Le transport massifié est doublement stratégique pour le groupe Soufflet/In Vivo

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Entretien avec Lionel Le Maire, directeur transports groupe Soufflet/In Vivo. Ce groupe est un grand chargeur, utilisateur des modes massifiés, fluvial et ferroviaire, mais aussi du transport routier de marchandises. Ce responsable aborde les problématiques de la logistique terrestre pour le transport des produits agricoles (blés, orge, malt, notamment) dans le contexte de la « décarbonation » des activités.

NPI : Quelle est l’importance des modes de transport massifiés, fluvial et ferroviaire, pour la logistique des produits du groupe Soufflet/InVivo ?

Lionel Le Maire : Le transport massifié est doublement stratégique pour nous avec des produits destinés à l’export dans un marché mondial et fortement concurrentiel. La maîtrise des coûts logistiques constitue un levier de compétitivité et un élément qui conditionne la rémunération de l’agriculteur.

Nous nous battons tous les jours pour maintenir un niveau de performance et de coût de logistique terrestre qui soit raisonnable au regard de la faible valeur ajoutée des produits. Ceux-ci ne sont pas transformés et ne peuvent pas supporter des coûts logistiques trop importants.

Pour nous, dans ce contexte, la performance économique du fluvial et du ferroviaire est extrêmement importante. Et c’est pour cette raison que nous utilisons autant que possible des trains et des bateaux car sur des moyennes et longues distances, ce sont des modes qui restent, aujourd’hui, compétitifs par rapport aux camions surtout dans le contexte inflationiste du transport routier de marchandises.

L’autre intérêt du transport massifié est évidemment la réduction de l’empreinte carbone qui s’inscrit désormais dans la stratégie du groupe InVivo et de l’ensemble de ses activités y compris transport. C’est la raison pour laquelle, plus que jamais, nous nous appuyons sur les deux modes massifiés.

NPI : Expliquez-nous ce que cela signifie pour le ferroviaire et le fluvial ?

Lionel Le Maire : Nous continuons à investir dans le ferroviaire, notamment via des co-financements pour les lignes capillaires dans le Grand Est, en Bourgogne-Franche Comté, dans les Hauts-de-France. Depuis 2020, le groupe In Vivo s’est réengagé entre 1,7 et 2 millions d’euros de Capex pour la régénération de lignes capillaires. Nous participons aussi chaque année aux frais de maintenances annuels au travers d’une cotisation d’environ 2 euros la tonne.

Ainsi, au-delà de la « décarbonation » et des impératifs de compétitivité et de maîtrise des coûts, le ferroviaire est aussi un mode de transport exigeant en termes d’engagement financier. Nous faisons l’effort car nous sommes engagés à double titre. D’une part, au travers de l’ambition de « décarboner » qui n’est pas gratuite. D’autre part, nous sommes dans les métiers de l’agriculture et le ferroviaire est ici un un outil au service du développement des territoires. Dans des zones agricoles reculées, il reste bien souvent seulement le ferroviaire pour sortir les produits et maintenir encore une activité économique significative.

Quant au fluvial, nous sommes basés à Nogent-sur-Seine, la Seine s’est naturellement imposée à nos activités. L’utilisation du fluvial s’inscrit aussi dans notre politique de « décarbonation ».

Nous cherchons depuis toujours à développer, à maintenir et à amplifier le transport fluvial car il permet des coûts attractifs par rapport au camion. Mais il est aussi vertueux : un bateau, c’est quatre et cinq fois moins de CO2 émis à la tonne transportée par rapport à un camion.

NPI : Qu’en est-il du transport routier ?

Lionel Le Maire : Depuis deux à trois ans, nous sommes confrontés à des tensions capacitaires pour le transport routier de marchandises qui s’expliquent par plusieurs phénomènes. Il y a un manque de chauffeurs, un vieillissement si l’on considère la pyramide des âges, c’est un métier qui n’attire plus les jeunes.

Nous faisons face à un déficit de moyens qui limite structurellement l’offre de transport, concourt à une augmentation des salaires des chauffeurs et donc à un essor des coûts. Et depuis deux ans, il se rajoute une inflation sur les équipements et les consommables.

Pendant longtemps, le transport routier a été abondant, pas cher et considéré comme une variable d’ajustement par les chargeurs. Il devient une denrée rare qui coûte de plus en plus chère et rend d’autant plus indispensables les solutions massifiées compétitives et performantes.

NPI : Vous êtes engagés dans la démarche Fret 21, pour quelles raisons ?

Lionel Le Maire : Nous sommes dans la démarche Fret 21 pour l’activité malterie qui livre des clients brasseurs qui sont des marques internationales comme Heineken ou Carlsberg, de plus en plus sensibles aux impératifs de réductions des émissions des activités. Ils mettent un peu la pression sur leurs fournisseurs pour qu’ils s’engagent concrètement dans des politiques de « décarbonation ».

Nous sommes dans la troisième année de la démarche Fret 21 qui nous permet de profiter d’une solution éprouvée avec une méthode de comptabilisation des émissions de CO2 qui a fait ses preuves.

