Sur le canal du Midi, les péniches-hôtel, privées pendant deux saisons de leur principale clientèle extra-européenne, ont su attirer les Français qui découvrent un réseau fluvial exceptionnel. Sur cette filière de niche, la France reste leader mondial du marché.
Touristes fortunés, personnalités cachées, haut-placés anonymes, la clientèle prestigieuse des péniches-hôtel est revenue en force sur le réseau fluvial français. Dès mars 2022, les péniches-hôtel du canal du Midi relançaient leur croisière avec une clientèle élargie. Avec 23 bateaux, le bassin Occitanie-Nouvelle Aquitaine représente la deuxième destination de la croisière fluviale après Bourgogne-Franche-Comté.Selon les statistiques de VNF réalisées avec les données de 2018 et de 2019, la clientèle majoritaire est anglo-saxonne et les Français sont minoritaires (13 %). Avant la pandémie, les Nord-Américains représentaient 60 % de la clientèle suivis par les Australiens (14 %). Sur les péniches luxueuses du canal du Midi, produit d’origine dans ce secteur, les Nord-Américains pouvaient représenter jusqu’à 90 % de la clientèle sur certains bateaux, suivaient les Australiens, les Néo-Zélandais, les Sud-Africains. Toutefois, depuis deux ans et la réduction des touristes en provenance de lointaines destinations, les Européens et les Français ont sauté le pas et découvert cette offre touristique.« Personne ne croyait à cette clientèle. Pourtant, ils ont les mêmes demandes que les Américains. La France a le réseau fluvial le plus prestigieux d’Europe et cela semble ne faire rêver personne », confie Mathias Gilles, propriétaire de l’Espérance, dernier pinardier du Midi reconverti en péniche-hôtel. Dans la profession depuis 26 ans, lui qui travaillait uniquement via des agents, a dû développer diverses stratégies pour atteindre une nouvelle clientèle (voir article de NPI). « Il fallait gérer la communication. J’ai fait beaucoup de promotion et diffusé énormément de vidéos. C’est un produit dont on ne parle jamais et je me bats à le faire. Au départ, le Français ne connaît pas la diversité des canaux et a peur de s’ennuyer. En trois ans, la clientèle n’a pas changé, elle s’est juste élargie ».
Hors du luxe : point de visibilité
Avec un tarif qui oscille entre 3000 et 8000 euros par passager et par semaine, la filière reste une niche. Au national, pour les 1030 passagers annuels sur 89 péniches, le secteur maintient 500 emplois dont 57 % saisonniers et pèse 63 millions d’euros. La majorité des opérateurs ne possède qu’une seule péniche et parmi eux, nombreux sont de nationalité anglo-saxonne. Seules sept sociétés exploitent deux péniches ou plus, notamment European Waterways, un des pionniers avec Anjodi sur le canal du Midi, ou le groupe Belmond Afloat in France qui a intégré le groupe LVMH en 2019. Belmond, ce sont sept bateaux sur le réseau national dont Alouette sur le canal du Midi. En 2018 et 2019, sur les canaux du Midi et de Garonne, 2490 passagers et leurs équipages ont dépensé en moyenne 1,3 millions d’euros par an pour un chiffre d'affaires de 9,1 millions d’euros. Cette activité s’adresse à des segments de clientèle très précis, majoritairement haut de gamme. Peu d’opérateurs proposent une offre plus accessible comme le Langon et le Haricot-Noir sur le canal du Midi.« Notre clientèle est française à 70%. Elle dispose des locaux à sa convenance et à son rythme. Nous voyageons sans prestation hôtelière mais notre offre a du succès », détaille Pierre Gaudry, propriétaire du Haricot-Noir, un gîte fluvial à privatiser, aménagé avec 6 cabines et une cuisine équipée.Le Langon, péniche de onze cabines, accueille des familles ou groupes d’amis en pension complète ou demi-pension. Malgré plus de difficultés à se faire connaître et à exister dans le secteur, la saison 2022 commence tout aussi fort pour ces péniches dites « à cabines ». Les escales ressemblent à celles des croisières de luxe avec une préférence pour les sites à visiter à pied depuis le port d’amarrage. « Nous proposons des navigations entre Béziers et Sallèles-d’Aude, car c’est la partie du canal du Midi la plus riche en histoire », explique Ketty Bellagamba, propriétaire du Langon.
Les clients flottent pendant une semaine »
Sur le segment du luxe, les séjours sont plus normés. Commercialisés à partir de quelques agences, les voyages sont intimistes et en petites jauges (9,2 personnes en moyenne). « Nous proposons une expérience émotionnelle et humaine. Les clients viennent pour se retrouver et se reposer. Ils se laissent faire ! Avec un équipage généreux et attentionné, nous organisons des séjours sur-mesure. Nos hôtes flottent pendant une semaine… », relate Mathias Gilles, propriétaire de l’Espérance, équipé de trois cabines pour six personnes. Le système de privatisation du bateau est le plus commun. « Nous avons tous une offre de service à peu près équivalente : trois heures de navigation par jour, des visites, un jacuzzi et de la gastronomie à bord », avance Mathias Gilles. Ses croisières relient Béziers à Homps, ou Homps à Castelnaudary. « Nous avons besoin de régularité pour fidéliser les adresses et entretenir les relations ».
Vigilance sur les conflits d’usage
Cet été 2022, sur le réseau du Sud-Ouest, la direction territoriale de VNF a pris «une mesure de restriction exceptionnelle » compte tenu « du caractère précoce de la sécheresse. En raison de l’insuffisance de la ressource en eau et de la forte affluence de touristes navigants, il a été décidé de mettre en place le regroupement de bateaux lors du passage des écluses du canal des Deux Mers ». Pour le canal du Midi, la mesure a été mise en place à partir du 5 juillet et court jusqu’au 31 août, pour le canal latéral à la Garonne du 2 au 31 août. La DT dans son communiqué rappelle que « l’étiage est un phénomène courant sur le réseau de VNF Sud-Ouest qui est régulièrement touché par des mesures de restrictions liées à l’usage de l’eau ». Il est encore un peu tôt pour dresser un bilan des conséquences de cette mesure. La saison des péniches-hôtel démarre mi-mars et s’achève fin octobre. En 2022, le canal du Midi restera ouvert toute l’année du fait de l’inversion des périodes de chômage avec le canal de Garonne. La période de chômage aura lieu désormais en janvier et février. Une bonne nouvelle pour Mathias Gilles : « Nous avons beaucoup de demandes pour la fin décembre et les périodes de Noël ». Pour lui, ce « nouveau » canal du Midi aux berges dénudées a permis de gagner en visibilité. « Nous nous sommes adaptés, aujourd’hui, nous proposons des croisières sur un canal avec vue », s’amuse-t-il.Sur ce canal sinueux et peuplé, si la vie est douce pour les passagers, elle n’est pas toujours un long fleuve tranquille pour les équipages. « Il est difficile de pouvoir accéder aux places réservées et croiser les bateaux sans permis de plus en plus gros n’est pas une mince affaire », conclut Mathias Gilles. Si les croisières de luxe semblent avoir de l’avenir, la multiplicité des usages et des clients font encore mouche sous le soleil chaud du Midi.
