La commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire multiplie les auditions

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A l’Assemblée nationale, devant la commission d’enquête sur « la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir », c’est un défilé de responsables politiques et économiques d’hier et d’aujourd’hui. Les auditions entamées un peu avant la mi-septembre s’échelonnent jusqu’à courant octobre. Le point sur les auditions du ministre des Transports Clément Beaune, des dirigeants de Rail Logistics Europe et de Fret SNCF hier, de la Première ministre le 19 septembre.

Le principe d'une commission d'enquête parlementaire relative à la « libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir » a été approuvé par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale le 27 juin 2023. Elle a été formellement composée le 19 juillet avec David Valence (groupe Renaissance) en tant que président et Hubert Wulfranc (Gauche démocrate et républicaine) comme rapporteur. Les autres groupes politiques ont apporté un soutien à la mise en place de cette commission.

Une commission d’enquête pour quoi faire ?

La commission d’enquête s’est fixé un vaste champ de travaux : bilans des plans de relance successifs depuis le début des années 2000, de l'ouverture à la concurrence mise en œuvre à partir de 2006. Ce décorticage du passé explique la venue en audition de responsables politiques (Jean-Claude Gayssot, et autres anciens ministres des transports) et économiques d’hier mais aussi d’aujourd’hui (Clément Beaune, ministre actuel des transports le 13 septembre, voir encadré). En effet, la commission d'enquête veut également comprendre le potentiel futur du fret ferroviaire vu comme une solution de « décarbonation » par rapport au transport routier.

Le résultat des travaux de la commission devrait être des recommandations notamment en termes d’opportunités de croissance des opérateurs du fret ferroviaire, d'investissement dans les infrastructures, de complémentarité avec les autres modes de transport…

Cette commission d'enquête parlementaire s’inscrit dans la suite de l’enquête de la Commission européenne déclenchée en janvier 2023 sur des aides (qu’elle considère comme publiques et donc illégales par rapport aux règles européennes) reçues par Fret SNCF et les réponses du gouvernement (« solution de discontinuité ») pour éviter une condamnation à cette entreprise qui signerait sa faillite et la disparition de 5000 emplois.

Quatre lignes rouges

Le 18 septembre, Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe, et Jérôme Leborgne, directeur général de Fret SNCF, ont été auditionnés. Créé en 2021, Rail Logistics Europe est le pôle du groupe SNCF qui chapeaute les activités de fret et de logistique ferroviaires avec 5 filiales : Fret SNCF, le réseau des Captrain, VIIA, Naviland Cargo, Forwardis.

Frédéric Delorme, dans son propos introductif a précisé :

  • « Le chiffre d’affaires de Rail Logistics Europe atteint 1,7 milliard d’euros, c’est le deuxième opérateur européen. Sur ce total, Fret SCNF représente 750 millions d’euros et présente un équilibre en 2021 et 2022, ce qui ne s’était plus produit depuis longtemps. Son activité est à 48% en France et à 52% à l’international.
  • Le fret ferroviaire a été longtemps en difficulté particulièrement en France, pourquoi ? Du fait de la désindustrialisation, de la concurrence peu accompagnée par des politiques publiques qui ne prenaient pas en compte la disparité entre le rail et la route qui est que la route ne paie pas ses externalités négatives.
  • Il y a une renaissance du fret ferroviaire depuis la pandémie qui a été une période de prise de conscience. Il s’ajoute les urgences climatique et énergétique, les besoins pour la réindustrialisation du pays. Le fret ferroviaire est immédiatement disponible pour relever ces défis.
  • Il y avait deux options avec l’enquête de la Commission européenne : soit un remboursement des 5 milliards d’euros ce qui signifie la fin de Fret SNCF, soit un scénario de discontinuité qui respecte 4 lignes rouges :
    • Pas de licenciement,
    • Viabilité économique,
    • Pas de report modal inversé (si Fret SNCF disparaît, c’est un million de poids lourds en plus sur les routes),
    • Pas de privatisation.
  • Nos voisins européens ont des parts marché plus élevées du fret ferroviaire que la France car les opérateurs y bénéficient de soutiens plus importants et des contraintes sur le transport routier de marchandises, par exemple pour les traversées alpines.
  • En France, le choix est de ne pas opter pour du pollueur/payeur, il faudrait aller plus loin dans le « non pollueur, plus aidé ». Par exemple : aider les transporteurs routiers vertueux allant vers le ferroviaire pour du combiné rail-route ».

Où en est l’avancement du scénario du gouvernement ?

