« Le premier semestre 2023 a connu son lot de crises, a relevé Didier Léandri, président délégué général d’Entreprises fluviales de France (E2F), lors de l’assemblée générale de cette association représentative le 7 juillet 2023. Une crise sociale avec des mouvements de grève contre la réforme des retraites entraînant un blocage sporadiques des voies navigables et plus long sur le Rhône, les émeutes. Une crise climatique qui affecte le réseau fluvial de manière localisée, maîtrisée dans la mesure du possible pour en réduire l’ampleur ».
« Les perspectives indiquaient que 2023 pouvait être plutôt positive même si certains acteurs, comme Cemex ou Lafarge, allaient faire face à une pause des chantiers du Grand Paris utilisant la voie d’eau. Et puis est venue la période des grèves. Une journée de grève, un transporteur fluvial met 4 jours à s’en remettre. Dès la fin janvier, la baisse du chiffre d’affaires était comprise entre -10 et -15% et, à la fin mars, il manque des millions d’euros et les résultats d’exploitation sont négatifs pour les armateurs comme pour les artisans. Cela signifie des difficultés pour investir ; se tourner vers le futur devient plus compliqué. Le mois de mai a vu une amélioration, juin a été plus normal. On espère conclure l’année de manière plus conforme au budget et enchaîner sur 2024 sans trop de perturbations », a indiqué Mathieu Blanc, directeur métier fluvial du groupe Sogestran et vice-président d’E2F.
Concernant le bilan de l’année 2022, selon E2F :
- le tourisme fluvial a retrouvé « à peu près » son niveau d’activité d’avant la pandémie, ce qui est « une satisfaction et une marque de résilience ».
- le constat pour le fret est « plus contrasté », marqué par une instabilité des marchés, des tensions économiques liées à la guerre en Ukraine, la mise en pause des chantiers du Grand Paris utilisant la voie d’eau qui devraient repartir en 2025.
Sans oublier un phénomène « d’aspiration de la flotte des bassins de la Seine et du Nord-Pas-de-Calais vers des marchés plus dynamiques » (Europe centrale, par exemple) mais qui semble toutefois se tasser dernièrement.
Quelles sont les préoccupations actuelles ?
« La préoccupation immédiate des entreprises de la filière fluviale porte sur le volet économique, la hausse des coûts de carburant, une inflation généralisée qui touche les frais de maintenance et la construction. Il y a également une difficulté à recruter persistante. Nous attendons un appui des pouvoirs publics, en observant que nous l’avons sur les sujets d’infrastructures mais nettement moins sur le plan strictement économique pour les entreprises. Les modes massifiés ne sont pas tous logés à la même enseigne », a dit Didier Léandri.
Les difficultés à recruter constituent une autre préoccupation des entreprises. « Le manque d’attractivité de la profession et des métiers est le principal frein au développement de la filière qui est frappée par une pénurie de personnel depuis la sortie de la crise du Covid 19 », a relevé Didier Léandri.
Si ce phénomène n’est pas spécifique au transport fluvial, « la situation a toutefois une particularité à notre secteur d’activité : nous avons à appliquer une réforme des qualifications professionnelles suite à une directive européenne. Cela a provoqué une inertie incompatible avec les besoins immédiats du secteur, une modification assez profonde de la gestion RH. Tout cela affecte le modèle des entreprises quelle que soit leur taille ».
La réforme des qualifications professionnelles « constitue une barrière à l’entrée de la profession », selon Didier Léandri, et les moyens d’obtenir une modification des modalités d’application de cette mesure européenne est à l’étude. Le ministère des transports français a été alerté.
Cette réforme est entrée en vigueur le 14 mai 2022 en France, par la transposition de la directive 2017/2397 du 12 décembre 2017. Le texte fixe, entre autres, des conditions de passage des examens, notamment de pilote, qui allongent « considérablement » les temps de formation préalable.
« Nous sommes très inquiets sur la formation dans le nouveau contexte de cette réforme, a ajouté Mathieu Blanc. Pour devenir capitaine aujourd’hui, il faut justifier de 60 à 80 jours de navigation avec la nouvelle règlementation. C’est un souci aussi dans les autres pays européens. Nous sommes face à un mur pour que les capitaines obtiennent leur permis de conduite de bateau ».
La difficulté est d’autant plus importante actuellement, avec la filière tourisme de nouveau à plein régime et le fret ne pouvant plus compter sur des effectifs disponibles en provenance de cette partie de l’activité du transport fluvial. En France, il manquerait entre 50 et 100 capitaines.
Quelles sont les priorités pour l’avenir ?
La « décarbonation » constitue l’un des sujets à prendre en compte par les acteurs du transport fluvial, « qui ont été précurseurs », a rappelé Didier Léandri, « en étant les premiers à signer des engagements pour la croissance verte », les ECV en juillet 2021.
Deux ans plus tard, l’assemblée générale 2023 a d’ailleurs été l’occasion pour six nouveaux signataires de parapher à leur tour les ECV : Norlink, Medlink Ports, Batorama, la compagnie des Lacs d’Annecy, Soufflet/In Vivo, la Communauté portaire de Paris (CCP).
La feuille de route de la filière fluviale d’ici 2035 s’articule autour de trois axes : remotorisation, utilisation de biocarburants, branchement électrique des bateaux lors des escales à quai.
« Nous savons où nous voulons aller, à quel rythme et comment. Mais dans un environnement économique difficile, le défi est de parvenir à une trajectoire bas carbone à coût constant ou à modèle économique stable. Le financement est fondamental », a souligné Didier Léandri.
La hausse du PAMI passé de 200 à 300 millions « demeure insuffisante aux regards des objectifs de décarbonation », il faudrait un doublement de ce montant, estime E2F.
Autre mesure réclamée : « inciter au renouvellement de la cale » en levant la taxation sur les plus-values, une législation fiscale française « dissuasive » qui n’existe pas dans les autres pays européens.
Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris avec la cérémonie d’ouverture et la parade des athlètes le 26 juillet 2024 sur la Seine constitue « un défi, un vecteur de cohésion, de montée en compétences » mais représente aussi « une contrainte sur l’activité des entreprises ».
L’événement sportif ne doit pas neutraliser l’activité économique, en particulier du transport de fret, plus particulièrement celui des céréales au moment où celles-ci passent par la Seine et Paris pour rejoindre Rouen.
Il faut aussi qu’il en reste quelque chose en héritage après les JOP en termes d’image, d’innovation, d’attractivité pour le fluvial.
Les infrastructures, toujours incontournables
« Les infrastructures restent un talon d’Achille, davantage sur le petit gabarit, un peu moins sur le grand gabarit », selon Didier Léandri.
Les projets structurants, Seine-Nord Europe, l’accès fluvial direct à Port 2000, avancent. Un programme de réhabilitation est en cours. Mais « on ne voit pas encore le résultat des travaux sur le terrain en matière d’amélioration de service. C’est la raison pour laquelle le ressenti des transporteurs n’est pas forcément à la hauteur des investissements en cours ».