Riverdating : où en est le « verdissement » des bateaux fluviaux en France ?

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Crédit photo Clotilde Martin
La première table-ronde du salon Riverdating 2023 a été consacrée à la transition énergétique de la filière fluviale en France. L’occasion de réviser les bases avec les trois piliers pour atteindre les objectifs de « décarbonation » du fluvial d’ici 2035, de faire un état des lieux de différents projets de bateaux innovants, d'entendre quelques annonces.

Répéter, répéter, répéter… En espérant, à tout le moins, qu’il en reste quelque chose… C’est la pensée qui pouvait venir à l’esprit lors de la première table-ronde du salon Riverdating 2023 à Lille consacrée au « verdissement » de la flotte fluviale le 12 décembre.

Systémique et holistique. Répéter, par exemple, pour Thierry Guimbaud, directeur général de Voies navigables de France (VNF), qu’une vision systémique plutôt que cloisonnée est davantage pertinente pour avancer sur le chemin de la « décarbonation » tout comme une démarche holistique. Autrement dit ne pas raisonner seulement réduction des émissions mode par mode de transport mais sur l’ensemble de la chaine logistique, penser intermodal/multimodal.

Des mots déjà entendus lors du dernier colloque « Vert le fluvial » dont la prochaine édition a été annoncée pour le 15 mai 2024 à Paris, par VNF.

Le fluvial est déjà « vert ». Répéter, autre exemple, pour Jean-Marc Samuel, président d’Agir pour le fluvial (APLF), que le transport fluvial est déjà le mode le plus respectueux de l’environnement. « Chaque tonne transportée par la voie d’eau, c’est une tonne décarbonée. Nous avons une marge de développement en prenant en compte la demande des chargeurs, en les aidant et les encourageant à aller vers le transport fluvial. Sans oublier d’améliorer le réseau. C’est aussi un message politique : les quais devant chez les gens, ce n’est pas seulement pour un bateau-restaurant ».

Des piliers d’ici 2035. Répéter, autre exemple encore, pour Cécile Cohas, responsable mission recherche et innovation de VNF, que le transport fluvial représente 0,1% des émissions du secteur des transports et que la « décarbonation » s’inscrit dans les impératifs de l’Union européenne et de rappeler les trois leviers identifiés de la trajectoire à suivre d’ici 2035, selon l’étude Fluent :

  • réussir le branchement à quai des bateaux fret et passagers/tourisme. Sachant que les unités passent en escale entre 30 et 70% de leur temps.
  • systématiser l’écoconduite lors de la navigation.
  • aller vers une utilisation des carburants biosourcés.

Un autre pilier de cette trajectoire est l’hybridation des bateaux.

La coopérative Scat va tester le HVO

Parmi les carburants de transition ou biosourcés, figure notamment le HVO qui « décarbone » à hauteur de 97%. Le HVO, fabriqué à partir d'huiles végétales résiduelles (huiles et graisses issues de la filière du recyclage) ou durables, n’est toutefois toujours pas disponible ni du point de vue de la réglementation ni de la fiscalité pour la filière fluviale, condamnant celle-ci à des expérimentations que ce soit par Sogestran sur un porte-conteneurs fluvial ou par VNF sur le bateau de travail Le Rhône ou encore par Cemex.

Le test annoncé par la Scat devrait démarrer en début d’année 2024, « retardé par des difficultés pour obtenir une dérogation », a relevé Christine Morel. Il va concerner un bateau de type Campinois (800 tonnes) naviguant sur la Seine et effectuant des livraisons dans Paris intra-muros.

« Nous voulons déterminer que le HVO est bien vertueux et dans quelles proportions en opération réelle. Il ne nécessite aucune modification de moteur, juste une purge et un nettoyage avant de souter du HVO à la place du GNR ». Des relevés des émissions seront régulièrement effectués et analysés.

Outre les sujets réglementaire et fiscale, la difficulté avec le HVO est son manque de disponibilité, a rappelé la responsable commerciale de la coopérative, « encore plus accentuée par la concurrence des autres modes. On espère avoir accès à terme à du HVO en fluvial et dépasser la phase des expérimentations mais c’est une affaire européenne ». Il a été dit, une nouvelle fois, que des échanges se déroulaient pour autoriser l’utilisation du HVO par la filière fluviale.

Lafarge donne des nouvelles de son projet de l’hybridation d’un pousseur

Le groupe Lafarge Holcim est un autre grand opérateur de transport fluvial en France sur l’axe Seine avec 7 pousseurs (3 de ligne et 4 de manœuvre), 56 barges pour environ 3 millions de tonnes transportées par an (granulats, déblais de chantiers, terres excavées, ciments en vrac…). Ce groupe, l’un des leaders des matériaux de construction disposant depuis 60 ans d’implantations installées notamment au bord de la voie d’eau dans la capitale a engagé un programme de « décarbonation » de ses unités.