A la place de Fret SNCF, le plan du gouvernement est de créer 2 nouvelles sociétés : l’une pour les activités fret de gestion capacitaire, l’autre pour la maintenance, sans oublier la cession de 23 flux à d’autres opérateurs avec les moyens associés (locomotives, personnel). Avec la cession des 23 flux, soit 6 milliards de tkm, c’est une perte de 30% des trafics, 20% du chiffres d’affaires. Ils représentent une dizaine de clients. Pour Frédéric Delorme, l’objectif est de retrouver ces 20% perdus dès le 1 janvier 2025.

Selon Jérôme Leborgne, directeur général de Fret SNCF :

  • « La première priorité porte sur les 10% des agents (soit 270 conducteurs) concernés par la perte des 23 flux, il s’agit de les reclasser en interne.
  • La deuxième priorité est de développer l’activité de l’entreprise qui prendra la suite de Fret SNCF pour des trafics qu’on appelle de « gestion capacitaire » : c’est un système industriel de trains en tapis roulant sur les grands axes qui irrigue les territoires et transporte tous les types de format du wagon isolé au trains complet au coupon. Ce système favorise le report modal, la réindustrialisation, le « verdissement » des activités.
  • La nouvelle entreprise ne sera pas tout à fait comme les autres car elle conserve une dimension d’intérêt général en réalisant des transports pour l’armée française, la filière du nucléaire…
  • Sur les 23 flux, on sait déjà que 3 vont être repris par un opérateur ; pour les autres les échanges sont en cours, le transfert peut être lissé sur 1, 2 ou 3 ans. Ce qui explique la possibilité pour le train des primeurs de pouvoir être cédé à partir de juillet 2024 seulement. 
  • Il n’y aura sans doute pas de report modal inversé pour ces 23 flux car ils intéressent les autres opérateurs et les clients souhaitent aussi maintenir la solution ferroviaire ». 

Lors de son audition, le 19 septembre, Elisabeth Borne, Première ministre, également ancienne ministre des Transports, a déclaré : « Nous n’acceptons pas de jouer à la roulette russe pour l’avenir de Fret SNCF et de ses salariés. La transformation est importante mais préserve la cohérence d’activité de l’entreprise, une intégration au sein du groupe SNCF, l’identité publique de la nouvelle entité. La nouvelle structure vise à pérenniser et à développer le fret ferroviaire en France, c’est une solution d’équilibre et raisonnable. Elle permet d’éviter le remboursement d’une aide d’Etat qui signerait la mort de Fret SNCF et pérennisera l’intégralité du cœur de métier de l’entreprise ».

 

« Ni sabordage, ni abandon, ni résignation »

Clément Beaune, ministre des Transports, a passé son audition devant la commission d’enquête le 13 septembre 2023 :

  • « La vision d’ensemble est d’organiser et de sécuriser l’avenir du fret ferroviaire au moment de la transition énergétique de notre pays. J’ai la conviction très profonde dans l’avenir du fret ferroviaire. Nous ne voulons ni un sabordage, ni un abandon, ni une résignation vis-à-vis fret ferroviaire y compris public. Il y a des perspectives, l’Etat les soutient et les soutiendra.
  • Les investissements et les soutiens existent depuis plusieurs années et ont été renforcée ce printemps 2023 : aides à l’exploitation (ou aides au fonctionnement) passant de 170 millions d’euros à 200 millions le 1 janvier 2025 et pérennisés jusqu’en 2030 ; aides à l’investissement d’un montant de 4 milliards d’euros entre 2023 et 2032, dont la moitié supportée par l’Etat qui compte sur les régions pour contribuer à la même hauteur dans le cadre des négociations en cours des contrats de plan Etat-région.
  • La procédure ouverte par la Commission européenne est une difficulté majeure et un défi majeur. Elle fait peser un risque existentiel sur Fret SNCF, opérateur public central du fret ferroviaire en France. Ce qui est en jeu, c’est le risque d’un remboursement de 5,3 milliards d’euros d’aides que la Commission européenne considère comme illégales pour la période 2007 à 2017. Ce n’est pas l’Etat qui devrait rembourser mais l’entreprise elle-même. Nous ne pouvons pas l’ignorer et rester sans rien faire.
  • Le choix que nous avons fait est de négocier le plus vite possible, et non dans la précipitation, un accord avec la Commission européenne pour lever le risque, à certaines conditions et avec l’accompagnement d’un plan d’investissement. Trouver un accord est le meilleur facteur pour sauvegarder et développer le fret ferroviaire d’un opérateur public comme Fret SNCF.
  • Nos trois conditions sont : préserver l’emploi dans une structure publique dans un scénario de discontinuité, garder un opérateur public avec un capital majoritairement public, éviter le report modal inversé. Il y a des activités à céder, l’équivalent de 20% du chiffre d’affaires ».

 

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