« La route de l’ardoise », des voyages de bois… Sous l’impulsion d’associations, une batellerie bretonne renaît de ses cendres, tirant dans son sillage les collectivités gestionnaires. Petite histoire des acteurs et des projets.
« Nous voulons montrer que les bateaux sont encore vivants pour que les pouvoirs publics s’occupent mieux des canaux », alerte Claude Rabet. Agé de 81 ans et 48 ans après son dernier transport, le doyen des mariniers bretons cherche encore des marchandises. À Redon, carrefour fluvial où il préside l’Association des amis de la batellerie de l’Ouest (Ambo), le marinier remue ciel et terre pour réveiller le réseau fluvial, endormi depuis les années 1970. Il suit la dynamique finistérienne qui a réussi à mobiliser la région pour tester quelques frets de bois.Isolés géographiquement du réseau national, les fleuves et canaux bretons sont, depuis 2010, sous gestion régionale. Après une longue gestion départementale, la Bretagne développe le tourisme sur les 500 km navigables. Le réseau est coupé en deux secteurs : une zone Nord-Ouest, finistérienne, et une zone à l’Ouest et au Sud couvrant l’Ille-et-Vilaine, les côtes d’Armor, le Morbihan… Entre les deux, la rupture du barrage de Guerlédan sur le canal de Nantes à Brest représente le stigmate d’un coup d’arrêt politique.
« On revient de loin, c’était un vrai carnage ».
Yannick Daniel se souvient de l’état des canaux quand il les a découverts en 2006. En arrivant dans le Finistère après un passé de « pénichard » dans la région parisienne, il se penche sur le réseau breton : « À cette époque, il n’y a aucun bateau navigant, aucun chantier et peu d’outils de navigation pour les plaisanciers ».Il parcourt la région en quête d’une péniche bretonne. Beaucoup ont été acquises par les collectivités. Il achète la Patricia au gabarit breton (26,5 m, 4,5 m) et crée un chantier pédagogique pour la retaper. Parallèlement, la CCI lui commande un rapport sur l’état des canaux finistériens. Un autre suivra pour la région Bretagne. Les écluses manuelles sont dégradées et l’envasement est important. Avec d’autres passionnés, ils créent l’association « les Navigantes ». En 2017, ils lancent un défi : « La route de l’ardoise ». L'événement festif annuel a comme objectif de mobiliser et défricher entre Port-Launais et Carhaix sur le canal de Nantes à Brest. À chaque édition, ils bataillent pour avancer et passer les dix écluses. « Ce rendez-vous sur l'eau est toujours un grand succès, nous avons eu jusqu’à 15 bateaux».L’enthousiasme gagne le territoire et le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard. Claude Prigent, PDG de la société Yprema, basée à Carhaix, se positionne. Sa fondation est propriétaire de la péniche Rosily, une coque de 20 m en aluminium qui a longtemps travaillé en région parisienne. Une expérience est lancée avec la région qui passe commande pour charger 180 m3 de bois élagué sur 90 km de chemin de halage de l’Aulne. L’équipage est renforcé, une grue est embarquée. Étienne Poupinet, technicien environnement, passe son permis pour piloter. Il s’investit pour développer le fluvial : « Le réseau breton est complexe mais il y a du potentiel ». L’Ademe s’intéresse à l’expérience pour développer une filière bois-énergie. Aujourd’hui, l’assocaiation les Navigantes se développe, jusqu’à créer un centre de formation.
Du cabotage au fluvial : du transport de proximité
Ailleurs, d’autres essais. Parti en solo, l’architecte Romain Guilleux se reconvertit. Entre 2017 et 2019, il tente de monter un projet de fret fluvial. Sans succès. « Je n’avais pas de bateaux et les entreprises n’ont pas creusé le sujet. Peut-être que je m’y suis mal pris ». À l’Ouest, entre mer et terre, d’autres militants de la mobilité douce cogitent. Pierre-Yves Glorennec avec son association Avel Marine porte un projet de transport fluvio-maritime. Axé sur les circuits courts entre Saint-Malo, Dinan, Rennes et Redon, le projet mise sur les échanges de proximité. « Nous imaginons des comptoirs pour développer une logistique entre la route, les voies fluviales et les routes maritimes de cabotage». Ils ont deux bateaux et développent la conception de moteurs à air comprimé. Bénévoles, ils cherchent encore des fonds.
« Je ne suis pas pour le green washing »
Sur l’avenir du fret fluvial en Bretagne, les services de la région restent sur la réserve. « La concurrence du camion a eu raison du transport fluvial », argue Véronique Veron, chargée de mission sur les voies navigables à la région. « Aujourd’hui, il n’y a pas de projets rentables, il faudrait trouver des pondéreux. Et je ne suis pas pour le « green washing » ». La collectivité assure un tirant d’eau d’un mètre.« Si on gratte les canaux, on pourra passer ! », répond Claude Rabet, le marinier incontournable. À Redon, avec le musée, il s’est occupé longtemps de patrimoine et de culture. Carrefour fluvial, la commune est propriétaire du Pacifique et du Condorcet gérés par l’Ambo. Aujourd’hui, l’association veut suivre le mouvement. «Nous avons chargé du bois et un peu de sel à la revente directe. Bientôt des pommes de terre», relève l’ancien marinier. Il se souvient des dernières années de transport de gravier et de sable. « Nous avons eu du transport varié comme les pommes, la pâte à papier, le bois, le charbon ». Pour lui, le problème d’aujourd’hui reste le même qu’hier : « Une histoire de volonté ».