Dans le cadre de l’étude en cours sur la transition énergétique des bateaux naviguant dans Paris, menée depuis 2019 par la Communauté portuaire de Paris (CPP), un groupe pilote de douze bateaux représentatifs de la flotte a été constitué il y a un an. Le but est d’étudier leur passage à une propulsion électrique, tant sous les aspects techniques qu’économiques. Les premiers résultats ont montré que certains bateaux, cependant, ne pourront pas naviguer en tout-électrique. Cela concerne environ la moitié du panel, pour lesquels les conditions d’exploitation ne permettent pas de se passer d’une autre source d’énergie.
C’est donc vers une solution hybride que la CPP doit se tourner afin de préserver la possibilité, à l’avenir, de passer en tout-électricité lorsque de nouvelles techniques seront disponibles. On pense évidemment en particulier à l’hydrogène, sur lequel beaucoup d’espoir est fondé mais qui n’a pas encore été mis en œuvre sur les bateaux de transport de marchandises malgré plusieurs projets en cours.
Hybridation gaz-électricité
« Le choix de se tourner vers l’hybridation ne dépend pas de la taille des bateaux, mais plutôt de la façon dont ils sont utilisés. Nous avions d’abord envisagé une hybridation incluant une motorisation électrique à laquelle le courant serait fourni par une batterie, elle-même alimentée par un générateur diesel utilisant du GTL. C’est GRDF qui nous a ensuite proposé du gaz, et plus spécifiquement du biogaz afin de parfaire le bilan carbone des bateaux », explique Olivier Jamey, président de la CPP.
Gaz réseau distribution France (GRDF) est une filiale du groupe Engie chargée de la construction et de l’exploitation des réseaux de distribution de gaz naturel. Une héritière de l’ancienne entreprise publique GDF, en quelque sorte. La plupart du gaz passant par ses tuyaux est du gaz naturel, c’est-à-dire du méthane importé par gazoduc ou sous forme liquide (GNL, refroidi à -163°C) par navire méthanier. Mais l’entreprise promeut aussi le biogaz, c’est-à-dire du méthane produit par dégradation de matière organique. Les méthaniseurs, de plus en plus fréquents dans les exploitations agricoles par exemple, produisent environ 1 % de la consommation française de gaz. Il s’agit à la fois d’une énergie durable, neutre en carbone, et produite localement ce qui est intéressant dans le cadre de la transition énergétique d’un mode de transport qui se veut environnementalement vertueux.
Stocké à température ambiante, le gaz naturel compressé à 200 bars prend l’appellation de GNV (gaz naturel pour véhicules). « En fluvial, cette technique moins complexe que le GNL est plus adaptée. Certes, il prend davantage de place à bord, mais on peut tout de même atteindre une autonomie de trois à quatre jours, voire plus », souligne Bertrand de Singly, directeur territorial de GRDF Île-de-France.
Dans la solution proposée par GRDF, la cuve à carburant prend la forme d’une bouteille de gaz fixe, à bord du bateau. Un encombrement légèrement supérieur à celui d’une cuve à gasoil est à prévoir pour une même autonomie. Deux solutions sont envisagées pour l’avitaillement : soit des stations fixes dans les ports, soit un bateau avitailleur. Des études sont actuellement menées par Total sur le sujet, mais la solution du bateau avitailleur présente le double avantage de pouvoir être déployée en zone urbaine, par exemple pour les bateaux naviguant dans Paris, et de réduire les contraintes dans l’exploitation du bateau.
Bertrand de Singly, directeur territorial de GRDF Île-de-France.
Pour Bertrand de Singly : « Le transport par camion est exclu. D’une part car ce n’est pas très efficace vue la faible densité du gaz. D’autre part car il serait dommage de ne pas s’appuyer autant que possible sur le réseau de distribution de gaz, très maillé, grâce auquel on peut distribuer ce carburant partout très facilement. Toujours pour des raisons de densité, la distribution de gaz comprimé est plus efficace en station à quai que par bateau avitailleur, c’est pourquoi la mise en place de stations d’avitaillement sera probablement retenue. Des évolutions réglementaires seront nécessaires pour autoriser l’utilisation de gaz pour les groupes électrogènes des bateaux fluviaux. Mais la question principale sur laquelle doivent encore se concentrer les études en cours est celle du coût. L’État, la région Île-de-France, ou encore la Banque des Territoires seront sollicités. La Banque des Territoires est très intéressée par le financement de la transition d’une flotte de 150 bateaux, qui représente un projet de taille. Du côté de la Communauté portuaire de Paris, on sent la volonté d’aller vite. Il s’agit de montrer l’exemple sur l’axe Seine en engageant la mue avant 2024, année des Jeux olympiques et de l’extension de la zone à faible émission. La solution hybride biogaz-électricité représente pour cela un bon compromis dont le coût, bien que supérieur à une utilisation exclusive du biogaz, reste raisonnable si l’on limite la taille des batteries ».
L’épineuse question de l’avitaillement
La question de la distribution du gaz est d’importance. Le GNV est aujourd’hui disponible dans quatre stations dans Paris, dont une située quai d’Issy. On en trouve aussi tout au long de l’axe Seine, de Montereau-Fault-Yonne au Havre, en passant par Bonneuil-sur-Marne, Gennevilliers, Limay ou Rouen. Sur l’ensemble de l’Île-de-France, on compte une centaine de stations dont 27 sont publiques, la plupart alimentant des flottes captives comme les autobus ou les bennes à ordures. La création d’une nouvelle station prend en moyenne trois ans, mais la question est surtout celle de l’espace à quai pour son installation. Quant à la disponibilité du biogaz, les projets actuellement en cours de développement permettent de l’assurer pour les dix prochaines années, en ligne avec les objectifs du gouvernement de passer à 10 % de gaz renouvelable en 2030.
Le principal défi du projet de bateau hybride biogaz-électricité vient donc bien du mode d’avitaillement, et surtout de l’adaptation des bateaux à cette nouvelle énergie et du financement de leur transition vers la propulsion électrique. Sur la partie technique, c’est le cabinet d’ingénierie Segula Technologies qui travaille à l’hybridation des bateaux. La même société travaille déjà sur le projet de barge de livraison urbaine Green Deliriver, qui utilisera un pousseur hybride gaz-électricité. L’armement Marfret s’est retiré du projet à l’automne 2020, mais Segula continue à développer le projet pour un autre client. Le bateau Green Deliriver devrait d’ailleurs arriver à maturité avant le projet de retrofit gaz-électricité de la Communauté portuaire de Paris.