La réforme du système communautaire d'échange de quotas d'émission (SEQE en français et ETS pour Emission Trading Scheme en anglais) a été rejetée par une majorité de députés européens réunis à Strasbourg en session plénière, ce qui ouvre une nouvelle période de travaux en commission pour trouver un compromis. Effet domino de ce rejet : les votes sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et sur le fonds social pour le climat ont été reportés. Ces textes sont des éléments importants de « Fit for 55 ». Explications.Huit propositions législatives (sur un total de 13) « visant à concrétiser les ambitions de l'Union européenne en matière d'action climatique » du « Paquet climat » ou « Fit for 55 » étaient inscrites à l’ordre du jour de la session plénière du Parlement européen (PE) à Strasbourg du 6 au 9 juin 2022.Le « Paquet climat » ou feuille de route « Fit for 55 » commençait ainsi son parcours au PE, depuis sa présentation par la Commission européenne en juillet 2021 avec l’objectif de réduire de 55 % les émissions de CO2 de l’UE en 2030 par rapport au niveau de 1990, étape sur le chemin de la neutralité carbone fixée pour 2050 en lien avec l’ambition de l’Accord de Paris de 2015. Les votes au PE ouvrent la voie à la suite du processus législatif entre les institutions européennes et les Etats membres.« Avec ces textes de Fit for 55, c’est pour nous, écologistes, un moment intense et attendue, soit on accélère, soit on ralentit vers une transition climatique juste. Alors que nous sommes dans une Union européenne qui ne respecte pas les objectifs de l’Accord de Paris. Nous voulons aller vers la trajectoire proposée par la Commission européenne : -55 % de CO2 en 2030. Il n’y a pas d’autre choix », avait dit Karima Delli, députée européenne (Les Verts/ALE), lors d’une conférence de presse organisée avant la session par le bureau en France du PE.
Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne (groupe Renew du PE, partie Modem en France) avait indiqué : « Fit for 55 est essentiel pour la neutralité carbone et pour être en cohérence avec l’Accord de Paris. Le mécanisme carbone prévu en est un élément important. La réforme du SEQE vise lui aussi à répondre à l’urgence climatique et le fonds social répond à la nécessité de ne laisser personnes sur le côté, d’accélérer et de protéger les plus vulnérables ».Lors de cette conférence de presse tenue avant la session, avait été aussi évoqué le texte (qui fait partie de ceux du Paquet Fit for 55) sur l’objectif de zéro émission pour les voitures et les VUL en 2035 qui lui été adopté par les députés. « Le texte adopté, qui constitue le mandat de négociation du PE avec les États membres, exprime le soutien des députés à la proposition de la Commission visant à atteindre une mobilité routière à émission nulle d’ici à 2035 (un objectif de réduction de 100 % des émissions pour l’ensemble de la flotte de l’UE par rapport à 2021 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs). Des objectifs intermédiaires de réduction des émissions d’ici à 2030 seraient fixés à 55 % pour les voitures et 50 % pour les véhicules utilitaires légers », a précisé un communiqué du PE.
