De l’optimisme, sous conditions, pour l’avenir des ports français

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Malgré leur constat sur le manque de performance et de résultats des ports français et dont le modèle économique est à bout de souffle, les deux sénateurs, Martine Filleul et Michel Vaspart, restent optimistes pour l’avenir de ces actifs stratégiques, à condition que l’Etat sorte de son inertie et que la prise de conscience de l’importance des modes massifiés s’impose.

Après six mois de travaux, les deux sénateurs en charge de la mission d’information relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes, Martine Filleul, présidente, et Michel Vaspart, rapporteur, ont présenté les conclusions de leur rapport ainsi que leurs propositions et recommandations lors d’une conférence de presse le 2 juillet 2020 au Sénat.

Le constat est sans appel, selon les propos de Martine Filleul : « Les performances et les résultats ne sont pas au rendez-vous. Côté trafic, les ports maritimes français sont, aujourd’hui, à leur niveau de 2000. Ils ne se sont pas imposés comme des acteurs majeurs au niveau européen. Les 7 GPM plus le port de Calais atteignent un total de 312 millions de tonnes pour 470 millions de tonnes à Rotterdam et 238 millions de tonnes à Anvers en 2019. Leur modèle économique est à bout de souffle ». Michel Vaspart abonde : « Les tableaux présentés dans le rapport montrent que les trafics sont en baisse depuis 2008, avec un léger rebond en 2017-2018. Le nombre d’escales est en constante diminution depuis 2003 dans les GPM ». A cette situation, qui ne date donc pas d’aujourd’hui, s’ajoutent des éléments plus récents comme les grèves dans les ports en lien avec la réforme des retraites en décembre 2019 et janvier 2020, la crise économique post-Covid-19 dont les effets ne sont pas encore complètement connus à ce jour.

Une trop faible massification

Comment en est-on arrivé là ? Ce n’est certes pas faute du côté du Sénat ni de l’Assemblée nationale d’avoir alerté à de nombreuses reprises par la remise de différents rapports sur la situation des ports maritimes français et la nécessité d’agir au cours des 5 dernières années.

« Nous en sommes là pour plusieurs raisons : la désindustrialisation du pays, la restructuration du secteur pétrolier, la conjoncture économique globale, les coût plus élevés du passage portuaire en France qu’ailleurs, une image de mauvaise fiabilité persistante, des dessertes ferroviaires et fluviales des ports insuffisantes », a énuméré Martine Filleul, ajoutant : « En France, la faible massification des pré- et post-acheminements par le fer et le fleuve empêche les ports maritimes d’étendre leur hinterland. On est toujours dans le chacun pour soi, sans conception des flux dans le cadre d’une logistique globale. C’est un problème qui dépasse les ports, c’est un problème national. Seulement 30 % du fret passe par le fluvial alors que c’est un mode de transport fiable et écologique ainsi qu’un levier de compétitivité ».

Le rapport n’oublie pas la solution mise en place au GPM de Dunkerque en 2016 qui a lissé le surcoût de la manutention fluviale, ce qui a permis une multiplication par deux du trafic fluvial. La déclinaison dans les autres GPM d’une solution similaire souvent évoquée demeure lettre morte. 

Deux programmes financiers

« Nous dénonçons l’inertie de l’Etat vis-à-vis des ports. Nous avons un Etat comptable, gestionnaire et qui n’est pas stratège », a ajouté Martine Filleul. Annoncée en 2017, la stratégie nationale portuaire se fait toujours attendre. Il n’y a pas non plus de stratégie maritime. Les deux sénateurs ont indiqué ne pas avoir reçu de réponse claire sur l’état d’avancement de la stratégie portuaire ni sur son contenu. Ils recommandent la création d’un « conseil national portuaire et logistique associant l’ensemble des acteurs » pour concevoir et mettre en œuvre un nouveau modèle logistique.

Alors, « il y a urgence à inverser la tendance pour les ports. Un plan de relance est nécessaire. Il faut investir lourdement dans les infrastructures ferroviaires et fluviales d’accès aux ports ». La mission propose donc la mise en œuvre d’un plan de soutien portuaire de 150 millions d’euros par an sur 5 ans et un doublement des moyens consacrés par la Lom au renforcement du report modal vers les transports massifiés pour renforcer la desserte des ports par le fer et le fleuve, soit 5 milliards d’euros sur 10 ans. Ces deux programmes financiers « doivent améliorer la compétitivité des ports français, les accompagner dans la transition écologique de l’économie nationale, favoriser les relocalisations industrielles afin de soutenir les trafics ». Au total, « les propositions de la mission conduisent à un doublement des moyens dédiés aux ports français, soit 7,3 milliards d’euros sur 10 ans au lieu de 3,7 milliards d’euros si les divers crédits restent inchangés ».

Le rétablissement des ports français passera également par la poursuite de leur ouverture vers leurs territoires mais aussi par une meilleure coordination avec les ports intérieurs.