Nous nous appuyons sur cet outil pour nous « challenger » aussi en interne sur notre capacité à répondre à des critères exigeants en matière de réduction de CO2. Cela crée une dynamique très positive. Nous sommes en passe d’atteindre l’objectif de -5% de CO2 fixé au terme des 3 années.

NPI : Pouvez-vous expliquer le partenariat avec Europorte et le groupe Avril ?

Lionel Le Maire : Pour le ferroviaire, nous venons de nous engager dans un partenariat pour utiliser un biocarburant, l’Oleo 100, homologué B100, sur des flux ferroviaires opérés par Europorte, soit une centaine de trains par an, dont 70 roulent pour la malterie. On a discuté pendant un an pour parvenir à un accord.

Cette démarche n’est pas neutre : rouler au B100 coûte plus que cher que le gazole non routier. Mais nous sommes leader sur notre marché, nous nous devons de montrer l’exemple.

Nous avons souhaité contribuer à l’effort collectif de « décarbonation » et montrer que même le ferroviaire peut opérer une mue et afficher une performance environnementale améliorée.

C’est par l’affirmation d’action très concrète qu’on arrivera à avoir un effet d’entraînement auprès d’autres industriels. Nous sommes un leader et nous pouvons avoir « un effet locomotive » en quelque sorte.

NPI : Avez-vous des projets de « décarbonation » pour le transport routier ?

Lionel Le Maire : Nous disposons en propre d’une flotte d’environ 130 camions. Nous avons commandé quelques véhicules compatibles B100. Dans les prochains mois, nous allons démarrer des flux avec ce biocarburant pour nous faire une culture générale sur le sujet, avoir un retour d’expérience pour voir si on peut le généraliser.

La difficulté porte sur l’avitaillement des camions en B100 avec peu de station-service, ce qui implique des contraintes d’exploitation et d’organisation. Mais nous allons lancer l’expérimentation et si elle conclusive en termes de rentabilité, nous accentuerons l’utilisation du B100.

Comme tout chargeur, nous sommes convaincus que la « décarbonation » passe par un mix énergétique, en piochant parmi toutes les solutions différentes disponibles pour réduire l’empreinte carbone. En plus du B100, nous regardons avec intérêt le biogaz notamment pour les livraisons urbaines mais aussi l’hybride/électrique même si pour le moment l’investissement est hors de portée sauf peut-être pour un pilote. Notre politique de « décarbonation » pour le TRM s’appuie donc sur un mix énergétique, en commençant avec le B100.

Sachant que le premier levier de « décarbonation » du TRM, c’est l’optimisation des chargements, la mise en place de synergie entre les transporteurs pour réduire les kilomètres à vide. Sans oublier l’éco-conduite qui est acquise depuis plusieurs années et fait partie du fonctionnement normal d’une entreprise de transport même s’il faut régulièrement rappeler les bonnes pratiques.

NPI : Est-ce que vous tentez aussi de convaincre les transporteurs routiers auxquels vous faites appel de « décarboner » leurs flottes ?

Lionel Le Maire : Dans le cadre de Fret 21, nous incitons certains de nos transporteurs à s’engager dans la démarche Objectif CO2.

Nous avons aussi une politique d’acteur responsable en intégrant dans notre référencement de prestataires une obligation de référencement pour nos fournisseurs transporteurs pour qu’ils s’engagent dans le « verdissement », soit en adhérant à des démarches comme Objectif CO2 ou en prévoyant d’investir dans du matériel plus performant. Ce dernier point nous oblige à évoluer vers des relations plus durables avec des prestataires, à leur donner de la visibilité car les investissements sont élevés.

Cela signifie sortir d’une relation binaire qui a longtemps prévalu entre un chargeur qui dicte sa loi à un transporteur pour rentrer demain dans une logique de partenariat où le transport est intégré comme un levier dans la chaine logistique et non plus considéré comme une variable d’ajustement.

Le double enjeu de la tension capacitaire et de la « décarbonation » nous oblige à repenser nos relations et nos collaborations avec les prestataires pour les intégrer davantage dans nos schémas logistiques et dans les choix opérationnels que nous ferons demain.

 

Chiffres clés

Pour le fret ferroviaire :

  • 500 à 600 trains complets par an, soit un tonnage approximatif 750000 à 800000 tonnes, principalement des céréales (blés, orges).
  • 80% des trains affrétés sont à destination de silos portuaires (Rouen et La Rochelle) à partir desquels nous exportons vers des pays tiers
  • 20% des trains affrétés concernent des flux plus industriels, soit pour approvisionner des malteries en orge de brasserie ou transporter du malt en sortie des malteries pour des sites industriels.

Pour le fret fluvial :

  • 1,3 à 1,5 millions de tonnes de céréales sont transportées par la voie d’eau chaque année.
  • 75 à 80% de ce tonnage est réalisé sur l’axe Seine à destination des silos portuaires de Rouen pour de l’export. C’est entre 25% et un tiers du trafic céréalier sur la Seine.
  • Le solde se répartit dans le Nord à destination du Bruxelles, sur la Moselle pour le Nord Bénelux.

 

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