La Confédération suisse « entend renforcer le fret ferroviaire et fluvial sur l’ensemble du territoire », telle est la déclaration faite lors de la première réunion de cette institution en 2024, le 10 janvier, dont l’un des sujets à l’ordre du jour a concerné le projet de révision « totale » de la loi sur le transport de marchandises (LTM) adoptée en 2015.
Deux objectifs sont poursuivis avec cette révision : aller vers un système de transport de marchandises « décarboné » et garantir la sécurité d’approvisionnement du pays ainsi que le maintien des flux d’importation et d’exportation dans le contexte des crises mondiales successives (pandémie, guerre en Ukraine) et leurs conséquences dont une hausse des prix de l’énergie, des perturbations des chaînes logistiques.
Les travaux menés par les services de la Confédération sont présentés dans plusieurs documents qui permettent d'abord de mieux appréhender la situation actuelle du transport de marchandises en Suisse, les parts modales mais aussi les prévisions de croissance des flux.
Un état des lieux du transport de marchandises en Suisse
Deux piliers. Dans ce pays, les deux piliers du transport de marchandises sont le fret ferroviaire et la route, rappellent les documents diffusés par le Conseil fédéral, et ils vont le rester à l’avenir, selon les chiffres disponibles et les prévisions.
Ces dernières années, la prestation de transport du marché suisse du fret se situe entre 28 et 30 milliards de tonnes-kilomètres (tkm), dont environ 12 milliards de tkm effectués sur le rail. Actuellement, environ un quart de la prestation totale de transport de marchandises intérieur et import/export est assurée par le rail.
Le fret ferroviaire « revêt donc une grande importance pour l’approvisionnement en Suisse et pour les échanges avec l’étranger, en complément du mode de transport de loin le plus important, la route. C’est pourquoi le fret ferroviaire est considéré comme un domaine des transports critique en Suisse. Il s’agit donc d’empêcher de graves défaillances de l’infrastructure ou, en cas d’événement, de réduire le temps d’indisponibilité ».
Le fret ferroviaire. En 2019, le volume total du fret ferroviaire (intérieur, importation, exportation, transit) a atteint 68,7 millions de tonnes. La part du fret ferroviaire dans l’ensemble des prestations de transport est de 41% en 2021. « Après un net recul dans les années 1980 et 1990, le rail a pu maintenir sa part dans une fourchette comprise entre 36% et 42% depuis l’année 2000 ». Les documents de la Confédération rappellent « à titre de comparaison, que la part du rail dans les transports terrestres des 27 pays de l’UE était d’environ 18% en 2020 ».
Développer le fret ferroviaire est un objectif de longue date de la Confédération, notamment en favorisant le transfert du fret transalpin de la route au rail. En 2022, 74% des marchandises transportées à travers les Alpes suisses l’ont été par le rail et 26% par la route.
Dans le même temps, « les modes de transport routier et ferroviaire sont complémentaires : alors que la desserte fine régionale des marchandises ne peut, dans la plupart des cas, se faire que par la route du fait des infrastructures disponibles, le rail offre des avantages surtout pour les trajets plus longs ».
Les wagons isolés et le transport combiné. Le transport par wagons complets isolés (TWCI, selon l’abréviation suisse) « couvre la grande majorité du volume de fret ferroviaire. Le transport combiné (TC) représente une part plus faible. Le fret ferroviaire conventionnel domine également par rapport au TC dans les importations/exportations. La part du TC est toutefois proportionnellement un peu plus élevée que dans le trafic intérieur ».
En TWCI, CFF Cargo, la principale compagnie du pays, a transporté près de 600 000 wagons chargés et environ 370 000 wagons vides. La part du wagon isolé est d’environ 23% sur l’ensemble du fret ferroviaire et de 8,5% sur l’ensemble du transport de marchandises.
La navigation intérieure sur le Rhin. Le « transport de marchandises par bateau sur le Rhin fait partie d’une chaîne de transport multimodale import/export » au même titre que les oléoducs et gazoducs.
En 2021, 5,4 millions de tonnes de marchandises ont passé la frontière suisse sur des bateaux rhénans, soit 11% de moins qu’en 2019 (6,1 millions de tonnes). Les oléoducs ont apporté 2,9 millions de tonnes en Suisse en 2021 (3,4 millions de tonnes en 2020).