Retour aux négociations en commission ENVI
A l’inverse, le texte (qui fait partie de ceux du Paquet Fit for 55) sur la réforme du système communautaire d'échange de quotas d'émission (SEQE, qui prévoit notamment une intégration des transports maritime et aérien dans ce mécanisme) a été rejeté par les députés européens, ce qui le renvoie en commission environnement (ENVI) pour une nouvelle période de travaux afin de trouver un compromis politique.Conséquence de ce rejet : les votes sur deux autres textes (qui font partie de ceux du Paquet Fit for 55) sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et sur le fonds social pour le climat ont été reportés. Ces deux textes sont en effet intrinsèquement liés au vote sur la réforme du SEQE. Le MACF a été renvoyé en commission en amont des votes sur les amendements tandis que pour le fonds social pour le climat, les députés ont voté en plénière sur les amendements et ajourné le vote final dans l’attente d’un accord sur la réforme du SEQE, précise le PE.Le rejet de la réforme du SEQE s’explique par la présentation d’un amendement du groupe PPE qui proposait un maintien des quotas gratuits jusqu’en 2034 (un amendement favorable aux entreprises, « aux lobbys industriels », disent les Verts/ALE) alors que le vote en commission ENVI avait fixé cette date à 2030 tandis que la proposition de la Commission européenne était 2035. Sachant que la date conditionne la mise en œuvre opérationnel du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (ou taxe carbone aux frontières) qui marque la disparition des quotas gratuits (« qui sont un droit à polluer », pour les Verts/ALE) accordés aux industriels.Le président de cette commission Pascal Canfin (Renew, LREM) n’a pas précisé un délai pour ces nouvelles discussions lors d’une brève conférence de presse, commentant une situation « inattendue », puis a assuré plus tard sur un réseau social : « Après l’échec aujourd’hui de la réforme du marché du carbone au Parlement européen, nous nous donnons 15 jours pour parvenir à un accord et voter cette réforme essentielle pour le climat le 23 juin ».Le communiqué de presse du PE publié le 9 juin 2022 apparaît moins définitif sur le calendrier : « La commission ENVI discutera de ce sujet la semaine prochaine avec les coordinateurs des groupes politiques, afin de trouver une voie à suivre sur les dossiers, dans le but d'adopter rapidement la position du Parlement sur les textes et d'entamer les négociations inter-institutionnelles ».
Les étapes précédentes
Cela fait plus de deux ans que les députés travaillent sur le sujet de la réforme du SEQE. En septembre 2020, le PE a voté l’inclusion du transport maritime au sein de du SEQE d'ici 2022 et l'établissement de normes contraignantes pour les compagnies maritimes afin de réduire leurs émissions de CO2 d'au moins 40 % d'ici 2030. D'après les députés, la proposition initiale de la Commission qui révisait les règles autour du contrôle des émissions de CO2 émanant des « grands » navires pour les aligner avec les règles mondiales n’était pas assez ambitieuse, compte tenu du besoin urgent de « décarboniser » tous les secteurs de l’économie.Le PE prévoit des mesures pour accompagner le secteur maritime à devenir plus propre et plus efficace : suppression progressive des fiouls lourds avec compensation via des exonérations fiscales sur les carburants alternatifs, « décarbonisation », numérisation, automatisation des ports européens, accès réglementé aux ports de l'UE pour les navires les plus polluants.Jusqu'à présent, l'UE n'exige pas que les navires réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre.La réforme du SEQE proposée par la Commission pour l’aligner avec les nouvelles ambitions de Fit for 55 (et du Pacte vert) comprend une révision des règles relatives aux quotas gratuits accordés aux industriels, et une inclusion du transport maritime dans le SEQE. Pour cette industrie du transport maritime, la Commission propose une réduction des émissions de 61 % d'ici à 2030. Du côté du PE, les ambitions sont plus élevées en diminuant davantage le nombre de quotas annuels disponibles jusqu'en 2030. Les députés en commission ENVI ont voté la disparition des quotas gratuits d'ici 2030, date à laquelle le PE souhaite que le mécanisme européen d'ajustement aux frontières pour le carbone soit pleinement opérationnel. Comme on l’a dit plus haut, c’est un désaccord sur cette date dans un amendement qui a finalement entraîné le rejet du texte alors qu’à l’issue du travail en commission, les choses ne se présentaient pas si mal.Le mécanisme appliquerait un prix du carbone aux marchandises importées de pays moins ambitieux et empêcherait les entreprises de transférer leur production vers un pays dont les règles en matière d'émissions de gaz à effet de serre sont moins strictes.Toutes les recettes du système d'échange de quotas d'émission devraient être utilisées exclusivement pour l'action climatique, tant au niveau de l'UE que des États membres, selon les députés.