Existant depuis la mi-2019, le conseil de coopération interportuaire de l’axe Nord s’est réuni le 5 décembre 2023 sous l’égide de Georges-François Leclerc, préfet de la région Hauts-de-France, préfet du Nord, en présence de Christophe Coulon, vice-président en charge des mobilités des infrastructures de transport et des ports au conseil régional, de Philippe Hourdain, président de la fédération Norlink.
A l’occasion de cette réunion, une nouvelle feuille de route a été adoptée et va mobiliser les acteurs du transport et de la logistique des Hauts-de-France au cours de l’année 2024.
Le contexte. Cette feuille de route s’inscrit dans le contexte de l’accord trouvé dans les Hauts-de-France sur le volet mobilité du contrat de projet Etat-Région (CPER, dont la signature sera prochainement officialisée par les deux parties, NDLR) qui programme des investissements très élevés dans les infrastructures de transport. Des projets majeurs sont prévus dans la région, dont la liaison Seine-Escaut et le canal Seine-Nord Europe, le projet Cap 2020 d’extension du terminal à conteneurs de Dunkerque Port. Il convient de les préparer et de les anticiper.
La nouvelle feuille de route s’inscrit également dans les stratégies nationales bas carbone, portuaire, fret ferroviaire, ainsi que dans les priorités du comité interministériel de la logistique.
4 axes et 16 actions. Les objectifs de la feuille de route et son contenu, articulés autour de 4 axes et 16 actions, ont été détaillés à NPI par Pierre Bergès, délégué général au développement de l’axe Nord (DGDAN), et Alix Roellinger, administratrice des Affaires maritimes, chargée de mission portuaire, logistique et mer.
NPI : Quelles sont les raisons qui ont conduit à l’élaboration d’une nouvelle feuille de route ?
Pierre Bergès : Nous sommes parvenus à la fin d’un cycle marqué par la transition imposée par le Brexit. La mobilisation de l’ensemble des acteurs de la région, le renforcement des moyens de contrôle et le déploiement d’un système d’information dédié ont permis de maintenir la fluidité du passage de la frontière. Parmi les dernières avancées en lien avec le Brexit, il y a eu l’ouverture, début décembre 2023, d’un point de contact unique frontalier sur le port de Dunkerque qui regroupe les services de contrôle des douanes et du ministère de l’Agriculture (SIVEP). Reste à réussir le déploiement du système d’entrée/sortie (EES), prévu par le règlement de l’Union européenne 2017/2226, pour renforcer la sécurité des frontières extérieures de l’espace Schengen.
D’autres sujets que le Brexit requièrent désormais l’attention. Deux ne sont pas totalement inédits :
- C’est le cas de la promotion de la qualité des infrastructures de l’axe Nord en déployant une stratégie d’influence.
- C’est le cas aussi du développement de l’intermodalité, du report modal, des flux en général, dans la perspective de la mise en service du canal Seine-Nord Europe.
Il y a deux sujets plus différenciant :
- Contribuer à la performance environnementale des activités portuaires et logistiques.
- Progresser sur les outils numériques pour fluidifier et sécuriser les échanges de marchandises.
Ce sont les quatre axes de la nouvelle feuille de route qui se veut opérationnelle pour rendre plus visible l’axe Nord et mobiliser les acteurs locaux sur des sujets de développement partagés.
NPI : La nouvelle feuille de route se décline en actions, donnez-nous des exemples.
Pierre Bergès : Les quatre axes se déclinent en 16 actions souvent très concrètes. S’il faut en citer deux parmi les plus importantes :
- C’est l’ambition de « construire un produit commercial et marketing unique pour les ports maritimes et intérieurs des Hauts-de-France » car cette région a un savoir-faire, des capacités, des offres remarquables qui doivent être encore mieux connus. La fédération Norlink est évidemment à la manœuvre dans ce domaine.
