Rodolphe Saadé : « Toujours préparer l’avenir par des investissements »

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Rodolphe Saadé, président directeur général de CMA CGM, a été entendu pour la première fois en audition au Sénat le 20 juillet 2022, répondant à de nombreuses questions notamment sur les perturbations du transport maritime, les modes massifiés et l’intermodalité, les pistes pour permettre aux ports français de rattraper leur retard en matière d’attractivité et de compétitivité. Compte-rendu.
 « CMA CGM est une entreprise française et familiale, l’un des leaders mondiaux du transport et de la logistique du premier au dernier kilomètre. C’est un groupe patriote, attaché à la France », a dit dans son discours liminaire, Rodolphe Saadé, à la tête du troisième armement mondial depuis 2017, « fleuron français » pour reprendre les mots introductifs des présidents de deux commissions sénatoriales, celle de l’aménagement du territoire et du développement durable et celle des affaires économiques, qui le recevaient en commun le 20 juillet 2022. L’audition a duré plus de deux heures. Le pdg a rappelé l’histoire de la CMA créée par son père Jacques Saadé en 1978 après avoir quitté Beyrouth et la guerre au Liban pour Marseille. « J’avais 8 ans, mon père avait la conviction que la mondialisation, le transport maritime et la conteneurisation allait se développer. L’entreprise comptait 4 collaborateurs et un navire en location ». Aujourd’hui, le groupe emploie 150 000 salariés à travers le monde, possède 570 navires, 580 entrepôts, 6 avions-cargo. L’un des premiers faits marquants cité par ce responsable pour l’essor de l’entreprise au fil des années : 1996 avec le rachat de la CGM puis la fusion entre les deux compagnies. En 2005, c’est le rachat de Delmas, en 2015 de NOL, 2016 correspond à la signature de l’Ocean Alliance. Le pdg a mentionné la crise de 2008 comme ayant été particulièrement compliquée pour CMA CGM mais « nous avons tenu bon » avec deux entrées au capital, du groupe turc Yildrim et de la BPI qui est toujours présente à hauteur de 3 %. Viennent ensuite en 2018-2019 l’acquisition de Ceva Logistics, en 2022 de Colis Privé et de Gefco (détenu jusqu’alors à 75 % par les chemins de fer russes et à 25 % par Stellantis). Au premier trimestre 2021, a été créée une nouvelle division dédiée au fret aérien, CMA CGM Air Cargo, dotée de six avions pour le moment et six supplémentaires vont s’ajouter l’avenir. En mai 2022, CMA CGM et Air France KLM ont signé un « joint-venture commercial », selon Rodolphe Saadé, « pour sanctuariser les soutes, proposer des solutions logistiques express, pour répondre à des demandes de nos clients », avec un total prévu de 22 avions-cargo.

Vers une baisse des taux de fret, « peut-être »

Concernant les perturbations du transport maritime depuis 2020, il a indiqué que « les ajustements entre les capacités et la demande a pris du temps du côté des armateurs. La capacité réelle a aussi été freinée par l’allongement du temps d’immobilisation des navires dans les ports. La congestion portuaire et des infrastructures terrestres sous-dimensionnées ainsi qu’une pénurie de main d’œuvre ou du personnel en quarantaine ont ajouté des difficultés supplémentaires avec un pic fin 2021, début 2022 ». Il dit avoir constaté « depuis quelques semaines, un ralentissement, des stocks à leur plus haut niveau, une baisse de la consommation. J’y vois davantage un atterrissage, une normalisation plutôt qu’une récession. Nous allons peut-être vers une baisse des taux de fret ». Il tire « trois enseignements » de ces perturbations : « La résilience des chaînes d’approvisionnement passe par la mise en place d’infrastructures portuaires adaptées et performantes. La stratégie que nous suivons, toujours préparer l’avenir par des investissements, a été confortée, nous réinvestissons 90 % de nos bénéfices. Un principe du succès, c’est l’investissement. Nous avons un rôle à jouer en tant que leader mondial français en temps de crise. Le leadership s’accompagne de responsabilité ». Il a ici évoqué les mesures de réduction des taux de fret spot annoncées par CMA CGM en juin 2022 (à partir du 1 août 2022 et pour 1 an, baisse de 500 dollars par conteneur de 40 pieds à l'import en France pour les clients des grandes enseignes de la grande distribution, pareil pour tout l'import en outre-mer). Ces mesures tarifaires ont pour objectif de contribuer à l’effort de modération des prix à la consommation pour les ménages français. Interrogé lors de la séance de questions sur cette décision ainsi que sur les profits « records » de la compagnie avec la hausse des taux de fret et dans un contexte où l'idée circule à l'Assemblée nationale de taxer les entreprises qui tireraient des bénéfices de la crise (dont celles du transport maritime ou des secteurs de l'énergie), le ton du pdg s’est fait plus véhément : « Vous étiez où quand les taux de fret étaient à 350 dollars ? Et qu’on s’interrogeait sur ce qu’il fallait faire et comment on allait poursuivre les activités ? A 350 dollars, les taux de fret n’étaient pas le reflet de la réalité des coûts, ceux d’aujourd’hui ne le sont pas non plus. Le marché va trouver un équilibre. Je veux bien participer à aider pour le pouvoir d’achat et c'est ce que je fais. Reconnaissez que CMA CGM est le seul armement à avoir pris de telles mesures. Aucun de nos concurrents, danois ou suisse, n’ont fait quelque chose et, pourtant, ils desservent eux aussi la France ». Il a aussi plaidé pour la taxe au tonnage, « taxe européenne existante depuis 2003, qui nous est bénéfique. Tout changement aurait des répercussions dramatiques pour nos activités et donnerait une prime à nos concurrents asiatiques ».

