La mobilisation contre la réforme des retraites se poursuit malgré son adoption à l’Assemblée nationale. Le texte est en effet considéré comme adopté après le rejet le 20 mars 2023 des deux motions de censure déposées en réplique à l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution par le gouvernement.
Dans ce contexte général, deux artisans-batelier, pour lesquels la cessation de leur activité et donc le départ à la retraite se profilent à l’horizon à court terme, témoignent de leur situation.
Artisans-bateliers depuis plus de 40 ans
Ils ont tous les deux passé le cap de la soixantaine :
- L’un navigue sur un bateau Freycinet (38,5 m de long sur 5,05 m de large), le même depuis qu’il est devenu artisan-batelier en 1980 « pour aller sur tous les canaux en France et ailleurs ». Gérard Taupe s’est marié la même année, avec une jeune-femme plus jeune que lui de deux ans.
- L’autre navigue sur un bateau de type « canal du Nord » (56 à 72 m de long sur 5,70 m de large) après avoir été propriétaire de trois Freycinet « à chaque fois plus moderne », le premier acquis en 1982 à 21 ans après son service militaire. Christian Pontieux est fils et petit-fils d’artisan-batelier. « Je ne voulais pas être prisonnier d’un bassin comme la Seine par exemple et mon épouse ne souhaitait pas naviguer seulement à l’international dans un grand bateau. Nous avons trouvé un compromis ».
Dans les cales de leurs bateaux, ils transportent des vracs secs (céréales, engrais, charbon, des coils ou bobines pour l’industrie automobile) à l’international sur les réseaux des voies navigables européennes (France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne).
Un départ planifié le 30 septembre 2023
« Ma cessation d’activité, c’est pour le 30 septembre 2023, annonce Christian Pontieux qui vient de fêter ses 62 ans. Oui, j’ai préparé mais cela va me manquer. Piloter mon bateau, naviguer, c’est une passion. Cesser tout cela sera difficile. Il y a la maison à terre mais au bout d’une semaine, la vie sur l’eau me manque ».
Son bateau est déjà vendu et continuera dès le 1er octobre sa vocation commerciale : « La personne qui l’a acheté va continuer la même activité sur les mêmes trajets à l’international. Je le verrai passer, ce qui sera peut-être douloureux aussi ».
Un départ envisagé pour 2025
« Je pense cesser l’activité début 2025 peut-être, j’aurai alors 65 ans. J’ai fait ma carrière avec un seul bateau Freycinet qui n’a plus vraiment d’avenir. Oui, on va aller à la retraite artisanale, c’est une misère mais c’est la vie, il faut bien s’arrêter un jour », indique Gérard Taupe.
Son bateau, il envisage de le vendre mais ne pense pas trouver un acquéreur qui continuerait la même activité fret : « Les jeunes qui se lancent choisissent des tailles plus grandes, plus rentables ». L’avenir du bateau sera peut-être du côté d’une activité touristique ou de logement.
La retraite compliquée des épouses-salariées
Les deux artisans-bateliers évoquent d’eux-mêmes la carrière et donc la retraite de leur épouse.
- « Le souci est qu’elle ne va pas avoir une retraite complète avec 30 ans d’années de cotisation au lieu des 42 ans nécessaires, ce qui signifie une importante décote. C’est l’inconvénient pour les gens de notre génération : quand on a commencé à travailler, l’activité n’était pas suffisante pour salarier une personne », explique Christian Pontieux.
- « Les premières années ont été difficiles, il y avait peu de voyages et pas de possibilités de salarier mon épouse, de cotiser. Nous n’avons pas non plus été très bien informés à l’époque. C’est dommage car on travaille plutôt bien depuis pas mal d’années. Et si on avait eu ce niveau-là dès le début, la situation serait différente, la retraite meilleure », précise Gérard Taupe.
En tout cas, l’avenir pour les deux artisans-bateliers se prévoit à deux lors de la retraite à venir comme lors de leur vie à bord ensemble autour de l’activité de transport fluvial.
Le mot « compromis » revient sur les lèvres de Christian Pontieux : « Il faut trouver un compromis dans le couple pour la vie d’après », comme ils en avaient trouvé lors du lancement de leur activité professionnelle puis tout au long des décennies suivantes.