La Suisse est l’un des Etats membres de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) tout comme la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique. La Convention de Mannheim assure à ces cinq nations une liberté de navigation sur le Rhin depuis le XIXe siècle. « La Convention de Mannheim garantit ainsi à la Suisse un accès libre et gratuit à la mer. Parallèlement, elle crée un marché intégré avec des prescriptions identiques pour tous les États membres de la CCNR ». Sans oublier que « le principe de la liberté de navigation garantie par la Convention de Mannheim implique une exonération des droits de douane sur les carburants pour bateaux sur le Rhin et ses affluents » avec des mesures précisées dans un accord datant de 1952.
Les documents de la Confédération évoquent la Déclaration de Mannheim de 2018 et ses objectifs pour « une navigation intérieure largement exempte d’émissions d’ici 2050 » mais aussi pour « une meilleure intégration de la navigation intérieure dans les chaînes logistiques multimodales » ou encore pour « une amélioration des programmes de soutien nationaux ».
Des ports vitaux. Les Ports rhénans suisses sont primordiaux pour le pays, constituant une porte d’entrée/de sortie pour les importations et les exportations. Ils sont essentiels à l’approvisionnement du pays, « sont, en outre, un maillon de la chaîne de transport de marchandises dans le trafic transalpin », et « constituent des zones de stockage importantes ». Près de 80% des marchandises importées sont transbordées dans les Ports rhénans suisses ; il en va de même pour les exportations.
« Les Ports rhénans suisses jouent un rôle important dans le commerce extérieur basé sur les conteneurs ». Entre 2019 et 2021, environ 100 000 EVP ont été transbordés chaque année par voie navigable ; 25 000 EVP ont été transbordés dans ces ports dans l’import/export ferroviaire. « Le transbordement total de conteneurs dans ces ports s’élève ainsi à 125 000 EVP par an ; les parts d’importation et d’exportation étant à peu près équilibrées ».
Concernant le trafic avec l’arrière-pays, le rail est plus important que la route. En 2015, 63% des marchandises ont été acheminées ou évacuées par le rail et 37% par camion ; la part du rail étant plus importante pour les exportations (73%) que pour les importations (57%). « Ces proportions sont restées relativement stables au cours des 20 dernières années ».
Les perspectives de trafics. Le scénario de base des perspectives de transport 2050 du Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC) prévoit un volume de 544 millions de tonnes pour 2050, ce qui représente une augmentation de 24% par rapport à 2018.
La répartition modale des prestations de transport sera similaire à la situation actuelle : 38,2% pour le rail et 61,8% pour la route.
La navigation intérieure devrait « légèrement reculer » avec un volume passant de 1,3% en 2017 à 0,9% en 2050. « Cela s’explique par une baisse des flux dans le groupe de marchandises des énergies fossiles, quantitativement important pour la navigation intérieure ».
Quelles sont les nouvelles mesures envisagées ?
Ce cadre général rappelé, le Conseil fédéral indique que le projet de révision la loi sur le transport de marchandises « se concentre sur le perfectionnement du fret ferroviaire, la navigation à marchandises sur le Rhin et le développement d’offres multimodales ».
Pour cette institution, « la route et le rail vont rester sans aucun doute les piliers du transport de marchandises en Suisse. Il est incontesté que le fret routier continuera de jouer un rôle majeur, notamment au niveau de la desserte fine. Il convient donc de chercher par quels moyens développer la complémentarité, importante pour l’économie nationale, entre le fret routier et ferroviaire et, en partie, la navigation sur le Rhin ».
Pour le fret ferroviaire, le Conseil fédéral prévoit :
- d’encourager l’attelage automatique numérique (ou DAC pour digital automatic coupling). La conviction étant que seule une modernisation par la numérisation peut permettre au fret ferroviaire de devenir « plus simple, plus rapide, plus économique ». 180 millions de francs suisses (192 millions d’euros) sont mis sur la table pour l’introduction du DAC.
- de moderniser le wagon isolé (TWCI) : « exploité actuellement par CFF Cargo, ce transport remplit des fonctions importantes dans le domaine logistique et contribue largement à garantir l’approvisionnement du pays. Il n’est toutefois pas viable économiquement sous sa forme actuelle ».
