« La crise sanitaire, du fait des restrictions à la mobilité qui en ont découlé, a eu un impact majeur sur le secteur du tourisme, quasiment à l’arrêt à certaines périodes », rappelle la Cour des comptes dans un rapport d’évaluation du soutien de l’Etat français pendant la pandémie à cette filière économique « qui recouvre des activités aussi variés que les transports, l’hôtellerie, la restauration, les parcs d’attraction, les agences de voyage, l’organisation des jeux de hasard et d’argent, les compagnies aériennes, les foires et salons »… Les sages de la rue Cambon savent même que le tourisme comprend une dimension fluviale, utilisant le mot de « batellerie », et en le rapprochant des activités de plein air.
Un plan de soutien avec trois objectifs
Avant la crise sanitaire, « la France était la première destination touristique avec près de 90 millions de touristes et 442 millions de nuitées en 2019. (…) Le tourisme représentait 7 à 7,5 % du PIB du pays de 2010 à 2020, tandis que 320 000 entreprises et plus de deux millions de salariés y contribuaient », indique le rapport.
Tout s’est effondré en 2020 : « Les voyages touristiques ont diminué de 73 % au niveau mondial. En France, le chiffre d’affaires du secteur s’est réduit de 46 % en 2020 et 2021, une baisse inédite », continue le rapport publié le 8 février 2023.
Et ce document ajoute : « Un soutien de l’Etat au secteur du tourisme a été annoncé dès février 2020 avec 29 mesures exceptionnelles qui constituent le « plan de soutien au tourisme », dont certaines sont spécifiques au tourisme et d’autres communes à l’ensemble des entreprises. L’ambition de ces dispositifs était triple : soutenir en urgence les salariés et les entreprises pour éviter les faillites et les licenciements, créer les conditions de la reprise en stimulant l’offre et la demande touristique, transformer le secteur pour permettre la durabilité de l’activité touristique ».
Par son évaluation, la Cour des comptes a voulu savoir si ces trois objectifs avaient été atteints.
Un secteur préservé par 45,5 milliards d’euros d’aides publiques
Ce sont 45,5 milliards d’euros d’aides publiques en 2020 et 2021 qui ont été versées au secteur du tourisme, « dispensées par l’Etat et ses opérateurs (l’évaluation ne porte pas sur les mesures mises en œuvre par les collectivités territoriales, dont l’ampleur est moindre) », selon le rapport. « 98 % des entreprises ont reçu au moins une aide » sur la période de deux ans.
« Ces aides ont compensé 88 % des pertes d’excédent brut d’exploitation et 25,8 % de la perte de chiffre d’affaires du secteur. Elles ont permis de diminuer de près de 44 % les faillites d’entreprises du tourisme en 2020 et 2021 par rapport à 2019. Le niveau des effectifs du secteur du tourisme a été globalement stabilisé, avec une baisse limitée à 0,4 % entre fin 2019 et fin 2021 ».
Le premier objectif du plan de soutien a ainsi été atteint : « Les mesures d’urgence ont permis de maintenir l’appareil productif (…), ont préservé la trésorerie de la plupart des entreprises (en hausse de 65,3 % fin 2021 par rapport à 2019) et le nombre de défaillances est toujours en recul par rapport à l’avant crise ».
Une reprise lors des pauses de la pandémie en 2020 et 2021
La crise sanitaire a connu des pauses en 2020 et en 2021 avec des allègements des contraintes de distanciation, de déplacement, de couvre-feu, de fermetures administratives...
Lors de ces périodes, « grâce à l’aide massive accordée et au caractère adapté des mesures prises en lien avec les professionnels, le niveau de trésorerie du secteur du tourisme a augmenté de 50 % par rapport à 2019 et les entreprises étaient en capacité de répondre à la demande. De fait, dès la levée des restrictions de mobilité, l’activité a repris de façon très dynamique, portée par les touristes nationaux et européens, favorisée par les campagnes de promotion Destination France, et encouragée par quelques mesures de soutien à la demande », dit le rapport.
Celui-ci entre dans le détail de la reprise du tourisme en 2020 et 2021 lors des périodes où cela été possible :
- « En 2020 et 2021, les Français ont privilégié les hébergements considérés comme à moindre risque, comme la location saisonnière ».
