La transition énergétique des ports figure au plan de relance de l’économie présenté par le gouvernement il y a un an (« France Relance ») ainsi que dans la stratégie nationale portuaire de janvier 2021. Il était donc logique que la SITL y consacre une table ronde intitulée « le verdissement des ports : une stratégie qui implique tous les acteurs » et qui s’est attachée à montrer la transition énergétique dans sa diversité, à poser la question de son coût et de son financement.
Une nouvelle tendance côté chargeurs
Le transport fluvial était représenté lors de la conférence avec la présence de Joffrey Guyot, responsable financement et transition énergétique de Voies navigables de France (VNF). L’établissement public a mis en place des subventions pour encourager l’achat et la construction de bateaux, afin d’accélérer la transition énergétique du fluvial. Le programme (PAMI), avec le soutien de l’Ademe et de plusieurs régions, est doté de 30 M€ sur quatre ans : une somme en augmentation, mais encore insuffisante face aux importants besoins du secteur dont les motorisations doivent évoluer pour respecter les engagements climatiques.
« La commission européenne autorise les subventions jusqu’à 60 % du surcoût à l’investissement, mais nous n’avons pas les moyens de financer à ce taux la transition de 1000 bateaux, précise Joffrey Guyot. Le marché doit donc être autoportant. Depuis quelques mois, une nouvelle tendance se dessine : ce n’est plus forcément le transporteur qui vient nous solliciter, mais le chargeur qui met la pression en faveur du verdissement et accepte en échange de s’engager sur un contrat plus cher ou d’une plus longue durée ».
Marseille, Sète, La Rochelle
Du point de vue des autorités portuaires, la transition énergétique passe par le déploiement d’infrastructures et d’équipements.
Directeur général du grand port maritime de Marseille, Hervé Martel a souligné le potentiel d’économie circulaire, avec, par exemple, l’implication dans un réseau de chauffage urbain, le remplacement à l’étude par Arcelor du charbon par l’hydrogène, l’avitaillement GNL pour les croisières à l’escale, pour laquelle des essais ont été réalisés cet été 2021 et qui se fera en exploitation courante en 2022, ou encore la fourniture aux navires de courant de quai, déjà effectif pour les ferries desservant la Corse et qui se déploiera progressivement pour toucher en 2024 les très consommateurs paquebots de croisière.
À Sète, le branchement électrique des navires à quai a fait l’objet de 20 M€ d’investissement, et a concerné les navires de très grande plaisance dès 2019. Les navires de commerce pourront se brancher à partir de 2023, à commencer par les rouliers et les « petits » navires de croisière. La transition énergétique passe aussi par l’expérimentation pendant un an de pilotines électriques, ainsi que par le développement du photovoltaïque avec 40 000 m² de panneaux installés sur le port. « Nous alimentons aujourd’hui le réseau électrique national, mais prévoyons d’alimenter le réseau portuaire avec notre propre production, un projet solaire étant prévu sur une zone de 20 ha, précise Olivier Carmes, directeur général du port de Sète. À l’horizon 2028, nous prévoyons aussi la production d’hydrogène, en lien avec Port-la-Nouvelle qui se tourne vers l’éolien ».
La démarche du port de La Rochelle privilégie, depuis une dizaine d’année, l’économie circulaire. « Une illustration parfaite de la nécessaire coopération entre public et privé », souligne Francis Grimaud, directeur des Établissements vraquier de l’Atlantique et président de la communauté portuaire de La Rochelle, qui met en avant la prise en compte de l’environnement et des nuisances aux riverains dans la manutention de vrac sec par l’entreprise qu’il dirige, mais aussi l’utilisation d’eau de pluie pour alimenter un broyeur à clinker, ou encore les échanges de palettes entre entreprises portuaires.
La question du coût et du financement
Le verdissement du transport, qu’il soit maritime ou fluvial, représente un coût très élevé. Subventions publiques ou engagement des acteurs privés : qui doit payer cette transition énergétique ? L’équilibre économique de la transition n’est pas toujours au rendez-vous.
« L’installation de panneaux photovoltaïque en toiture est une opération rentable, mais pour la fourniture d’électricité aux navires à quai, le port prend le risque de mettre en place un équipement que les armateurs n’utiliseront peut être pas, car le branchement des navires n’est pas obligatoire, indique Olivier Carmes. Le coût du courant de quai peut être plus facilement acceptable par la plaisance ou la croisière que par les navires de commerce. Aujourd’hui nous récompensons par des réductions de droits de port les bons élèves, plutôt que de pénaliser les autres ».
Sur cette question du courant de quai, Hervé Martel souligne que le soutien de la région et de l’État est important, avec des subventions à hauteur de 80 % de l’investissement. « Mais le coût de fonctionnement pour l’armateur est deux à trois fois supérieur à la production d’électricité à bord du navire, car il faut acheter l’électricité sur le réseau et la convertir. Une taxe supplémentaire de 2 € par passager a été mise en place, ainsi qu’une réduction de droit de port pour les armateurs branchant leurs navires. Avec les compagnies de croisière Carnival et MSC, nous avons ainsi construit un modèle économique proche du pollueur-payeur. Pour l’hydrogène, en revanche, nous n’avons pas encore de modèle économique ».
Le directeur du port de Marseille se livre cependant, sur ce dernier point, à un rapide calcul sur la base de 12 poids lourds fonctionnant à l’hydrogène, mis en place par Air Liquide : ce carburant coûte 40 % de plus que le gazole, mais le carburant ne représente que 30 % du coût d’exploitation du transport routier, qui ne représente lui-même que 12 % du coût final des marchandises. « Le surcoût se limite donc à moins de 2 % pour le consommateur final de la grande distribution, qui est prêt à l’accepter au regard du gain environnemental. La réponse n’est pas dans une subvention, mais dans une solution qui rencontre le marché ».
Une opinion partagée par Francis Grimaud : « On arrive aujourd’hui à faire accepter que le plus propre se paie, et que ce surcoût peut se récupérer sous la forme de communication autour de cet engagement sociétal. Les mentalités ont évolué et le verdissement devient un argument commercial ».