La Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) a organisé un colloque le 6 décembre 2023 à Strasbourg pour dresser un bilan de la « Déclaration de Mannheim », cinq ans après son adoption le 17 octobre 2018 par les cinq pays (Allemagne, Belgique, Pays-Bas, France, Suisse) signataires de la convention révisée pour la navigation du Rhin à l’occasion du 150ème anniversaire de ce texte. Depuis 1868, cette convention réglemente la navigation sur le Rhin, premier fleuve européen, selon des principes qui restent encore en vigueur actuellement.
Vers une navigation « zéro émission » en 2050. Par la « Déclaration de Mannheim » du 17 octobre 2018, les cinq pays ont fixé de nouveaux objectifs à la CCNR pour la transition écologique de la navigation intérieure en lui confiant l’établissement d’une feuille de route pour :
- réduire les émissions de gaz à effet de serre de 35 % d’ici 2035 par rapport à 2015,
- réduire les émissions polluantes d’au moins 35 % d’ici 2035 par rapport à 2015,
- autant que possible, mettre un terme aux émissions de gaz à effet de serre et d’autres polluants d’ici 2050.
Une feuille de route. A la suite de cette déclaration, la CCNR s’est mise au travail et a donc élaboré une « feuille de route visant à mettre un terme, autant que possible, aux émissions de gaz à effet de serre et d'autres polluants atmosphériques du secteur imputables à la navigation intérieure d'ici 2050 ». Elle a été adoptée à la fin de l'année 2021. Plusieurs documents ont servi de base à son élaboration dont une « étude consacrée au financement de la transition énergétique vers un secteur de la navigation intérieure zéro émission » mais aussi plusieurs rapports sur les aspects techniques, économiques et financiers des mesures nécesssaires à la transition énergétique du secteur.
Outre l'absence de solution technologique « universelle » adaptée à tous les types de bateaux et tous les profils de navigation, la feuille route met en avant l’existence de deux voies de transition pour la flotte (nouvelles constructions et bateaux déjà en service) :
- Une voie de transition « conservatrice », faisant principalement appel à des technologies matures et rentables à court terme, avec toutefois des incertitudes concernant la disponibilité de certains carburants,
- Une voie « plus innovante », faisant principalement appel à des technologies encore en cours de développement, mais offrant un potentiel de réduction des émissions plus élevés.
Des milliards d’euros. La feuille de route montre également « que le défi financier que représente la réalisation de l'objectif zéro émissions d'ici 2050 est considérable. En fonction de la voie de transition suivie, le déficit financier à combler pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de la déclaration de Mannheim varie sensiblement, mais s'élève à plusieurs milliards, et ce quel que soit le scénario ».
Le document ajoute que « ces coûts liés à la transition énergétique dépassent les ressources financières dont dispose la profession qui ne pourra assurer qu'une partie des financements nécessaires ».
D’où la conclusion que « d'importantes subventions sont nécessaires pour combler ce déficit et pour rendre les voies de transition économiquement viables pour le secteur de la navigation intérieure, les fournisseurs d'énergie, et pour les opérateurs des infrastructures à quai ».
La CCNR argumente pour « la mise en œuvre d'un instrument européen d'accompagnement financier de la transition énergétique du secteur de la navigation intérieure, basé sur des sources mixtes (publiques et privées), incluant une contribution sectorielle ».
Concrètement, ce sont une dizaine de bateaux utilisant ou prévoyant d'utiliser des énergies alternatives (par exemple un projet avec du bio-GNC, voir article de NPI) qui ont obtenu de la CCNR ces dernières années une dérogation au Réglement de visite des bateaux du Rhin, ce qui a permis de lancer de premières expérimentations et des projets pilotes qui sont des sources de retour d'expériences pour affiner l'évolution du cadre réglementaire et tester leur viabilité environnementale et économique. La CCNR a aussi organisé un colloque sur l'alimentation électrique à quai des bateaux.
Du côté des Pays-Bas. Nicole van der Sman, de la délégation néerlandaise auprès de la CCNR, a indiqué lors du colloque du 6 décembre que son pays s’est fixé pour 2035 des objectifs de réduction des émissions de CO2 supérieurs à ceux de la CCNR (soit entre -40 et -50% au lieu de -35%).
Les Pays-Bas veulent voir sur leur réseau fluvial naviguer 150 bateaux « zéro émission » d’ici 2035. La responsable a cité les bateaux de Zero Emission Services et le Ab Initio du groupe de formation STC. Depuis l’automne 2022, à Rotterdam, Ab Initio est un bateau pour la formation de 67 mètres de long et de 8,2 m s de large, avec un tirant d’eau maximal de 1,8 m, disposant de plusieurs générateurs, d’un pack de batteries lithium-ion, d’un module de pile à combustible de 50 kW pouvant fonctionner à l’hydrogène, de 200 m² de panneaux solaires et d’une éolienne. Il dispose d’une installation de traitement des eaux usées à bord. Le bateau peut naviguer sans émissions pendant 4 heures d’affilée et transporter 39 passagers.
