Un premier bateau de Coalis naviguera dans un an sur la Seine avec des moteurs électriques et un groupe fonctionnant au biométhane. Ce rétrofit fait office de démonstrateur pour le « verdissement » de la flotte parisienne, qui mise sur le bio-GNC pour effectuer sa transition vers un transport fluvial sans émission.
Le groupe d’ingénierie français Segula Technologies réfléchit depuis de nombreuses années à l’utilisation du gaz comme carburant par les bateaux fluviaux. C’est ainsi qu’est né le projet Greendeliriver, en 2016, d’une réflexion menée en commun avec la Communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise, qui comprend notamment la ville fluviale de Conflans-Sainte-Honorine. Il s’agissait, dès le départ, de concevoir un bateau adapté à la logistique urbaine, acheminant au cœur des villes de petits véhicules de livraison, et fonctionnant de façon hybride avec un groupe utilisant du biogaz pour produire l’électricité nécessaire à l’alimentation du moteur et un pack de batterie pour un fonctionnement zéro émission en navigation urbaine.Le concept d’origine, issu des travaux de Segula sur l’usine du futur, prévoyait l’embarquement à bord de Greendeliriver de petits modules électriques capables d’effectuer de façon autonome le dernier kilomètre jusqu’au point de livraison. En 2018, un consortium avait été constitué comprenant, outre Segula et la communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise, Haropa, VNF, GRDF, Total, Saint-Gobain, le Syctom et le chantier naval Seine & Oise. Il ne manquait à ce projet qu’un armateur fluvial : Marfret s’y est intéressé, puis s’en est désengagé en novembre 2020, à la fois par manque de perspectives économiques et par manque de capacités humaines pour le mener en temps de pandémie. L’armement marseillais n’exclut pas cependant de revenir vers un projet de bateau propre, nécessaire pour entrer dans Paris.
Coalis relève le défi
C’est désormais le commissionnaire de transport Coalis qui porte le projet, avec l’idée de commencer par remotoriser un automoteur existant lui appartenant : le Sydney, campinois de 700 t naviguant déjà sur la Seine pour des transports de matériaux vrac. « La remotorisation permet d’avancer plus rapidement pour faire naviguer le bateau dès fin 2022 ou début 2023. Aujourd’hui nous sommes toujours en phase d’études, et travaillons à obtenir la dérogation administrative nécessaire pour utiliser comme carburant le GNC, qui n’est pas encore autorisé en fluvial », explique Anne-Christine Lombardi, directrice des projets collaboratifs de Segula. Le Sydney, remotorisé en hybride gaz-électrique avec un petit pack de batterie pour pouvoir naviguer sans émission dans Paris, reprendra ensuite du service sur la Seine et sera affecté en priorité à des chantiers liés aux Jeux olympiques de 2024.Le Sydney sera ainsi le premier bateau remotorisé au gaz, suite à l’étude sur le verdissement de la flotte parisienne, menée notamment par la Communauté portuaire de Paris. « L’idée d’économie circulaire est très importante dans le projet, car on utilise pour alimenter les bateaux du biogaz issu de sites de méthanisation. La présence au sein du consortium de Total, qui exploite déjà plusieurs stations gaz dont une à Gennevilliers, permettra de déployer de nouveaux points d’avitaillement lorsque le nombre de bateaux le justifiera. Dans un premier temps, pour le Sydney qui constitue un démonstrateur, l’avitaillement en gaz se fera par camion », précise Anne-Christine Lombardi.Le retrofit du Sydney devrait être suivi d’un second projet réunissant Coalis et Segula : la construction en neuf d’un pousseur et d’une barge innovante, soit la concrétisation d’un projet proche du Greendeliriver initial. Il s’agira d’un pousseur hybride électrique et bio-GNC ainsi que d’une barge innovante et personnalisable en fonction des clients : vrac, conteneurs, véhicules électriques de livraison, etc. Doté d’une rampe RoRo s’adaptant à toutes les hauteurs de quai et d’une grue pour la manutention des marchandises, le bateau pourra embarquer à la fois du vrac, des conteneurs et des véhicules au cours du même voyage. Une solution adaptée au transport de marchandises dans Paris, où il n’est souvent pas possible de laisser à demeure sur les quais des engins de manutention.« Le pousseur comme la barge seront construits au Chantiers de la Haute-Seine car nous tenions à ce qu’ils le soient dans un chantier français. Ce pousseur entrera en service fin 2024, ainsi que la barge qui pourra emporter 1 000 t de marchandises ou 40 véhicules électriques. Le montage financier de ce projet est en cours, avec un client qui s’engage sur des volumes et sur une durée. Nous pourrons ensuite mettre ce bateau à disposition d’autres clients. Lorsque l’on verra le Sydney naviguer au GNC et participer à la construction du village olympique, cela devrait susciter l’engouement de la clientèle et des bateliers pour le verdissement de la flotte ! », indique Aurélie Davenel, présidente de Coalis.
Surcoût maîtrisé
Le projet mené par Coalis et Segula répond à la demande des entreprises pour un transport fluvial plus propre. Il présente un surcoût par rapport aux solutions actuelles d’utilisation du diesel en navigation, mais cela n’est pas insurmontable selon Aurélie Davenel : « Beaucoup d’entreprises ont des pénalités en fin d’année liées aux émissions de CO2. Cela peut permettre de financer le surcoût d’un transport fluvial propre, qui est limité par l’engagement de volume pris par nos clients sur ce bateau ».Pour Anne-Christine Lombardi : « Toute solution de verdissement est nécessairement plus chère que le diesel. Nous aurions pu faire le choix de l’hydrogène, mais l’hydrogène fossile coûte sept fois plus cher que le bioGNC. Le prix du retrofit vers le gaz est aussi plus intéressant que celui vers l’hydrogène. Il faut des solutions exploitables à court ou moyen terme pour envisager de développer quatre bateaux fonctionnant au gaz sur la Seine d’ici 2026. Or à ce jour, l’hydrogène ne permet pas une autonomie suffisante, ce qui oblige à embarquer beaucoup de batteries. Avec le GNC et de petites batteries, nous atteignons l’autonomie nécessaire à la navigation sur la Seine ».Segula développe aussi pour le Syctom le projet d’un bateau citerne pour le transport de déchets. Ce bateau, qui sera mis en service vers 2025, fonctionnera aussi au gaz.