La Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) a organisé un colloque le 6 décembre 2023 à Strasbourg pour dresser un bilan de la « Déclaration de Mannheim », cinq ans après son adoption le 17 octobre 2018 par les cinq pays (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, France, Suisse) signataires de la convention révisée pour la navigation du Rhin.
Par la « Déclaration de Mannheim » du 17 octobre 2018, les cinq pays ont fixé de nouveaux objectifs à la CCNR pour la transition écologique de la navigation intérieure en lui confiant l’établissement d’une feuille de route pour atteindre le « zéro émission » en 2050 avec une phase intermédiaire de réduction de 35% des gaz à effet de serre et polluants atmosphériques d’ici 2035 par rapport au niveau de 2015.
Un premier compte-rendu a présenté les échanges du colloque du 6 décembre sur les travaux réalisés au cours des cinq dernières années par la CCNR (études, rapports, feuille de route, voir article de NPI) qui ont permis de déterminer l’ampleur des défis et des enjeux techniques, technologiques, réglementaires, financiers, humains, pour atteindre les objectifs de « décarbonation » fixés pour le « verdissement » de la filière fluviale à l’échelle européenne.
La Déclaration demandait aussi à la CCNR de « promouvoir le développement de la numérisation, de l’automatisation et autres technologies modernes afin de contribuer ainsi à la compétitivité, à la sécurité et au développement durable de la navigation intérieure ». Des présentations lors du colloque ont abordé ces thématiques en partant de la situation du personnel employé dans la filière.
Marché du travail. Lors du colloque de la CCNR le 6 décembre, il est revenu au représentant de la délégation suisse Florian Röthlingshöfer d’aborder « les défis du marché du travail de la navigation intérieure », dont l’une des caractéristiques est d’être international mais aussi peu documenté.
Les données brutes au niveau européen indiquent 24 000 emplois dans la partie transport fluvial de marchandises et 40 000 dans la partie passagers/tourisme. En matière de données nationales, Florian Röthlingshöfer a pris l’exemple de l’Allemagne : d’un pic à près de 8000 emplois en 2012, ce nombre est tombé à presque 6000 en 2020 soit une baisse de 20% des effectifs en huit ans. Il faut aussi relever que plus d’un tiers du personnel présente un âge dépassant 55 ans.
Manque d’attractivité des métiers. Les enseignements sur la situation de la main d’œuvre dans la navigation intérieure européenne ne sont pas nouveaux : vieillissement de la pyramide des âges, manque d’attractivité des métiers qui demeurent mal connus. Les faire mieux connaître auprès des jeunes, des personnes en reconversion, pour les attirer vers la filière fluviale, davantage de femmes, créer des passerelles avec le secteur maritime…sont les pistes régulièrement évoquées.
L’automatisation, la solution miracle ? Mais lors du colloque, comme solution, il a été mis en avant l’automatisation qui a fait l’objet d’une présentation en forme de plaidoyer extrêmement positif de la part du représentant de la délégation belge auprès de la CCNR Willem Vuylsteke. Des représentants des transporteurs ont légèrement amendé cette vision.
Les travaux de la CCNR. Au cours des cinq ans écoulés depuis la Déclaration de Mannheim, la CCNR a élaboré en 2018 une définition internationale des niveaux d’automatisation qui a été mise à jour en 2022. Il y a 5 niveaux, selon cette définition, a rappelé Willem Vuylsteke.
- De 1 à 3, il reste encore un équipage à bord (réduit),
- 4 et 5 correspondent réellement à une navigation automatisée.
Celle-ci implique « l’utilisation de technologies de contrôle à distance avec l’installation de capteurs, de caméras… Le tout relié entre eux, a continué Willem Vuylsteke, pour faire naviguer les bateaux de manière autonome à partir d’un centre de contrôle situé à terre ».
Une révolution ? Selon ce représentant, « l’automatisation peut révolutionner la navigation intérieure » en permettant de faire tourner les bateaux 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ce qui donne la liste d’avantages suivantes :
- une meilleure efficacité opérationnelle,
- une baisse des coûts de la main d’œuvre,
- une maximisation de l’utilisation des unités,
- une accélération des opérations de chargement/déchargement,
- une diminution des accidents par la fatigue de l’équipage,
- une optimisation des trajets,
- une réduction de la consommation de carburants et donc des émissions ; « l’automatisation répond ainsi au défi climatique », a insisté Willem Vuylsteke,
- une adaptation aux basses eaux avec des itinéraires plus efficace et planifiés.
Les seuls freins se trouvent du côté de la réglementation et des normes à l’échelle européenne qui restent à élaborer, « c’est le rôle de la CCNR », de la sécurité/sûreté (y compris cybersécurité), de la responsabilité, et des emplois « qu’il faut sécuriser » en les faisant évoluer.
Trois dérogations accordées. Concrètement, la CCNR vient d’accorder une dérogation à trois bateaux dans le cadre de projets-pilote pour des expérimentations de navigation automatisée à partir de centre de contrôle à distance qui se dérouleront à partir de 2024.
Un cadre à élaborer. Pour Benoit Blank de BASF, « la pénurie de main d’œuvre est là et va s’intensifier, l’automatisation est une solution. Il faut fixer des exigences minimales pour que cela se fasse dans un cadre sûr et harmonisé ». Concernant plus largement la « décarbonation », ce responsable a ajouté : « Nous étudions toutes les technologies possibles. Il n’est pas possible de déterminer quel sera ou seront le ou les carburants à l’avenir, à quel prix. Les niveaux d’investissements sont très élevés, quel sera le business-model ? ».
Un danger ? Pour Daisy Rycquart de CITBO, « l’automatisation fait partie de l’avenir de la navigation intérieure mais ce n’est pas une solution en soi. On a besoin de garder du personnel et il en faudra aussi dans les futurs centre de contrôle à distance. Il ne faudrait pas que les équipages quittent tous le bord, attirés par des conditions de travail plus attractives ou avantageuses à terre. Aujourd’hui, la navigation automatisée est davantage un danger dans le contexte de pénurie de personnel qu’une solution ! »
Dématérialisation. L’automatisation concerne également la dématérialisation et la numérisation des procédures et des documents qui peuvent être présentés sous forme électronique en cas de contrôle. Certaines informations nécessaires à la sécurité de la navigation doivent être transmises par voie électronique par les bateaux. C’est aussi le déploiement des services d’informations fluviales sur le Rhin.
Bilan tous les 2 ans. Le colloque du 6 décembre 2023 de la CCNR a été organisé dans le cadre de la fin du mandat de deux ans de la présidence française de cette institution. Les Pays-Bas vont prendre le relais à partir du 1er janvier 2024. Il est prévu qu’à l’avenir le bilan de chaque fin de mandat de deux ans dresse un état des « progrès réalisés dans la mise en œuvre de la Déclaration de Mannheim ».