- « En 2021, plus encore qu’en 2020, les destinations de proximité ont été privilégiées ».
- « La saison estivale 2020 a été marquée par la bonne fréquentation des activités sportives et de loisirs et des activités de plein air en général (vélo, canoë, batellerie, randonnée, découverte de la nature, etc.) ».
- « Les itinéraires cyclables de « la Loire à Vélo » ont battu des records historiques en 2020 : +34 % de passages de vélo en juillet et +9 % sur la première quinzaine d’août, un engouement confirmé au niveau national par une fréquentation cyclable en progression de +31 % en France du 11 mai au 16 août selon l’association Vélo & Territoires ».
2022 renoue quasiment avec les niveaux de 2019
Le rapport souligne que « la reprise du tourisme se confirme en 2022, l’activité retrouve quasiment les niveaux de 2019 ».
- L’une des caractéristiques de 2022 est que « la France, tout comme l’Europe en général, confirment leur attractivité auprès des touristes internationaux ».
- « La France figure parmi les trois destinations favorites à un niveau équivalent à l’Italie et proche de l’Espagne ».
- « Atout France ne relève pas de modification notable de comportement de la part des touristes français ou internationaux à cause des phénomènes de sécheresse ou de canicule ».
- Le seul bémol à la reprise des activités touristiques relève de la conjoncture globale avec «l’apparition de tendances inflationnistes liées à l’augmentation de l’activité économique mondiale après la crise sanitaire et la flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires suite à la guerre en Ukraine ». Le tout « conduit à un raccourcissement des durées de séjour et des arbitrages entre dépenses ».
Et la transition écologique ?
Parmi les défis pour toutes les filières économiques, figure la transition écologique et numérique des activités. Les mesures d’aides lors de la crise sanitaire ont-elles été l’occasion pour le tourisme de s’engager sur la voie de la durabilité des activités ?
Avant la pandémie, relève le rapport, tel n’était pas encore le cas : « La transition écologique du secteur du tourisme n’apparaissait pas comme une priorité dans le cadre des stratégies publiques d’avant crise. Cependant, plusieurs alertes avaient été données, que cela soit en calculant le poids du secteur en production de gaz à effet de serre (GES) ou en étudiant les conséquences de la fréquentation intensive sur certains territoires ».
Le document ajoute :
- « Le calcul de l’empreinte carbone réalisé par les Nations unies indique que le tourisme mondial d’avant crise était responsable de 8 % du total des gaz à effet de serre de l’humanité, dont les trois quarts proviennent des transports et 40 % du transport aérien ».
- « A l’échelle de la France, l’Ademe estime que les émissions liées au tourisme représentent 11 % de l’inventaire national d’émissions de GES dont 77 % sont imputables aux mobilités. Sur cette part, plus de la moitié résulte des déplacements en avion bien que le transport aérien ne représente que 12 % des arrivées de touristes ».
Rappelons que les conséquences écologiques des activités touristiques sont liées à trois sujets : toujours plus de touristes (« massification »), concentration sur certains territoires, pression sur les ressources.
Concernant la situation après la crise sanitaire sur l’objectif de transition écologique et numérique du plan de soutien, l’évaluation de la Cour des comptes est sans appel : « une occasion manquée de transformation du secteur du tourisme ».
« Quelques mesures, aux financements limités par rapport aux mesures d’urgence et sans cohérence réelle avec celles-ci, portaient une ambition de transformation numérique et écologique du secteur. Le « chèque numérique » de 500 euros, bien que sollicité par 18 922 entreprises du tourisme, ne semble pas avoir créé d’effet de levier pour renforcer l’usage du numérique dans les entreprises. Les dispositifs de soutien à la transition écologique ont conduit à l’amélioration énergétique de petits équipements, mais n’ont pas permis au secteur d’entamer sa transformation durable. A défaut de favoriser une véritable avancée, ces mesures constituent des préliminaires à une nouvelle dynamique de transformation : la stratégie développée dans le cadre du nouveau plan Destination France pourrait l’impulser si les professionnels du tourisme s’en emparent ».