« Pas de solution miracle pour le verdissement des flottes »

La protection de l’environnement est une priorité pour le groupe qui est engagé dans la transition énergétique pour ses porte-conteneurs avec le choix du gaz naturel liquéfié (GNL) « déjà 29 puis 77 d’ici 4 ans. C’est une énergie de transition qui réduit le CO2 de 20 %. Pour aller plus loin, nous avançons sur l’utilisation du biométhane, qui réduit le CO2 de 76 % et le méthane de synthèse avec lequel le pourcentage passe à 80 %. Nous avons noué un partenariat avec Engie pour travailler à la production de biométhane, actuellement insuffisante pour répondre aux besoins. Nous pensons aussi au méthanol, à un biocarburant à partir de déchets de bois. Il y a aussi l’électricité à quai ». Lors de la séance de questions, il a ajouté : « Il n’y a pas de solution miracle pour le verdissement, pour la décarbonation des activités. Il faut du temps et des investissements, c’est ce que nous faisons. Notre objectif est la neutralité carbone en 2050 ». Il a déclaré : « Je ne parle pas d’hydrogène car je n’y crois pas beaucoup pour les grands porte-conteneurs qui auraient besoin de batteries énormes. C’est la raison pour laquelle, nous privilégions les biocarburants et les carburants de synthèse. L’hydrogène est adapté à d’autres véhicules comme les poids lourds, voire des navires de plus petite taille » que les porte-conteneurs de 400 mètres de long et 23000 EVP dont CMA CGM possède 13 exemplaires. D’ailleurs, selon lui, « on a peut-être atteint une limite de taille. Les commandes actuellement concernent surtout des navires entre 10000 et 15000 EVP qui sont peut-être la norme appropriée à l’avenir ». Il a estimé que « l’assistance vélique pourrait être envisagée sur certains tronçons de certains itinéraires ».

Trois piste pour rattraper le retard des ports français

Interrogé à plusieurs reprises par différents sénateurs sur son analyse de l’attractivité et la compétitivité des ports français, le pdg a indiqué : « Leur gestion est bonne. Par rapport à d’autres ports européens, ils fonctionnent bien. Mais leurs infrastructures se saturent trop vite, comme l’a montré la période de pandémie. Il manque de la place à quai, de la main d’œuvre. Avec la hausse des volumes, il faut mener une réflexion sur comment augmenter la taille et les capacités de certains ports français. Il est possible de faire mieux. Pour rattraper le retard, il y a trois pistes : développer l’intermodalité, mettre en place des zones logistiques d’excellence, installer des équipements de soutage pour les carburants alternatifs. Le plan d’investissement doit être ambitieux. Dans les ports ultramarins, il faut moderniser les infrastructures, rehausser les niveaux des prestations de service à l’escale ». Les sénateurs l’ont aussi interrogé sur les modes massifiés, revenant sur la décision de suppression des surcoûts pour la manutention fluviale des conteneurs CMA CGM à Fos et au Havre, effective depuis le 1 avril 2022. Pour Rodolphe Saadé : « Il faut développer le fluvial mais la concurrence du transport routier est extrême. Il y a trop peu de fréquence entre Fos et Lyon. Nous sommes prêts à participer à son développement mais le fluvial a du mal à être compétitif en temps et en argent. Nous faisons au mieux pour pousser le ferroviaire qui reste plus cher que le maritime ».

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