L’écoconduite a été adoptée lors de la navigation et les économies de carburant qu’elle a rendu possible « ont permis de compenser la hausse du prix des énergies », a précisé Kevin Audegond. Les flux retour ont également été optimisés.

Un autre pas a été franchi avec l’entrée en chantier depuis 3 semaines du pousseur Marsouin pour une hybridation qui va remplacer son système de motorisation par un système hybride thermique/électrique sur batteries rechargeables. « Construit en 1965, il va être complètement démonté, seule la coque toujours solide est conservée. Il est utilisé 8heures par jour, 5 jours sur 7. L’hybridation va permettre de le faire fonctionner environ 75% du temps en électrique ». Le coût du rétrofit atteint 3,2 millions d’euros avec des subventions (Voies navigables de France, l’Ademe et Haropa) à hauteur de 40%.

Le Marsouin électrifié devrait reprendre ses trajets au moment des Jeux olympiques de Paris à l’été 2024 et afficher une réduction de -40% de CO2 et de -70% des Nox et des particules fines. Il transporte environ 365 000 tonnes par an sur la Seine.

Le groupe poursuit par ailleurs son projet d’un pousseur de ligne en construction neuve qui devrait être « hydrogène vert ready », selon les mots de Kevin Audegond,

Sogestran donne des nouvelles du Zulu 6

Autre grand opérateur de transport fluvial, le groupe Sogestran a indiqué que l’inauguration du Zulu 6 est prévue pour le mois de juin 2024. Sachant que pour le moment ce bateau reste à quai au Havre en version diesel-électrique.

Une première dérogation a été obtenue auprès de la CCNR ouvrant la voie à l’installation de ses équipements pour l’hydrogène.

Le groupe a lancé un projet de pousseur à l’hydrogène en 2017 qui a évolué en version bateau Zulu en 2019 avec une installation de cette énergie à l’extérieur.

Pour Mathieu Blanc, avec ce projet, il s’agit pour Sogestran d’être à hauteur de son rôle de leader de la navigation fluviale française en ouvrant la voie vers la « décarbonation » à la fois sur le plan industriel et réglementaire. Le Zulu 6 représente un investissement de 4 millions d’euros.

Il a rappelé l’importance pour le « verdissement » de la flotte fluviale de distinguer les options possibles en fonction des types de trajets et de bateaux : d’un côté la longue distance pour laquelle l’hydrogène est pertinent, de l’autre la courte distance pour laquelle l’électricité peut être privilégiée.

Selon ce responsable, « les objectifs de réduction des émissions fixées pour 2035 sont atteignables » avec le courant à quai, l’écoconduite et les carburants de transition. « C’est beaucoup plus complexe pour 2050 et le « zéro » émission qui signifie la construction de nouveaux bateaux et des investissements très élevés qui ne sont pas à la portée de nombreuses entreprises ».

La démarche décarbonation de Norlink dans le bassin du Nord-Pas-de-Calais

L’association Norlink a participé avec d’autres (VNF, GRDF, le port de Dunkerque) à une étude en forme de diagnostic pour identifier les besoins énergétiques de 5 bateaux fluviaux du bassin Nord-Pas-de-Calais.

Les constats ont été les suivants :

  • un bassin canalisé et confiné,
  • une consommation faible qui rend pertinente l’utilisation de carburants alternatif,
  • une flotte hétérogène et vieillissante,
  • des opérations déjà économes avec la pratique de l’écoconduite,
  • des capacités d’investissements limités des entreprises.

« La principale recommandation est de faire évoluer d’ici 2035 les énergies pour tous les moteurs auxiliaires à bord qui représentent entre 11 et 27% des consommations à bord. C’est la solution la plus pragmatique et la moins onéreuse », a dit Fabien Becquelin de Norlink. Cette association prévoit le lancement d’un diagnostic plus large portant sur un total de 10 bateaux.

Bientôt un outil digital. Autre annonce faite lors de la table-ronde, VNF va lancer au premier semestre 2024 « un outil d’aide à la décision en ligne » qui permettra à tout opérateur en renseignant les informations demandées de déterminer quelle est la voie la plus pertinente pour la « décarbonation » de son ou de ses bateaux. Un outil qui s’ajoute à Gate, déjà opérationnel.

VNF a également confirmé que lors des Jeux olympiques le nombre annoncé lors du colloque de la CCNR du 6 décembre était bien de 30 bateaux « décarbonés » présents au sein de la parade lors de la cérémonie d’ouverture sur la Seine, le 26 juillet 2024.

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