. « Les axes Nord-Sud seraient très sollicités et le port marocain [Tanger Med, NDLR] pourrait être appelé à monter en puissance sur le transbordement »
- « Sur un plan purement technique, ajoute Hervé Martel, le directeur du GPMM, la question est de savoir si les compagnies vont exploiter plus de navires (nécessaire si elles veulent maintenir leur réseau en l’état actuel, NDLR) et quel impact la réorientation des flux aura sur les taux de fret, déjà sous pression ». Il convient qu’il puisse y avoir, sur une période courte, des phénomènes de congestion.
Roulier : saison en demi-teinte (-9%). Avec 217 924 remorques traitées, le nombre d’unités a chuté de 9% l’an dernier par rapport à 2022 mais reste supérieur de 4% à l’année référence de 2019 (avant la pandémie).
Les mouvements sociaux ont, là encore, coûté quelques points au fret corse (-9%), que la saison estivale en demi-teinte n’a pas permis de compenser. Le Maghreb ne s’est pas mieux comporté (-8%), la production en Tunisie à la peine notamment sur les filières automobile, textiles et marchandises diverses, ayant joué un rôle dans cette perte de flux.
Plus étonnante, car dans un super-cycle depuis deux ans au niveau international, est la sortie de route du trafic de véhicules neufs. « Elle est liée à des problèmes de qualité de l’usine Renault en Turquie et à des organisations logistiques différentes, mais cela reste un marché très porteur pour la Méditerranée, au moins à court terme », nuance Hervé Martel.
Vracs solides : la sanction Arcelor (-24%). Reposant quasi-exclusivement sur les trafics du leader européen de l’acier, le segment (8,7 millions de tonnes en 2023) a perdu 2,7 millions de tonnes, payant chèrement la mise à l’arrêt du haut fourneau n°1 (depuis quatre mois) dans un contexte de baisse structurelle et conjoncturelle (inflation) de la demande européenne d’acier. Avec 5,8 millions de tonnes, les imports de matières premières d’ArcelorMittal sont à leur point bas (-22% par rapport à 2022, soit -1,7 millions de tonnes).
Passagers : « Extraordinaire dynamique ». C’est le seul trafic « dont la dynamique est au-delà des attentes » et qui échappe à la dégradation généralisée des flux. En 2023, le nombre de passagers a franchi le cap des 4 millions (+36%). Il résulte de deux embellies : la croisière (+76%) avec plus de 2,5 millions de passagers. La politique zéro-Covid en Chine, qui jetait ses derniers feux l’an dernier, n’est pas étrangère à cette performance, les croisiéristes repositionnant leurs paquebots sur la Méditerranée.
Au cours de l’année 2023, le nombre de passagers sur les lignes régulières a en revanche diminué de 2%, tiré vers le bas par le recul des lignes internationales. « Ce n’est pas un mauvais résultat mais un retour à la normalisation après le boom consécutif aux confinements ».
Le report modal toujours à la peine
« Les résultats ne sont pas très bons », note Hervé Martel, concernant le report modal et les parts des modes massifiés par rapport à la route. Il met en avant la conjoncture économique et la colère sociale des premiers mois de l’année 2023 (pertes et annulations d’escales). « On avait réussi ces dernières années à faire baisser la part de la route vers l’hinterland, mais les modes massifiés s’en sont bien moins tirés cette année ».
Le report modal fluvial de conteneurs est en effet en baisse de 14% mais le port maintient la part à 4,7%, mieux toutefois que l’équivalent par le rail (-22%) si bien que la part modale y perd quelques plumes, pour s’établir à 15,2% contre 16,9% en 2022. Finalement, tous modes confondus, le report modal reste ancré à 20% et la part de la route demeure écrasante.
Hervé Martel a toujours autant de mal à parler clairement du fluvial, et a donc évoqué moins longuement que Christophe Castaner les travaux sur l’axe Rhône-Saône-Méditerranée, « projet présidentiel ».
- « Effectivement le travail est engagé sur l’axe Rhône-Saône-Méditerranée. Sur la gouvernance, le Président de la République a demandé au ministre des transports d’y réfléchir ».
- « Nous travaillons sur le fond pour une planification du foncier, la numérisation soit une extension du CI5 pour les conteneurs, les vracs pour les trafics intra-bassin pour les ports intérieurs eu jusqu’au entrepôts, avec aussi des objectifs de simplification douanière ».
Lire aussi :
Le plan de progrès pour la relance du transport fluvial de conteneurs sur le Rhône