« Il faut travailler sur la complémentarités des ports maritimes français mais aussi européens », a continué la sénatrice estimant que « la France n’est pas suffisamment présente au niveau de l’Union européenne pour défendre ses ports » ni sa présence maritime dans les océans. Le pays doit faire en sorte de tirer un meilleur parti des opportunités de financements européens. Elle appelle à « avoir une stratégie portuaire au niveau européen pour rester compétitif au niveau mondial » dans le contexte d’une présence chinoise de plus en plus importante avec les « nouvelles Routes de la soie » et le risque de voir des actifs stratégiques comme les ports passer entre les mains d’entreprises de l’empire du Milieu, sur le modèle de ce qui se passe en Italie, par exemple.

Régler le sujet de l’aide à la pince en la triplant

Il est revenu ensuite à Michel Vaspart de détailler les 10 propositions qui se déclinent en 3 axes.

Le premier axe vise à « améliorer le pilotage stratégique et la gouvernance des GPM ». Cela passe par l’établissement de contrat d’objectifs et de performance (COP) et de lettres de mission aux directeurs généraux ainsi que par le renforcement de l’incitation à la performance dans les rémunérations de ceux-ci. Une autre proposition de cet axe entend « redonner du poids aux acteurs économiques dans les conseils de surveillance d’où ils sont absents. Partout, nous avons entendu que la direction des ports n’entend pas, n’écoute pas les acteurs privés ». Pour Michel Vaspart, le représentant de ces acteurs économiques pourrait être le président de l’union maritime et portuaire du port. Il est aussi proposé que l’Etat soit représenté seulement par le préfet de région plutôt que par les membres multiples actuels « qui sont une aberration et restent chacun dans leur silo ».

Le deuxième axe entend « renforcer la compétitivité des ports en agissant sur un triple volet financier, juridique et social ». C’est dans cet axe que figure la proposition d’accroissement et d’amélioration de la desserte des places portuaires par les modes massifiés. Concernant ces derniers, l’aide à la pince n’est pas oubliée : « Nous souhaitons régler ce sujet. Nous souhaitons tripler cette aide avec une mesure restrictive au départ d’un port français pour une destination française ».

Il est proposé d’augmenter la prise en charge par l’Etat « des frais qui relèvent de ses compétences » dans les ports, sur le modèle de ce qui a été fait pour le dragage, a indiqué Michel Vaspart. Il a évoqué « d’autres dépenses fixes non commerciales qui pourraient être prises en charge par l’Etat », citant les redevances domaniales, les frais de capitainerie, de sûreté, l’entretien d’équipements.

La question de l’extension de la CCNU aux ports intérieurs est posée

Sur les aspects sociaux, Michel Vaspart a précisé : « En échangeant avec les représentants des principaux syndicats, nous avons senti qu’il y a une prise de conscience sur l’importance de redresser l’image des GPM. Nous ne remettons pas en cause le statut des dockers. Concernant l’extension de la CCNU aux ports intérieurs, nous posons le problème et appelons à une prise de décision rapide ».

Le troisième axe prévoit d’anticiper les défis à venir en proposant notamment d’accompagner les ports dans la transition écologique et numérique, de clarifier la politique tarifaire des GPM en matière de droits de port et de diversifier leurs recettes domaniales à travers de nouvelles actions de valorisation. Concernant les « nouvelles Routes de la soie », il est proposé « d’établir une réponse coordonnée au niveau européen » et de nommer en France « une personne qui serait en veille permanente, rattachée au Premier ministre ».

Confiance et optimisme sous conditions

Répondant à une question sur Haropa, Michel Vaspart a indiqué : « L’intégration est difficile entre les trois ports dont deux sont maritimes et un grand port intérieur. Jusqu’à présent, ils ne travaillent pas beaucoup ensemble, ils n’ont pas vraiment de stratégie commune. Mais il y a plutôt désormais une bienveillance des uns et des autres pour une gouvernance commune et une gouvernance plus locale ».

Interrogés par NPI, sur leur vision de l’avenir des ports maritimes français et des modes massifiés malgré le constat sévère, les deux sénateurs ont fait part de leur optimisme pour l’avenir.

Pour Michel Vaspart : « Car nous sommes au pied du mur. Il y a aussi une prise de conscience des organisations syndicales sur la nécessité de regagner des parts de marché, d’agir pour redorer l’image des ports français, j’espère que ce n’est pas seulement de la communication. Je suis plutôt confiant car nous sommes dans un domaine économique, avec des emplois et des entreprises en jeu. Je suis optimiste à une condition : les gouvernements doivent considérer que 85 % des marchandises passent par les ports et que ce sont des outils stratégiques pour le pays. Concernant plus particulièrement le fluvial, il y a le projet de canal Seine-Nord Europe et nous devons nous y préparer ».

Pour Martine Filleul : « Je suis raisonnablement optimiste car il y a une dimension environnementale et écologique réellement à l’œuvre. La Lom a déjà engagé des évolutions. Nous ferons tout pour faire prendre en compte les transports massifiés dont le fluvial dans les années à venir ».

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