Sur les cartes géographiques, la Belgique apparaît comme drainée par des multiples fleuves, rivières et cours d’eau qui semblent devoir la mettre à l’abri de toute pénurie d’eau. La réalité est toute autre : quand on mesure la disponibilité de l’eau à l’aune des besoins, la Belgique obtient un score plus bas que des pays réputés « secs » comme l’Espagne ou la Grèce.
Le problème se pose de façon particulièrement aiguë en Flandre. « C’est une région pauvre en eau, quand on considère sa densité de population. De grands fleuves comparables au Rhin et des capacités de stockage comme l’IJsselmeer aux Pays-Bas y font défaut. L’Escaut n’est pas une petite rivière, mais en été, ses débits peuvent tomber à un niveau très bas », souligne le professeur Patrick Willems de l’université de Louvain. Le pourcentage élevé de la superficie couverte de constructions et revêtue en dur renforce le problème, en accélérant l’écoulement d’une eau empêchée de pénétrer dans le sol.
Dans la région de Gand, dans la partie ouest de la Flandre, l’eau affluant de la Lys et de l’Escaut supérieur doit être redistribuée entre le canal maritime vers Terneuzen (avec un débit garanti par traité aux Pays-Bas pour éviter la salinisation de la Flandre zélandaise), les voies navigables vers Bruges et Ostende, et l’Escaut maritime entre Gand et Anvers. L’équilibre entre l’offre et la demande est souvent précaire.
Sur son autre versant, la Flandre est entièrement dépendante de la Meuse pour l’alimentation du canal Albert et des canaux campinois. La moitié des besoins flamands en eau potable est d’ailleurs couverte par la même Meuse, dont la Flandre doit partager l’eau en aval de la Wallonie avec les Pays-Bas.
La navigation, première concernée
Autre fait marquant : les études font apparaître que la plus forte demande d’eau en Flandre ne vient ni de l’industrie, ni de l’agriculture, ni de la production énergétique, mais de la navigation, pour le maintien du tirant d’eau et les éclusages. Les études sur la question chiffrent sa part à quelque 45 % du total.
« Quand un problème se pose avec l’eau, la navigation est la victime principale. Mais c’est une victime peu visible et qui n’est pas en mesure d’exercer une pression aussi forte que l’agriculture ou l’industrie pour défendre ses intérêts en cas de pénurie », constate Fernando Pereira, expert du laboratoire hydrologique flamand.
Le gestionnaire flamand des voies navigables, De Vlaamse Waterweg (DVW), mène le combat de la gestion de l’eau sur différents fronts et y consacre une part importante de ses investissements. « Sur les 250 millions d’euros que nous investissons cette année, 46 millions vont à cette problématique, qu’il s’agisse de prévenir les inondations ou de palier un manque d’eau. Il reste beaucoup à faire, mais c’est un combat que nous menons en étroite concertation avec toutes les autres parties concernées. Car gérer l’eau est devenu un enjeu pour tous », indique son directeur opérationnel Krista Maes.
L’ensemble du réseau flamand est déjà équipé de capteurs qui permettent de suivre l’évolution du niveau de l’eau. Des investissements plus lourds sont en cours sur des liaisons comme le canal Albert, où trois complexes d’écluses sont dotés d’installations permettant de repomper l’eau vers le bief supérieur en cas de trop faible débit. Une nouvelle écluse comme celle de Harelbeke est également pourvue d’un système de ce genre et toutes les nouvelles infrastructures font désormais d’objet d’une « analyse climatologique ». Autre exemple : d’anciens méandres sur des cours d’eau canalisés sont réactivés pour faciliter la rétention d’eau. De façon plus ponctuelle, De Vlaamse Waterweg a lancé cette année un appel d’offres pour disposer de pompes mobiles en cas de besoin en ce sens sur son réseau.
La Wallonie est un peu mieux lotie que la Flandre et dispose avec les lacs de l’Eau d’Heure du plus important plan d’eau artificiel du pays et d’une réserve qui lui permet en principe d’absorber deux années sèches.
Mais sa marge de manœuvre est elle aussi sous pression. Comme le dit Philippe Dierickx, directeur du département expertises hydraulique et environnement du SPW Mobilité et Infrastructures : « La situation n’est pas encore dramatique, mais le stress hydrique est bien là et nous devons nous préparer à des problèmes plus sérieux à moyen et plus long terme. Car le changement climatique – avec sa distribution différente des précipitations et des débits répartis de manière moins régulière sur une année – se double d’une augmentation des besoins, notamment en raison de l’agrandissement d’échelle de la navigation intérieure et du plus grand gabarit des infrastructures qui en découle ».
La Wallonie ne reste pas les bras croisés. Un des axes principaux des actions en cours porte sur « l’amélioration de la gestion de l’eau en situation critique ». Cela se traduit, en particulier, par le développement d’un outil de modélisation qui permettra de centraliser toutes les informations concernant les débits de l’eau et les facteurs qui influent sur cette donne. Ce suivi continu rendra encore plus efficace la télécommande à distance des ouvrages sur le réseau qui se met en place depuis le centre Perex 4.0.
Incertitude sur un autre été sec
La région wallonne prépare en parallèle une vision stratégique à l’horizon 2050. Elle s’appuiera sur l’étude des ressources disponibles, des besoins à couvrir et des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. L’exercice n’exclut aucune piste (rehaussement des barrages, aménagements de nouveaux réservoirs, connections entre bassins, installations de pompage-turbinage…). Éviter les pertes d’eau inutiles est un des soucis majeurs dans ce contexte.
Après un hiver suffisamment pluvieux, la Belgique a connu le printemps le plus sec depuis 1901, au point que des interdictions d’arrosages et de pompage dans les cours d’eau « écologiquement vulnérables » ont été imposées dès la mi-mai 2020. Après trois étés déjà plus secs que la moyenne, on pourrait s’acheminer vers une réédition de la sécheresse de 2018. De mesures comme les éclusages groupés et les limitations de tirant d’eau pourraient alors revenir sur le tapis.
Toutefois, Fernando Pereira ne s’inquiète pas outre mesure : « Les niveaux sont bas et c’est un phénomène qui attire depuis peu beaucoup l’attention, mais qui existe depuis plus longtemps. Tout dépendra de l’évolution des précipitations dans les mois à venir. Malgré le changement climatique, il doit être possible de gérer de telles situations ».
Un consensus existe sur la nécessité de prendre des mesures structurelles pour retenir l’eau à tous les niveaux où cela est possible. Dans une interview à la télévision flamande, le professeur Patrick Meire de l’université d’Anvers, un autre spécialiste de la question, appelait aussi à un changement de mentalité : « Ce n’est pas avec une approche qui était principalement axée sur l’évacuation de l’eau pour éviter les inondations et qui a conduit aux problèmes actuels, que nous allons les résoudre ».