« Il y a deux ans, les compagnies maritimes se plaignaient de ne pas gagner d’argent », rappelle le consultant britannique Mike Garratt qui s’exprimait lors de la conférence de la Feport (Federation of European Private Port Operators) le 1 décembre 2021, organisée à la fois en présentiel et à distance. Aujourd’hui, les bénéfices des armateurs sont tels qu’ils franchissent allègrement les quais pour conquérir les réseaux terrestres de transport, terre et rail. Comme l’explique Jordi Torrent, directeur de la stratégie du port de Barcelone, Maersk et MSC ont commencé à tisser leur maillage terrestre sans que l’on connaisse pour l’heure l’effet tarifaire de cette intégration verticale.
« À 10 000 $ le coût de transport d’un conteneur, les chargeurs des pays émergents ne peuvent pas suivre, lance Jens Roemer, directeur général d’Hartrodt, une société de transport routier. Les compagnies maritimes opèrent en bénéficiant de l’exemption de groupe, poursuivent une stratégie d’offre de porte à porte et infligent des surcharges. Les régulateurs doivent réagir à cette situation anticoncurrentielle ».
« Nous examinerons de près cette intégration et son influence sur les règles de la concurrence », promet Magda Kopczynska, directrice transport à la DG Move (autorité de la concurrence) au sein de la Commission européenne.
Jongler au quotidien
Le Covid 19 a sonné le glas du « just-in-time » et entraîné un phénomène de « stress aggravé » au sein de la communauté des transitaires qui doit jongler au quotidien avec les services dégradés, les suspensions voire suppressions d’escale, la flambée des taux de fret, les surestaries, etc.
Pire, la connectivité se dégrade. « Certains pays n’ont plus de services directs. C’est le cas de la Grande-Bretagne et de l’Italie avec le Japon », déplore le consultant Mike Garratt, rappelant que 48 % des services maritimes sont exécutés par les consortia mettant hors-jeu de nouvelles compagnies.
La situation a incité les plus grands chargeurs à affréter leurs propres navires, à l’instar d’Ikea, Coca Cola, Home Depot ou Walmart, et d’autres à opérer différemment. « Le géant du textile Inditex (Pull and Bear, Zara, etc.) peut, en fonction de la rotation des navires, basculer 20 000 EVP d’un port à un autre », souligne Jordi Torrent.
L’affrètement en propre par des chargeurs fait réagir Michael Dibernardo, directeur marketing du port de Los Angeles. Ils occupent des places à quai et ne possèdent pas de dépôts pour les conteneurs vides, une des grandes problématiques des deux ports californiens jumeaux.
Pas d’amélioration en vue
Douze nouvelles compagnies ont fait leur apparition en 2021 à Los Angeles, qui va probablement exploser ses records cette année en dépassant le cap fatidique des 10 MEVP. « Les dépenses de consommation atteignent des niveaux incroyables et la demande restera soutenue jusqu’au deuxième trimestre 2022 », s’étonne Michael Dibernardo.
Recalés sur rade jusqu’à 20 jours, les navires déchargent tardivement les marchandises avec le risque pour certains distributeurs de rater leur principale fenêtre de ventes. Le représentant du port américain éclaire, par ailleurs, d’un jour nouveau le phénomène en faisant observer que le cycle de rotation du e-commerce est bien plus rapide que dans le commerce traditionnel. Le variant Omicron pourrait relancer l’infernale machine, les achats-paniques et l’anticipation dans la reconstitution des stocks.