- Et c’est aussi le lancement d’une réflexion sur « le déploiement d’une interface numérique commune entre les ports maritimes et les plateformes intérieures ». Cette action est très directement liée à la stratégie nationale portuaire et à ce qui se fait sur les deux autres axes Seine et Rhône-Saône-Méditerranée. Concernant le numérique, il y a également une dimension sécurité/sûreté des flux, la prévention des risques. La promotion de la cybersécurité fait d’ailleurs l’objet d’une action spécifique dans ce plan.
Il y a aussi des actions qui portent sur :
- l’amélioration de la qualité de service proposée par les gestionnaires d’infrastructures avec des actions pour améliorer l’offre ferroviaire (sillons...) et l’offre fluviale,
- un suivi du contrat de progrès entre VNF/GPMD,
- l’identification du foncier à haute valeur intermodale,
- le développement de stations d’avitaillement multi-énergies et le branchement électrique à quai,
- la résilience et l’impact du changement climatique sur les ports des Hauts-de-France. Celle-ci est liée à la stratégie nationale portuaire qui comprend un volet sur la recherche portuaire.
NPI : Quels sont les acteurs engagés dans la réalisation des actions ?
Pierre Bergès : Les actions sont portées par différents acteurs comme Norlink, les gestionnaires d’infrastructure, la délégation d’axe.
Le conseil régional est très impliqué aussi, l’axe Nord étant sans doute l’axe fluvio-maritime dans lequel les collectivités territoriales ont l’influence la plus forte et particulièrement le conseil régional au titre de ses compétences en matière économique et d’aménagement du territoire.
Les collectivités, la région Hauts-de-France notamment, ont par ailleurs des responsabilités à Dourges, au port de Calais ; la société du canal Seine-Nord Europe qui est un établissement public local ; le syndicat mixte associant les collectivités et la région a été créé pour les quatre futurs ports intérieurs le long de Seine-Nord…
L’axe Nord a aussi une dimension transfrontalière, plus marquée que les deux autres axes, dont il faut aussi tenir compte tout comme la proximité avec l’Ile-de-France mais aussi les liaisons avec le Grand Est (qui pourrait constituer un quatrième axe portuaire et logistique, NDLR, voir article de NPI).
NPI : Y a-t-il une durée pour cette feuille de route ?
Pierre Bergès : La feuille de route n’est pas un grand schéma de longue durée, elle est limitée, modeste. Elle court sur 2024 avec l’idée d’avancer rapidement et de présenter les réalisations lors d’un conseil de coordination en fin d’année.
Elle part de constats : dans les Hauts-de-France, il y a un positionnement géographique exceptionnel, un réel savoir-faire logistique et portuaire, des investissements importants pour améliorer les infrastructures, par exemple à Calais, et de fortes ambitions de développement.
Toutefois, il y a aussi des vicissitudes, le fluvial et le ferroviaire par exemple rencontrent des freins, ou des manques pour lesquelles des actions sont possibles.
NPI : Quel est le rôle de la délégation d’axe avec la feuille de route ?
Alix Roellinger : L’axe Nord doit être connu, décarboné, imbriqué et connecté. Avec la délégation d’axe et la feuille de route, on décloisonne, on coordonne, on anime.
- Décloisonner car nous sommes en lien avec beaucoup d’entités qui ont leur logique propre, publique ou privée, dans le territoire de l’axe Nord : des chargeurs, des acteurs économiques, des gestionnaires d’infrastructure… Il s’agit de les faire sortir de leur silo.
- Coordonner car nous avons des thématiques propres à la délégation d’axe et nous portons des actions, par exemple des études sur les flux logistiques avec Euralogistic. Nous portons aussi l’action en lien avec la résilience climatique des infrastructures pour laquelle nous allons recruter un doctorant pour un travail de fond en le binômant si possible avec l’un des ports de la région. Il y a aussi le travail sur l’intégration numérique déjà évoquée.