Un encouragement financier pour le wagon isolé est prévu sur une période de 8 ans « afin qu’il parvienne à s’autofinancer à moyen terme ». 260 millions de francs suisses (278 millions d’euros) sont dédiés pour les quatre premières années.
Des « contributions de transbordement et de chargement ainsi qu’une indemnisation des coûts non couverts de l’offre commandée de transport de marchandises » sont aussi prévues sans limitation dans le temps pour un total de 60 millions de francs suisses (64 millions d’euros) par an.
Pour la navigation intérieure. Le Conseil fédéral relève que « la Suisse ne dispose pas des bases légales nécessaires pour encourager financièrement la navigation intérieure ». Par exemple, il n’y a « pas de contributions d’investissement pour équiper les bateaux de moteurs évitant les émissions de GES ou des contributions d’exploitation pour transférer des transports de marchandises sur des bateaux ». Aussi, la création de « mesures d’encouragement » sont prévues ainsi que la mise en place « des bases légales nécessaires à l’encouragement des propulsions sans carburants fossiles dans la navigation intérieure » dédiée au transport de marchandises.
Equilibre du budget fédéral. Le Conseil fédéral précise que les dépenses seront « compensées intégralement de sorte qu’il n’en résulte aucune charge additionnelle pour le budget général de la Confédération ». Pour y parvenir, il est prévu d’utiliser « une partie des recettes de la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations ».
Pour les Ports rhénans suisses. La Confédération veut « sauvegarder les Ports rhénans suisses en tant qu’infrastructure d’importance nationale » mais aussi « soutenir leur développement ». Il est rappelé leur « rôle non négligeable en lien avec la navigation sur le Rhin » pour le transport de marchandises d’importation et d’exportation. L’institution relève deux freins :
- D’une part, il se trouve que dans les textes légaux du pays, « l’importance nationale de l’infrastructure portuaire n’est pas ancrée juridiquement, n’est nulle part fixée ou représentée adéquatement dans les objectifs en matière de politique des transports ». La Confédération « n’a donc aucune possibilité d’influer directement sur le maintien et le développement des infrastructures portuaires ».
- D’autre part, « l’utilisation des installations portuaires dans la région de Bâle fait l’objet d’une concurrence âpre. Le maintien, le développement et, éventuellement, l’extension des infrastructures portuaires sont en étroite concurrence avec le développement urbain ».
En conséquence, actuellement, « le maintien de la disponibilité des zones portuaires pour le transport de marchandises dépend aujourd’hui des décisions des propriétaires des Ports rhénans suisses (les cantons de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne). Cette situation suscite des incertitudes chez une partie des acteurs du transport de marchandises quant à la garantie à long terme d’un raccordement suffisant de la Suisse à la navigation sur le Rhin », selon la Confédération.
Cette institution prévoit donc, dans la révision de la loi, « la création d’instruments à l’aide desquels la Confédération peut influer sur le développement des infrastructures portuaires et les piloter. L’objectif est de garantir l’accès de la Suisse au Rhin en tant que voie navigable européenne et de permettre une intégration efficace de la navigation rhénane dans les chaînes logistiques multimodales, afin de renforcer la compétitivité du mode de transport par voie navigable pour l’importation et l’exportation de la Suisse et de disposer ainsi de solution de rechange attrayantes au fret routier et ferroviaire ».
Une réaction. Il se trouve que les Ports rhénans suisses ont réagi au contenu de la révision de la loi sur le transport de marchandises. L’accueil est positif du côté de Florian Röthlingshöfer, directeur de ces ports : « Le message sur la loi sur le transport de marchandises constitue une étape importante pour les Ports rhénans suisses. Le fait que la Confédération souhaite participer au développement et au renouvellement des infrastructures portuaires grâce à l'instrument d'un contrat de prestations et promouvoir également le développement du transport de marchandises sur le Rhin pour en faire un mode de transport sans émissions constitue un signal important pour l'avenir de la navigation sur le Rhin ».
La création d’une base juridique permettant de développer à l'avenir l'infrastructure portuaire en collaboration avec les cantons propriétaires « renforcera la compétitivité de la voie navigable en tant que mode de transport pour le trafic d'importation et d'exportation de la Suisse et fournira également à l'économie une voie de transport ferroviaire efficace et attractive le long du Rhin jusqu'aux ports maritimes ».
Après la publication par le Conseil fédéral, la révision du projet de loi va entamer son parcours au Parlement.