Des résultats satisfaisants
Matthieu Blanc, directeur métier fluvial de Sogestran, a présenté un bilan de l’utilisation de l’Oleo 100 : « Nous avons commencé par nettoyer les cuves et tuyaux et changer les filtres à carburant, puis créé une ségrégation des circuits, alimentant un groupe avec du gasoil et l’autre avec de l’Oleo 100. L’utilisation de ce carburant n’entraîne ni colmatage des filtres, ni perte de puissance. Il entraîne une réduction visible des fumées et, après six mois d’utilisation, alors que nous craignions un effet détergent et hygrophile, nous n’avons pas constaté d’usure prématurée du moteur, que nous avons fait inspecter par le laboratoire Certam. Globalement, la diminution des particules atteint 60 à 75 %, celle du monoxyde de carbone et des hydrocarbures imbrûlés 30 à 40 %. La consommation est équivalente à celle constatée avec du gasoil. En revanche, les émissions d’oxydes d’azote ont augmenté de 30 %. Nous allons maintenant travailler avec le motoriste pour améliorer l’injection, prévoyons un post-traitement pour réduire les oxydes d’azote, et envisageons de tester d’autres carburants alternatifs comme le HVO ou le GTL ».
Carburant liquide à température ambiante, synthétisé à partir de gaz naturel, le gas to liquid (GTL) est lui aussi utilisé dans le fluvial. De nombreux bateaux, surtout de transport de passagers, l’ont progressivement adopté, le pionnier en la matière étant Batorama à Strasbourg depuis 2017. Les transporteurs de marchandises y viennent aussi, comme le carrier et cimentier Cemex qui l’a testé sur des pousseurs sur la Seine de septembre 2019 à mai 2020 et envisage d’en généraliser l’utilisation à toute sa flotte.
Son concurrent Lafarge l’utilise depuis début 2020 pour un de ses pousseurs naviguant sur le bief de Paris. Un essai totalement concluant pour Thibault Poilleux, responsable de l’exploitation de la flotte fluviale de Lafarge : « Le GTL n’use pas prématurément le matériel, ce qui était une de nos craintes. Il offre un rendement équivalent au gasoil et ne produit pas de fumée, ce qui est intéressant pour nos mariniers. C’est grâce à son indice de cétane très élevé qu’il produit moins d’imbrûlé et donc moins de pollution, ce qui est très intéressant pour les moteurs anciens non équipés de systèmes de dépollution. Il affiche la même intensité carbone que le gasoil sur l’ensemble de la chaîne de production ».
Le GTL a aussi été testé sur la vedette Le Rhône de VNF, avec des résultats très satisfaisants : réduction de 20 % des émissions d’oxydes d’azote, de 50 % des imbrûlés et de 80 % du monoxyde de carbone.
Adapter la réglementation
Au cours du webinaire, Jean-Michel Chatelier, spécialiste de la navigation fluviale au Bureau Veritas, a détaillé les avantages et les inconvénients, du point de vue technique et sécurité, des différents carburants fossiles et renouvelables. « Chaque nouvelle technologie entraîne des risques sur la sécurité ainsi que sur la fiabilité, une panne moteur posant aussi un évident problème de sécurité », rappelle-t-il. L’expert pointe aussi l’écart entre innovation et réglementation, et encourage de s’inspirer davantage des techniques développées en maritime pour les adapter au fluvial, secteur qui tire un grand nombre de ses innovations de l’expérience du transport routier. Jean-Michel Chatelier se montre, en outre, très prudent vis à vis des risques liés à l’utilisation de l’hydrogène et s’interroge : « est-ce véritablement une solution pour l’avenir ? »
La question de l’adaptation de la réglementation a été résumée par le directeur général de VNF, Thierry Guimbaud : « Un des problèmes collectifs est la relation au temps, or la dimension réglementaire est toujours très lente. Les jalons posés pour 2035 et 2050 paraissent lointains, mais le changement n’adviendra que si on les franchit dans les temps. VNF jouera son rôle de chef de cluster pour faire travailler ensemble le petit secteur que constitue le fluvial, et peser dans l’évolution de la réglementation ».
À l’instar du travail mené par la Communauté portuaire de Paris sur la flotte de Seine, la direction du bassin Rhône-Saône de VNF s’est lancée, avec IFP Énergies nouvelles (ex-Institut français du pétrole) dans une étude pour évaluer toutes les solutions énergétiques disponibles et leur adaptation au transport fluvial. « Nous procédons à une évaluation globale, du puits à l’hélice, pour trouver l’optimum pour chaque type de bateau d’un point de vue environnemental, technique et économique », indique Cécile Avezard, directrice territoriale Rhône-Saône de VNF. Nous donnerons aussi aux acteurs une idée des besoins de financements que cela engendre. Ce projet associe aussi la CNR, qui compte produire de l’hydrogène vert, la CCNR, l’Ademe ainsi que les régions afin que les territoires s’adaptent aux nouveaux besoins d’avitaillement du fluvial. L’étude étant menée « tambour battant », les premiers résultats sont attendus pour la fin de l’année.
Un automoteur à l’hydrogène à Paris fin 2021
« Dans le cadre du projet d’innovation Flagship financé par l’UE, le premier automoteur de transport de marchandises à hydrogène du monde va être déployé sur la Seine à Paris. Son exploitation commerciale est prévue pour commencer d’ici la fin de l’année 2021 », a annoncé Sogestran, début avril 2021. Le passage à l’hydrogène pour ce groupe va se faire sur un bateau de type Zulu, automoteur de 50 m, ce sera le sixième du nom et sa livraison est prévue en septembre 2021. Le Zulu 6 sera équipée d’une propulsion électrique, l’électricité étant produite par une pile à hydrogène. Un groupe diesel est aussi prévu pour parer à toute éventualité, l’utilisation de l’hydrogène en fluvial ne se faisant que sur dérogation. Le bateau utilisera de l’hydrogène comprimé, le système de conversion d’énergie étant fourni par ABB et la pile à combustible par Ballard. Les Zulu sont adaptés à la logistique urbaine : gréés, ils embarquent la marchandise en pontée et sont donc utilisables en ville pour le transport de palettes comme de conteneurs ou de véhicules de livraison de type vélo-cargo.