- Animer pour mettre l’accent sur certains sujets que les acteurs rencontrent au quotidien mais sur lesquelles ils n’ont pas le temps de se pencher. Par exemple en novembre 2023, nous avons mobilisé l’association France cyber maritime (FCM) pour réaliser un premier exercice régional pour tester la sécurité des systèmes informatiques et la capacité de gestion de crise et de résilience en cas de piratage ou d’attaque cyber. Un exercice similaire est envisagé en 2024. La délégation d’axe a pu apporter son aide pour la mise en relation entre le FCM et des acteurs.
NPI : Pouvez-vous nous expliquer comment l’action sur les outils numériques pour fluidifier et sécuriser les échanges de marchandises de l’axe Nord va être réalisée ?
Alix Roellinger : Dans l’axe 4 de la feuille de route « exploiter les possibilités du numérique et de l’innovation », une action prévoit d’étudier l’intérêt d’un éventuel déploiement d’une interface commune aux CCS/TOS de l’axe Nord. Elle est portée par la DGDAN et Norlink.
Nous allons réaliser un état des lieux des systèmes informatiques installés, des interfaces utilisées, de leurs fonctionnalités pour le suivi des marchandises (conteneurs, vracs…) dans chacune des plates-formes portuaires et multimodales de l’axe, voir si certaines sont déjà connectées ou ont des solutions identiques, interopérables ou non… Nous rencontrerons aussi des chargeurs, des compagnies maritimes, les services des douanes de SNCF et de VNF sur le sujet. C’est un vaste travail, la région compte une vingtaine de plates-formes portuaires.
Le résultat sera présenté lors d’un séminaire en juin 2024 afin de déterminer l’étape suivante et décider si le déploiement d’un outil numérique partagé ou d’une interface commune pour fluidifier et sécuriser les échanges de marchandises peut avoir du sens dans les Hauts-de-France.
C’est une thématique sur laquelle les deux autres axes, Seine et Rhône-Saône-Méditerranée, avancent. L’axe Nord et les Hauts-de-France doivent aller dans le même sens en fédérant toutes les parties et tous les acteurs. Il en va de la compétitivité des plates-forme portuaires et des activités de transport et de logistique.
Pierre Bergès : Le travail sur ces aspects numériques intéresse aussi les quatre futurs ports intérieurs prévus le long du canal Seine-Nord Europe et le syndicat mixte qui a été créé. C’est une incitation supplémentaire à développer une stratégie sur le sujet pour les Hauts-de-France en veillant à la cohérence avec les partenaires à l’échelle Seine-Escaut.
NPI : Dans la communication à l’issue du CILAN de l’axe Nord, des projets de développements pour les sites portuaires de Longueil-Sainte-Marie et de Valenciennes sont évoqués. Pouvez-vous en dire davantage ?
Pierre Bergès : De tels projets sont très importants pour le développement de l’axe Nord et nous les suivons avec les partenaires privés et publics concernés localement.
Il y a le développement du port de Valenciennes et des besoins d’équipements pour accompagner sa dynamique de croissance. Il y a un projet d’agrandissement ferroviaire à Dourges, structure centrale dans le Nord-Pas-de-Calais.
Il y a un projet à Longueil-Sainte-Marie qui est un site clé pour l’axe Nord et pour l’axe Seine pour assurer la connexion massifiée entre les deux ensembles. En 2024, le plan d’action de l’axe Nord prévoit « d’accompagner le développement du fret fluvial dans l’Oise pour assurer un débouché massifié de l’axe nord à l’Île-de-France ». Sachant que l’Oise et les départements franciliens voisins vont occuper une place centrale dans le réseau fluvial avec la future liaison Seine-Escaut et le canal Seine-Nord Europe.
L’action prévoit la réalisation de trois études pour améliorer la connaissance de la demande et de l’offre de transport fluvial dans l’Oise pour permettre aux acteurs régionaux et locaux de se positionner. Puis les études serviront de base à des concertations locales en lien avec la préfecture de l’Oise et les collectivités -très mobilisées pour mieux maîtriser les développements logistiques- pour faire émerger une stratégie départementale en faveur du fret fluvial, articulée avec la stratégie poursuivie par l’État de développement de plateformes multimodales pour la desserte de l’Île-de-France.
