Les dates de la prochaine élection présidentielle en France ont été fixées en avril 2022 (premier tour le 10, deuxième le 24). Dans cette perspective, l’institut Montaigne a dressé un bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron autour de 10 thématiques où les transports voisinent la santé, l’environnement, la politique industrielle, la fiscalité, l’éducation, le droit du travail, etc.
« La philosophie de l’opération vise à tirer le fil des réformes mises en œuvre depuis 2017, qu’elles aient été annoncées dans le programme du candidat ou décidées durant son mandat », explique l’institut.
Pour chaque thématique, celui-ci a fait appel « à un expert reconnu et qui est nommé » et dont la production a été relue par d’autres spécialistes du champ couvert. Pour les transports, il s’agit de Patrick Jeantet, ancien président du directoire de Keolis.
Comme les autres experts des autres thématiques, Patrick Jeantet a réalisé « un inventaire des mesures prises dans son domaine et à une évaluation de celles-ci » avec l’objectif « de présenter un décryptage impartial des actions du gouvernement, en partant des engagements pris en 2017 » par le candidat qui fut finalement élu.
L’analyse « cherche également à tenir compte des différentes crises qui ont pu marquer » les années du mandat du Président de la République Emmanuel Macron de 2017 à 2021.
Des ambitions contrariées par des « chocs »
Concernant les événements qui ont eu lieu depuis 2017, dans la note consacrée à la thématique transports disponible en ligne sur le site de l’institut Montaigne Patrick Jeantet précise : « Le contexte économique et sanitaire a particulièrement pesé sur la politique des transports. Ce quinquennat a nourri de grandes ambitions, contrariées par un certain nombre de « chocs » : la hausse du prix du pétrole entre 2017 et 2018 (+40 % en un an) qui a alimenté la crise des gilets jaunes et conduit à un gel de la fiscalité carbone ; la remise en cause de l’Accord de Paris par les États-Unis en 2017 et ses conséquences sur la dynamique de l’action climatique ; et, depuis le printemps 2020, la crise sanitaire ».
D’un point de vue général sur la période, il indique : « Les années 2017-2021 ont permis des réformes sociales et de gouvernance importantes dans le secteur ferroviaire, mais des efforts supplémentaires auraient pu être portés en matière de programmation des investissements pour mieux relier les territoires et favoriser la transition écologique du secteur ».
Deux lois adoptées
Parmi les réformes législatives au cours du quinquennat, il y a eu les adoptions de « la loi pour un nouveau pacte ferroviaire » en juin 2018 et de « la loi d’orientation des mobilités » (LOM) en novembre 2019.
Pour la première, le bilan apparaît plutôt positif. Elle « a permis de moderniser la gestion de la SNCF par trois mesures principales : la transformation de sa gouvernance en faisant passer les établissements publics au statut de sociétés anonymes, la réforme de la gestion de sa dette avec l’instauration d’une règle d’or pour garantir son équilibre économique, en n la mise en extinction du statut de cheminot, devenu obsolète. Elle adapte par ailleurs plusieurs règles de fonctionnement de la SNCF et du système ferroviaire pour préparer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire national de voyageurs, échelonnée entre 2019 et 2023 ».
Toutefois, le sujet des « petites lignes » n’a guère avancé malgré le rapport Spinetta : « La politique du gouvernement a été de continuer la politique de « non choix ». Il n’y a, à ce jour, pas de stratégie claire de l’État sur les petites lignes. La seule décision a été de réincorporer 14 petites lignes dans le réseau structurant que finance SNCF Réseau, ce qui fait peser sur celui-ci une contrainte supplémentaire ». Le bilan de la LOM est nettement plus mitigée : « une loi plus incitative que prescriptive, qui facilite et encourage mais attend des réalisations, largement à la main des collectivités locales ».
D’autre part, elle « n’inclut aucune programmation précise, année après année, financée sur 5 ans des investissements dans le domaine des transports à l’inverse de ce qui avait été annoncé lors du discours de Rennes. Publiée fin décembre 2019, sa trajectoire financière porte sur la période 2018-2022, soit un horizon de deux ans tout au plus de programmation budgétaire à compter de son entrée en vigueur ».
