La transition énergétique de la flotte fluviale est un sujet qui mobilise actuellement toute la filière européenne, tendue vers l’objectif ambitieux d’une navigation zéro émission en 2050 selon l’objectif fixé en 2018 par l’Union européenne. Un horizon lointain qui nécessite des points d’étape. Une borne a été placée par les États riverains du Rhin avec la déclaration de Mannheim de 2018, qui prévoit pour les bateaux fluviaux une réduction de 35 % des émissions de gaz à effet de serre et des polluants en 2035 par rapport au niveau de 2015. Reste maintenant à mesurer précisément ces émissions, selon une méthode fiable et harmonisée au niveau européen, pour pouvoir surveiller la trajectoire de réduction suivie et évaluer ainsi les mesures prises. C’est tout le sens de la labellisation des émissions de la navigation intérieure, voulue elle aussi par les États membres de la Commission centrale pour la navigation du Rhin.
« Nous devons savoir où nous en sommes. C’est intéressant pour les pouvoirs publics qui veulent montrer leurs réalisations environnementales. C’est important pour les transporteurs qui investissent dans de nouveaux moteurs coûteux et souhaitent prouver les efforts qu’ils fournissent pour le respect de l’environnement. C’est nécessaire pour les chargeurs ou les banques, qui veulent incorporer le verdissement du transport fluvial dans leurs propres politiques environnementales. C’est pourquoi toutes le parties prenantes du Green Deal néerlandais se sont engagées dans la labellisation », explique Rens Vermeulen, ministre néerlandais de l’eau et des infrastructures. Il intervenait le 7 avril lors d’un webinaire organisé par Platina, la plateforme de mise en œuvre du programme européen Naiades, et plus précisément au cours d’une table ronde sur sur le développement d’une « boîte à outils européenne pour la labellisation des émissions et de la consommation énergétique et le calcul de l’empreinte carbone en navigation intérieure ».
Un label néerlandais dès la fin 2021
Le système proposé par les Pays-Bas comprend une double échelle d’évaluation. L’une concerne les émissions de gaz à effet de serre, avec l’attribution de lettres de A à E, la lettre A étant attribuée aux bateaux zéro émission : propulsion électrique ou, en théorie, également accessible à des moteurs utilisant des agrocarburants ou carburants de synthèse. L’autre échelle mesure les polluants atmosphériques en attribuant des chiffres selon les limites des différentes normes. Le zéro est ainsi attribué à une propulsion 100 % électrique et le 1 aux moteurs aux dernières normes EMNR ou Euro VI, tandis que le 4 signale un moteur CCNR2 et le 5 un moteur CCNR1 ou antérieur.
Des mesures périodiques seraient nécessaires pour renouveler le label : toutes les 10 000 heures pour les moteurs avec post-traitement, toutes les 20 000 heures pour les moteurs sans post-traitement. Les émissions de gaz à effet de serre sont exprimées en gramme de CO2 par kWh, ce qui est le plus simple à mesurer mais n’offre pas forcément la meilleure prise en compte de l’efficacité environnementale d’un transport. Il serait ainsi plus juste de prendre en compte la quantité de carbone émise par tonne-kilomètre : plus difficile à mettre en place, ce mode de calcul rendrait davantage justice aux efforts de massification, de double fret ou d’hydrodynamique des bateaux.
« Nous voulons améliorer encore le système, et aller vers la mesure des g/tkm pour pouvoir comparer le fluvial aux autres modes transport, précise Rens Vermeulen. Nous espérons mettre en œuvre cette labellisation dès la fin de l’année 2021. Elle ne sera pas obligatoire, mais les bateaux non labellisés seront classé E5. L’objectif de long terme est que l’ensemble de la flotte européenne soit classée A0 en 2050. Nous avons voulu faire quelque chose d’accessible, et souhaitons surtout une harmonisation au niveau européen. Il ne faudrait pas que chaque pays ait son propre système de labellisation, et nous travaillons pour cela avec tous les partenaires européens. »
Adapter au fluvial l’EEDI maritime ?
Le ministère allemand a travaillé de son côté à un autre système de mesure, qui a également fait l’objet d’une présentation le 7 avril au cours du webinaire Platina. Celui-ci se base sur le système en vigueur dans le domaine maritime : depuis 2013, l’Organisation maritime internationale a mis en place l’EEDI (Energy Efficiency Design Index) qui exprime des exigences en termes de quantité de CO2 émise par mille parcouru, selon des valeurs qui dépendent de la taille et du type de navire. L’EEDI, que le navire doit respecter par conception, est complété par un indicateur opérationnel d’efficacité énergétique (EEOI), qui permet d’optimiser l’énergie consommée par chaque navire en condition réelle d’exploitation.
Ces dispositions pourraient utilement être adaptées aux bateaux de navigation intérieure, moyennant quelques modifications pour tenir compte des conditions de navigations fluviales, note Gernot Pauli, du ministère allemand des transports, qui était précédemment ingénieur en chef à la CCNR. « Pour augmenter de façon considérable l’efficacité énergétique des bateaux, les données sur les émissions polluantes et sur la consommation d’énergie ne doivent pas se concentrer sur le seul moteur, mais sur le bateau dans son ensemble, préconise-t-il. C’est pourquoi il est important d’arriver à une mesure des émissions à la tonne-kilomètre. Les pouvoirs publics veulent connaître le rapport entre le bénéfice économique d’un mode et son impact environnemental : pour cela, le gramme par tonne-kilomètre est la bonne mesure. »
Le ministère allemand propose donc un EEDI fluvial distinguant quatre types de bateaux, ce qui nécessite des mesures à l’hélice et semble plus adapté pour les bateaux sortant de chantier. L’EEDI fluvial, en revanche, nécessite seulement le relevé périodique de la consommation de carburant et peut être adopté par la flotte existante pour la mesure des émissions de CO2. Le système fait la distinction entre les zones de navigation, tient compte de la profondeur de la voie d’eau, et distingue trajets montant ou avalant. En l’état, il s’agit uniquement d’un système de mesure des émissions de CO2. Mais il tient compte de l’efficacité d’ensemble du transport fluvial, et peut être améliorer pour inclure les émissions polluantes.
Le ministère allemand des transports souhaite aussi qu’une harmonisation des mesures de CO2 et de pollution atmosphérique des moteurs de bateaux soit faite au niveau européen. « Ma présentation ne concerne pas une décision du gouvernement allemand, mais une proposition à nos partenaires européens, précise Gernot Pauli. Nous mettons ce projet sur la table pour qu’il soit discuté et amélioré. »