Alix Roellinger : Longueil-Sainte-Marie, c’est un cas d’école de notre rôle d’accompagnement. Nous faisons en sorte de décloisonner, de faire se rencontrer les acteurs, de créer des opportunités pour des échanges pour avancer sur un projet de développement.
Il y a une problématique de congestion des flux à destination de l’Ile-de-France pour laquelle il faut trouver une solution avec un barycentre. L’idée est que les flux y arrivent par le rail ou la navigation intérieure et soient ensuite « dispatchés » par la route. La plate-forme de Longueil-Sainte-Marie, c’est un lieu pertinent entre les Hauts-de-France et l’Ile-de-France, à continuer à développer de manière résolue.
Pierre Bergès : Nous sommes dans notre rôle d’accompagnement auprès du syndicat d’initiative mixte propriétaire du site pour développer ses contacts avec les ports de Lille, Dourges, Valenciennes, qui sont autant d’exemples comparables dans les Hauts-de-France, partageant des problématiques de développement communes.
C’est aussi un projet qui dépasse les limites des Hauts-de-France et sur lequel je dois échanger avec le préfet Pascal Sanjuan, en charge du développement de la vallée de la Seine.
Le financement des études pour un raccordement ferroviaire et la réalisation d’une aire de retournement est inscrite dans le CPER. Longueil rejoint la philosophie de la feuille route, être opérationnel et concret, et la délégation d’axe est au service des acteurs du terrain.
NPI : Quels sont les autres projets structurants pour l’axe Nord ?
Pierre Bergès : Cap 2020 est un projet d’extension des capacités pour les conteneurs déterminant pour Dunkerque Port et pour tout l’axe Nord.
Il est essentiel pour gagner des parts de marché, disposer d’un système portuaire plus efficace, pouvoir accueillir et traiter plus de conteneurs, en cohérence avec le développement industriel et logistique du grand port maritime. Si on veut que la logistique transocéanique des nouvelles industries, comme Verkor ou ACC, passe par le port Dunkerque, ce dernier doit disposer de capacités suffisantes.
C’est un projet phare du CPER avec un financement de 98 millions d’euros prévu, environ un quart du montant nécessaire. Cap 2020, comme Seine-Nord, est un grand projet qu’il faut réussir.
Avec Cap 2020, la perspective est de 2 millions de conteneurs, au lieu de 750 000 EVP. C’est la brique de base pour développer l’axe Nord et la connexion ferroviaire ou fluviale de la façade maritime avec un hinterland plus éloigné en cohérence avec le développement d’un réseau de plates-formes intérieures.
Dans les autres ports, il y a des projets importants par exemple autour du ferroutage et de la voie mère à Calais. A Valenciennes, la croissance des trafics est forte, la réouverture du canal Condé-Pommeroeul lui offre de nouvelles perspectives.
NPI : Et il y a bien évidemment la liaison Seine-Escaut et les travaux en cours du canal Seine-Nord Europe avec une mise en service en 2030 à anticiper, à préparer ?
Pierre Bergès : Le chantier du canal Seine-Nord Europe est un autre projet structurant et déterminant. Les travaux sont en cours dans l’Oise depuis l’année dernière.
Il va y avoir cette année l’enquête publique environnementale pour les autres secteurs. La règlementation prévoit des garanties fortes pour le patrimoine naturel, sur les mesures éviter, réduire, compenser (ERC) qui ont fait l’objet d’une instruction scrupuleuse par les services de l’Etat en lien avec la société du canal Seine-Nord Europe. La qualité du dossier a été reconnue par l’Autorité environnementale. L’enquête publique assurera l’information complète et permettra de recueillir l’avis du public sur l’impact de ce projet.