Des décisions éparses sans vraie stratégie
Le document revient largement sur les travaux du COI qui a remis un rapport au gouvernement le 1 février 2018 proposant 3 scénarios pour l’évolution des dépenses de transport de l’État.
Patrick Jeantet indique : « A ce jour, le gouvernement n’a retenu aucun des scénarios, se limitant à des annonces circonstancielles sans véritable stratégie d’ensemble. Il manque clairement une instance et un processus stratégique dans l’organisation gouvernementale. L’absence de stratégie et de programmation pluriannuelle des investissements de l’État dans les transports est particulièrement critique pour certaines infrastructures, comme le réseau ferré national (…) et comme le réseau routier national ».
L’auteur ajoute « s’agissant des grands travaux, ces quatre dernières années ont été le théâtre d’une superposition de décisions éparses, et non d’une vraie stratégie cohérente d’aménagement du territoire : le gouvernement, sans choisir de scénario parmi ceux proposés par le COI pour définir son niveau d’investissement pour les prochaines années, a cependant validé le CDG Express, suspendu le projet d’aéroport Notre-Dame-des-Landes, entériné le projet du canal Seine-Nord ».
Ce dernier projet a vu la signature de sa convention de financement le 22 novembre 2019 par laquelle l’État prend en charge un investissement de 1,1 Mds€, aux côtés des collectivités (1,1 Md€) et d’un soutien européen du mécanisme pour l’interconnexion en Europe (2 Mds€).
Pour le transport fluvial, Patrick Jeantet souligne également « une évolution plus favorable des investissements sur le quinquennat avec une augmentation dans la loi LOM des crédits consacrés à la régénération et à la modernisation des voies navigables (110 M€ par an entre 2019 et 2022 et 130 M€ entre 2023 et 2027). Le plan de relance prévoit par ailleurs une enveloppe de 175 M€ supplémentaires, sur deux ans, pour la régénération du réseau fluvial ».
Une stratégie nationale portuaire peu convaincante
Concernant les grands ports maritimes, « dix ans après leur réforme de 2008, ils font face au défi du maintien de leur compétitivité et de la reconquête de leurs parts de marché (…) Ils n’ont pas vu leur pilotage et leur contribution au développement économique se développer au cours du quinquennat à la hauteur des ambitions fixées par le gouvernement ».
La stratégie nationale portuaire présentée par le Premier ministre Jean Castex en janvier 2021 ne convainc pas l’expert : « Alors que le développement de l’hinterland est un désavantage des ports français par rapport à leurs concurrents, elle ne s’accompagne pas d’un engagement financier suffisant pour remédier au sous-investissement dans les modes massifiés des dernières années, avec 400 M€ sur deux ans pour le portuaire et le maritime, ce qui met en question la faisabilité de ses objectifs, notamment la réalisation d’un accroissement de 30 % de la part des modes massifiés (ferroviaire et fluvial) pour le pré- et post-acheminement d’ici 2030 (80 % étant aujourd’hui assuré par le transport routier) ».
La fusion Haropa, un point positif
Comme point positif, pour Patrick Jeantet, il y a « la rationalisation de la gestion de l’axe Seine, avec la fusion des ports de Paris, de Rouen et du Havre dans la structure unique Haropa » qui « peut néanmoins être mise au crédit du gouvernement pour le quinquennat, constituant une avancée importante en faveur du développement du trafic entre ces trois ports et notamment du relais fluvial apporté au trafic en provenance du port du Havre à destination et provenant du bassin d’Ile-de-France et de son hinterland ».
Comme il reste encore quelques mois au quinquennat d’Emmanuel Macron avant l’échéance électorale d’avril 2022, l’auteur lance : « Pour l’avenir, et dès les prochains mois, il est nécessaire d’engager plus clairement l’État en faveur de la décarbonation des transports (y compris la route), de l’accroissement de la part modale du ferroviaire électrique et d’une politique de fret décarbonée, le fret et le transport maritime étant restés les parents pauvres de la politique de transports, comme lors des quinquennats précédents ».