Des artisans-bateliers européens inquiets des nouveaux standards ES-TRIN pour les bateaux jusqu’à 1500 tonnes

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Des investissements insoutenables ou des normes inapplicables : pour conserver les bateaux existants, des artisans-bateliers de plusieurs pays européens réclament une révision des nouvelles prescriptions techniques à effet rétroactif de l’ES-TRIN. La France va porter leur voix prochainement au sein du CESNI.

« Europe, sauvez la navigation intérieure », c'est le titre du rapport de l'enquête (2023) menée par l’association de bateliers néerlandais Algemeene Shippers (ASV) sur les effets de l’expiration, à long terme, des dispositions transitoires de l'ES-TRIN (Standard européen établissant les prescriptions techniques des bateaux de navigation intérieure).

L’enquête s’interroge sur la survie des bateaux jusqu’à 1500 tonnes lors de l’application des nouvelles normes européennes prescrites par le Comité européen pour l’élaboration de standards dans le domaine de la navigation intérieure (CESNI).

Pour les trois pays cibles, (Allemagne, Hollande, Belgique), l’enquête montre que « sur les 4433 bateaux à cargaison sèche (néerlandais, allemands et belges), 3 148 ont été construits avant 1976. 71 % des bateaux seraient dans une impossibilité économique de se mettre aux normes ».

Quel est le contexte ?

En France, Agir pour le fluvial (APLF) mobilise ses adhérents, s’inquiétant des mesures applicables dès 2025. Dans sa communication, la fédération pointe :

  • le « risque majeur qu’une partie de la flotte soit retirée du circuit »,
  • et, en conséquence, le risque de « report de tonnage sur la route ».

Le 5 juin 2023, lors d’une rencontre avec la DGITM, il a été décidé d’entamer les négociations pour supprimer certaines mesures au sein du CESNI.

Amorcé il y a 20 ans dans un objectif de modernisation de la flotte intérieure européenne, l’ES-TRIN renouvelle, depuis 2015, ses prescriptions techniques visant à améliorer la sécurité des bateaux et leur impact écologique.

Si les échéances des mesures transitoires s’échelonnent entre 2025 et 2050, certaines devront s’appliquer sans délai de temps mais pour une nouvelle construction, un remplacement ou une transformation d’une partie du bateau (NRT).

Quelles sont les mesures contestées ?

Les mesures contestées pour les unités de « petits gabarits » concernent majoritairement la superstructure du bateau : largeur des plats bord, hauteur de pont, taille des aménagements intérieur, nombre de lits et de douches, cloisons d’abordage et de coqueron arrière, mais aussi des éléments de sécurité sur les moteurs comme des gaines impossibles à installer sans changer le moteur si non proposées par le fabriquant.

Concernant les mesures NRT :

  • Aucun logement ou équipement nécessaire à la sécurité du bateau ou à son exploitation ne doit se trouver en avant du plan de la cloison d'abordage ni en arrière du plan de la cloison de coqueron arrière, (au plus tard lors du renouvellement du certificat de bateau de navigation intérieure, après le 1er janvier.2045).
  • Les proues des bateaux doivent être construites de sorte que les ancres ne dépassent ni en totalité ni partiellement de la coque des bateaux, (au plus tard lors du renouvellement du certificat de bateau de navigation intérieure, après le 1.1.2041)

« Il y a au total 139 exigences de construction neuve auxquelles les bateaux existants doivent répondre avec un effet rétroactif, précise Sunniva Fluitsma, porte-parole dASV. Dès 2001, une étude allemande montrait que les coûts s’élèveraient en moyenne à 300 000 euros mais seraient beaucoup plus élevés pour les bateaux plus petits et plus anciens. Certaines normes seraient techniquement impossibles à mettre en œuvre sur les bateaux existants ».

Des clauses de rigueur (dérogations) représentent actuellement le seul recours possible prévu par la Commission centrale de navigation du Rhin (CCNR). « Les artisans-bateliers doivent investir sans savoir si la clause sera accordée. Au cours des dix dernières années, seuls deux bateaux l'ont demandée », poursuit Sunniva Fluitsma.

Face à ce risque, la DG MOVE (Direction générale de la mobilité et des transports de l’UE) a demandé des données pour insuffler « une grâce générale » à la prochaine commission du CESNI/PT (groupe de travail relatif aux prescriptions techniques du CESNI). L’enquête néerlandaise a été réalisée en réponse à cette demande.

Quelle est la position de la France ?

Pour Guillaume Gorges, adjoint à la cheffe de bureau du transport fluvial au ministère de l’écologie, et représentant de la France au CESNI/PT :

  • « En 20 ans, le renouvellement des bateaux n’a pas eu lieu. La position actuelle de la France est de proposer de supprimer des prescriptions transitoires pour les bateaux, mais jusqu’à quelle taille ?
  • Une solution serait de lever la valeur transitoire sur certains standards et de privilégier l’intérêt écologique en conservant des bateaux anciens. Mais l’aspect économique pèse : si tous les bateaux n’investissent pas, cela créera des distorsions économiques ».
  • « Les petits gabarits ne sont pas majoritaires sur le Rhin où la navigation est la plus dangereuse et où les mesures sont les plus courtes dans le temps.
  • En France, pour un bateau qui réalise des voyages à l'international, le gabarit optimal est celui du canal du Nord (55 m, 80 m). Ces bateaux plus modernes pourront absorber plus facilement les nouveaux travaux.
  • Dans une vision collective, conserver les mesures pour ces bateaux représente un atout économique ».

C’est le sens de la position qu’il présentera lors du prochain CESNI/PT.

Quel est l’enjeu ?

Pour les artisans bateliers qui travaillent avec les bateaux concernés, l’enjeu est de maintenir la diversité d’offre de la cale, sa flexibilité pour répondre aux besoins des chargeurs, une nécessité encore plus importante dans le contexte de la transition énergétique et le rôle que peut jouer le fluvial en tant que mode de transport respectueux de l'environnement.

« Alors que l’Europe incite au verdissement des modes de transport, cette vision signe la fin des artisans : les infrastructures n'ont pas évolué à la vitesse escomptée et les chargeurs ont toujours besoin d'une diversité de cale. La cale artisanale fluviale offre une flexibilité encore non égalée », estime Didier Carpentier, artisan-batelier à l’international.

« Ce sujet est majeur. Différents modèles s’opposent. Les artisans-bateliers ont conservé un modèle familial alors que les compagnies veulent attirer des équipages dont les exigences diffèrent, notamment sur les conditions de logement. Elles souhaitent par conséquent une amélioration des standards. Si nous ne connaissons pas les positions de l'Allemagne et la Suisse, ce clivage apparait déjà entre les différents représentants des transporteurs », note Guillaume Gorges.

« Il est indispensable de préparer l'avenir et assurer la transition en construisant de nouveaux bateaux à petit et moyen gabarit, répondant aux nouvelles normes. Il faut conserver les bateaux toujours en capacité de rendre le service de transport avec tous les avantages environnementaux du mode fluvial », indique Jean-Marc Samuel, président d’APLF :

Sunniva Fluitsma conclut: « La navigation intérieure entretient trop bien ses bateaux, ils durent trop longtemps, ce qui devient économiquement indésirable ».

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