Le « retour d’une navigation commerciale sur le canal du Midi » a été le thème de l’atelier organisé par Agir pour le fluvial (APLF) avec le soutien de la préfecture de région Occitanie, le 28 novembre 2023 à Gardouch.
Laurent Cyrot, directeur de projet canal du Midi auprès du préfet de la région Occitanie, a indiqué que le plan de gestion Unesco du canal du Midi, approuvé en 2021, prévoit une action (la n°28) pour la promotion et la relance du fret fluvial sur cette voie d’eau. Mais, pour lui, « le transport fluvial doit trouver son modèle économique pour se développer, et il restera un marché de niche aux côtés du tourisme qui a pris son essor depuis la fin du fret, avec les risques de conflits d'usage qui en découlent. L'enjeu est d'identifier et d'animer le réseau économique pour développer l'offre et la demande ».
L’atelier s'est tenu dans un contexte plus général aussi pour le canal du Midi :
- une image écornée avec l’abattage des platanes,
- une baisse de la fréquentation touristique,
- une crise climatique et énergétique qui incite les entreprises à rechercher des solutions pour diminuer leur empreinte carbone dont le transport est souvent l’élément le plus important,
- la logistique est au cœur de la transition : ZFE, multimodalité, relocalisation.
En chiffres. En début de réunion, il a été rappelé des éléments chiffrés du passé pour éclairer le potentiel à l’avenir :
- 630 000 tonnes en 1973, c’est le pic du trafic,
- Environ 200 bateaux au début du siècle dernier, 100 en 1972,
- 160 tonnes voire jusqu'à 170 tonnes peuvent être transportées par un bateau sur le canal,
- Types de marchandises : produits agricoles et pétroliers, papier, arsenic…
Mouillage garanti. Entre 1975 et 2017, le mouillage garanti sur le canal du Midi est passé de 2,00 m à 1,40 m, sur le canal de Garonne, de 2,20 m à 1,60 m. La conséquence en est une réduction de la capacité de chargement :
- de 170 tonnes à 130 tonnes sur le canal du Midi,
- et de 250 tonnes à 200 tonnes sur le canal de Garonne, avec une impossibilité de connecter Toulouse à Bordeaux du fait de la non-réhabilitation de la pente d’eau de Montech.
Autres conditions matérielles. Pour Jean-Marc Samuel, président d’APLF, l'origine de cet atelier émane de multiples échanges sur le développement du fluvial au cours de réunions avec VNF, à Toulouse, au siège à Paris où avait été rappelée l'importance de la préservation des quais et du foncier en bord de voie d'eau.
A l'occasion des voyages effectués entre Sète et Bordeaux, principalement ceux organisés avec l'association Vivre le canal, il a commencé à dresser la liste des points potentiellement aptes à recevoir des chargements ou déchargements de marchandises sur le canal des Deux Mers. « Pour développer le transport fluvial, si la question économique est centrale, les conditions matérielles le sont aussi ». Parmi celles-ci, il y a les conditions de navigation ainsi que les lieux de chargement/déchargement qui sont les « points durs lors des expérimentations ou des transports ».
Pour Jean-Marc Samuel :
- Délivrer une liste des lieux identifiés n'avait de sens que dans le cadre d'une réflexion commune entre VNF, les collectivités et les acteurs du transport afin d'élaborer un plan d'actions pour soutenir une relance du transport de marchandises sur le canal.
- « Schématiquement, l’activité de transport fluvial n’est possible que si nous réunissons deux conditions : un environnement technique et matériel répondant aux besoins des transporteurs et un équilibre économique pour les chargeurs et les transporteurs (le bilan économique du transport fluvial étant fortement dépendant de l’environnement matériel qui lui est proposé). Un autre facteur apparaît en filigrane, c’est la dépendance du mode fluvial aux décisions politiques, au niveau local, national et européen ».
Le rôle des associations. D’autres acteurs jouent toutefois un rôle pour la relance du fret fluvial sur le canal du Midi, ce sont les associations. Parmi elles, Vivre le Canal, créée en 2012, pour participer au développement de l’activité sur le canal du Midi, « à un moment où l’idée même du transport fluvial avait disparu des imaginaires ». L’un de ses axes de travail a été l’accompagnement au développement de l’activité fret : mise en réseau, études, communication et animation auprès des collectivités, des politiques et des acteurs économiques. L’association a affrété le bateau Tourmente pendant plusieurs années lors des « Voyages entre Deux Mers » pour relier Bordeaux à Sète avec des expositions et des rencontres entre acteurs politiques, économiques, associatifs.
Des expérimentations autour des produits alimentaires. En 2020, des réunions à Damazan puis Bordeaux ont permis de faire naître l’idée d’expérimentation auprès des acteurs de l’agroalimentaire en Nouvelle Aquitaine, mus par la volonté commune d’utiliser la voie d’eau pour plus de cohérence avec leurs activités. Le fil conducteur est : « De la graine à l’assiette, si tous les segments sont qualitatifs, le transport reste un ‘impensé’ ».