Ce bateau « permet de former les nouvelles générations aux différents modes de propulsion possibles à l’avenir », selon Nicole van der Sman. Avoir des équipages formés et qualifiés aux nouvelles énergies/nouveaux carburants étant l’un des enjeux de la transition énergétique du secteur.
Les autres défis concernent l’adaptation des bateaux aux nouvelles énergies/nouveaux carburants, la disponibilité de ces nouveaux vecteurs énergétiques et des infrastructures d’avitaillement, sans oublier l’évolution des normes et règles à appliquer, a ajouté la représentante néerlandaise.
Elle a pointé « le besoin d’un soutien financier pour la transition énergétique de la flotte fluviale alors que la navigation intérieure a un accès limité aux financements européens ».
Du côté de l’Allemagne. Lors du colloque du 6 décembre, le représentant de la délégation allemande auprès de la CCNR Marcus Grewe, a abordé le phénomène des basses eaux du Rhin, évoquant « 2018 et son étiage extrême de longue durée » avec 107 jours inférieurs à 78cm à l’échelle de Kob, ou 2022 dont les spécificités étaient différentes. Les pertes pour le secteur de la navigation fluviale ont été évalués à 200 millions d’euros en 2018 avec les étiages et « des transferts vers d’autres modes à la marge ». Le changement climatique entraîne une intensité et une fréquence accentuées des étiages depuis 2015 et à des périodes de l’année qui n’étaient pas concernées auparavant par le phénomène, devenu ainsi plus imprévisible.
La CCNR s’est mobilisée en organisant en 2019 un premier atelier suivi d’autres sur les basses eaux avec un document nommé « Act Now » régulièrement mis à jour. La troisième version vient d’être publié (voir article de NPI).
Pour relever le défi des basses eaux, là aussi comme pour le verdissement de la flotte fluviale, « il n’y a pas de solution universelle » mais plusieurs qui concerne l’adaptation des bateaux et des infrastructures, de la logistique et du stockage, le déploiement d’outils numériques pour des prévisions améliorées des niveau d’eaux (à 4 voire 6 semaines), le renforcement des échanges et de la coopération entre toutes les parties prenantes.
La « Déclaration de Mannheim » demandait aussi à la CCNR de « promouvoir le développement de la numérisation, de l’automatisation et d’autres technologies modernes afin de contribuer ainsi à la compétitivité, à la sécurité et au développement durable de la navigation intérieure (...) à accélérer l’intégration de la navigation intérieure dans les chaînes logistiques numériques et multimodales ». NPI va revenir dans un deuxième compte-rendu sur ces sujets de la pénurie de main d’œuvre et de la navigation automatisée.
Les défis de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024
Le colloque du 6 octobre 2023 a d’abord abordé un thème un peu ludique, selon les mots de Diego Colas, président et chef de la délégation française auprès de la CCNR, avec l’organisation de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris sur la Seine, et non pas dans un stade, le 26 juillet 2024.
De nombreux défis doivent être relevés, dont celui de l’embarquement des 10 000 athlètes dans un délai record sur les 106 bateaux de la parade qui va parcourir la Seine sur 6 km du bief parisien. « Ce nombre représente les deux tiers de la flotte des compagnies de tourisme fluvial parisiennes », a indiqué Didier Léandri, président délégué général d’Entreprises fluviales de France (E2F). Sachant qu’il y aura aussi des bateaux de la compagnie strasbourgeoise Batorama qui représentera ainsi, en quelque sorte, le tourisme fluvial de province.
Sur les 106 bateaux mobilisés, 30 seront « zéro émission », prélude à un nombre variant entre 60 et 90 qui le deviendront dans les 2 à 3 années après les JO.
Parmi les contraintes, il a été rappelé l’interdiction de la navigation 7 jours avant la cérémonie d’ouverture, les épreuves dans le fleuve qui vont aussi interrompre le passage des bateaux. Mais ce n’était pas le sujet de la présentation.
« Ce qui compte c’est ce qui va rester en héritage en dehors de l’aspect sportif », a dit Didier Léandri, citant : « l’image et l’attractivité de la filière fluviale avec ses bateaux sur la Seine à Paris, une ville d’eau, le verdissement de la flotte fluviale, la qualité des eaux pour la baignade, des appontements, une amélioration de la sécurité de navigation sur la partie du fleuve où elle est très dense ».