Les premiers tests de transports (nommés « Garonne fertile » en 2021 et en 2022) ont eu lieu en chargeant un bateau avec différents produits issus du Lot-et-Garonne (notamment deux coopératives Manger Bio Sud-Ouest et Biocoop) destinés à des points de restauration privé et collective dans la métropole de Bordeaux. La marchandise a été palettisée et déchargée au centre-ville de Bordeaux. Ces expérimentations ont pu être réalisées grâce à des partenariats privés-publics et la bonne volonté de tous les acteurs.
Une évaluation a été financée par VNF (dans le cadre du PARM), mettant en exergue des manques au niveau de l’infrastructure (absence de quais libres) et le besoin de créer un modèle économique en optimisant le remplissage d’une cale de bateau et les voyages retour. L’objectif est désormais de transformer l’essai.
Intérêt écologique et volonté du chargeur. Au cours des années 2000, d’autres expérimentations de transport sur le canal du Midi ont été réalisés par la SAS L’équipage.
Jean-Marc Samuel explique : « La principale motivation qui nous a incités à travailler à partir de 2000 sur le transport de marchandises par voie fluviale est son intérêt écologique : demande en énergie plus faible que la route, réduction des émissions de CO2, peu ou pas de bruit, pas d'accident, pas de congestion et un bilan carbone particulièrement faible avec la longévité des bateaux et des moteurs, quasiment illimitée pour les coques, 20 ans pour les moteurs. Pour définir vers quels marchés se tourner pour charger un bateau, il fallait déjà prendre en compte l'état de l'infrastructure telle qu'elle est aujourd’hui, sans émettre comme préalable le retour de l’infrastructure dans l’état qui correspondait à l’époque florissante du transport. Dans tous les cas, le recours au transport fluvial s'inscrit dans une démarche volontariste du chargeur sur le volet environnemental, mais aussi des politiques publiques ».
D’autres tests avec d’autres marchandises. La SAS l’Equipage a mené en 2014 un test qui a validé le tirant d’eau, d’air et tonnage pour un transport de transformateur pour le compte de la société Haeger et Schmidt ; en 2016, a réalisé un chargement de balles de carton collectées par l'association MP2 à Lézignan-Corbières ; en 2017, a effectué un transport d’un transformateur de Lyon à Port la Nouvelle (chargement de 100 tonnes) suivi d’un deuxième en 2021 entre Lyon et Bordeaux (chargement de 120 tonnes).
En 2023, deux expérimentations ont eu lieu :
- 32 palettes de café pour les cafés Di Costanzo de Arles à Toulouse. « Le coût du transport était environ 3,5 fois plus cher que la route. Nous pouvons supporter une hausse jusqu’à 20% du prix, voire 1,5 fois », a dit Etienne Gavanier pour les cafés Di Costanzo.
- 140 m3 de déchets de bâches plastiques agricoles depuis l'écluse de l’Avance jusqu’à Palavas pour Adivalor. Le coût de ce premier transport est à peu près le double du coût routier mais ce chargeur a décidé de réaliser d’autres transports en 2024.
Constats partagés. Les prises de parole à la suite de ces présentations d’expérimentations depuis plus de 10 ans maintenant montrent plusieurs constats partagés :
- Gilles Daenen pour l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) : « Il y a de moins en moins de mariniers, pas assez de flux retour ». Les transitaires proposent principalement des camions pour simplifier les transports. « Besoin de sensibilisation ». Beaucoup d’études sortent, sans suite, avec une approche trop théorique. « Cela doit se conclure par une faisabilité opérationnelle ».
- Florent Dupré pour la Coopérative de navigation de transports et services associés : « Le fluvial a un avenir bien qu’il ait des difficultés. Tout est paramétré pour la route mais passer au fluvial c’est gagner du temps. C’est aussi un gain ».
- Toni Nicolay pour la société Hager et Schmidt : « Partout en France, les sites qui ont longtemps servi au fluvial sont aujourd’hui réservés à d’autres activités du fait des faibles quantités de transports ». La problématique du post-acheminement persiste : « Nous avons à faire à des approches archaïques. Mais on pourrait discuter des heures sur ce qu’il manque à faire mais… il faut faire ».
Et il y a une constante lors de la réalisation des expérimentations quand le bateau est déchargé sur un quai en centre-ville à Bordeaux, à Toulouse, à Sète : la population est présente, souvent enthousiaste, se demande pourquoi ces opérations restent exceptionnelles. De quoi insuffler de l’énergie à tous les acteurs pour poursuivre à l’avenir.
Lire aussi :
Logistique urbaine fluviale à Bordeaux : freins et opportunités
Sète : premiers pas vers une logistique cyclo-fluviale
Mission fleuve de Bordeaux Métropole : coopérer sur la voie d’eau