2022, une année difficile pour la navigation intérieure européenne (1/2)

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La Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR) a publié son rapport portant sur la totalité des résultats de l’année 2022 pour la navigation intérieure européenne, abordant également les niveaux du fret fluvial dans les principaux ports maritimes européens, les résultats pays par pays, présentant aussi un classement des ports intérieurs... Les multiples « chocs » ont entraîné une chute des trafics pour toutes les catégories de marchandises… Seul le charbon tire son épingle du jeu. A l’inverse, le transport de passagers renoue avec la croissance après l’effondrement lié à la pandémie. Sans oublier le contexte des basses eaux, 2022 ayant été une année sèche. Premier compte-rendu de lecture. 

Une année 2022 particulièrement difficile pour la navigation intérieure qui n’a pas été épargnée par les crises successives, sur le Rhin, premier fleuve européen, mais aussi sur le Danube … C’est ce qui ressort de la lecture du dernier rapport annuel de la Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR). Comme habituellement, ce document publié en octobre depuis plusieurs années dresse un bilan complet de l’année précédente écoulée, en l’occurrence 2022.

Ce rapport compte une nouveauté, souligne Lucia Luijten, secrétaire générale de la CCNR, en préface « pour la première fois, les volumes transportés dans le delta du Rhin inférieur aux Pays-Bas sont présentés et analysés ». Ils s’ajoutent aux chiffres recensés sur la partie du Rhin traditionnel (de Bâle à la frontière entre l'Allemagne et les Pays-Bas). « Cela a été rendu possible grâce au soutien du Rijkswaterstaat. Une analyse complète des volumes transportés sur le Rhin, de Bâle à la mer du Nord, sera donc désormais présentée dans les rapports annuels. Cette approche permet de procéder à une analyse plus détaillée du Rhin, par secteurs, et de mieux comprendre la dynamique du transport de marchandises par type de produit le long du Rhin ».

De crise en crise. « Le secteur du transport fluvial n’a pas pu échapper aux événements défavorables à l’économie en général », indique le résumé exécutif en listant : les effets négatifs du conflit armé entre la Russie et l’Ukraine, les basses eaux, l’augmentation rapide des prix des produits et base, une demande de consommation ralentie, la crise énergétique.

Ces facteurs expliquent que « tous les segments de marchandises, à l’exception du charbon, ont présenté un taux de croissance négatif de leurs volumes de transport ».

Les chiffres pour le fret. Le transport fluvial en Europe (c’est-à-dire 27 pays de l’UE plus la Suisse, la Serbie et la Moldavie) a diminué de -5,5% pour atteindre 485,4 millions de tonnes en 2022 comparativement à 2021 ; la prestation suit la même tendance négative (-10,6% et 122 milliards de tkm).

Sur l’ensemble du Rhin (de Bâle à la mer du Nord), le transport de marchandises a été de 292 millions de tonnes (-6,8%) en 2022 par rapport à 314 millions de tonnes en 2021. Ce total se répartit en :

  • 155 millions de tonnes (-7,8%) sur le Rhin « traditionnel » (de Bâle à la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas) et
  • 237,8 millions de tonnes (-6,6%) dans le delta (de la frontière entre l’Allemagne et les Pays-Bas à la mer du Nord) de ce premier fleuve européen pour la navigation intérieure avec -5,7%.
  • La CCNR explique que « lors du calcul du volume total de marchandises transportées sur l'ensemble du Rhin, toutes les mesures ont été prises pour éviter le double comptage des volumes transportés dans les deux secteurs. C'est pourquoi les volumes sur ces deux secteurs ne peuvent pas être simplement additionnés, certains volumes étant transportés dans les deux secteurs ».

Le charbon, atypique sur le Rhin. « Avec la crise énergétique observée en 2022, la demande de gaz naturel a augmenté et les prix se sont envolés en début d’année. La préférence a été donnée à d’autres options, dont le charbon », note le rapport. Le transport de charbon, en repli apparemment inexorable depuis plusieurs années, a ainsi de nouveau rempli les cales en 2022 et affiche une progression de +10,6% sur le Rhin. Il en avait été déjà de même en 2021. Toutes les autres filières sont à la peine : métaux (-7,5%), matériaux de construction (-12,1%), conteneurs (-11,1%), agroalimentaires (-5,9%), minerai de fer (-2,8%), produits chimiques (-1,6%).

Les conteneurs sur le Rhin. Le transport de conteneurs sur le Rhin est à la peine depuis 2018 à causes de différents facteurs dont les basses eaux qui ont entraîné des pertes de part modale : « les volumes de conteneurs transportés sur le Rhin n’ont plus jamais été les mêmes depuis le phénomène hydrologique extrême de 2018 », dit le rapport. Parmi les autres facteurs, il y a la conjoncture économique mondiale à la suite de la pandémie et ses conséquences, le conflit russo-ukrainien, la congestion dans les ports. Sur l’ensemble du Rhin, avec 30 millions de tonnes, les conteneurs sont en repli de -11,1% en 2022 par rapport à 2021 et de -5,7% en EVP (un peu plus de 4 millions d'EVP).

Les conteneurs sur la Moselle. Pour comparaison, le rapport précise que sur la Moselle, les conteneurs ont atteint « un point culminant en 2020 avec 25521 EVP ; après ce pic, les volumes ont diminué en 2021 et 2022 passant à 24438 puis 17484 EVP ». Mais sur cette voie navigable aménagée les basses eaux ne sont pas en cause.

Une baisse dans tous les pays. La revue des trafics fluviaux par pays montre des replis quasi généralisés en termes de prestations de transport :

  • Pays-Bas avec -4,4% (44,6 milliards tkm),
  • Allemagne avec -8,5% (44,1 milliards tkm),
  • Roumanie avec -20,4% (10,8 milliards tkm),
  • Belgique avec -7,6% (7,6 milliards tkm),
  • France avec -9,2% 6,6 milliards tkm)…

Danube inférieur vs Danube supérieur. Sur l’ensemble du Danube navigable (entre Kelheim en Allemagne et la mer Noire via le canal Danube-mer Nore et le canal de Sulina), « le volume de marchandises transportées oscille entre 36 et 40 millions de tonnes par an ». En prestations, le chiffre atteint 23,9 milliards de tkm en 2022 (-20%).

Il est intéressant de distinguer les différentes sections de ce fleuve. La récession est plus importante sur le Danube supérieur et moyen : vers l’aval (soit des ports du Danube moyen vers Constanta) le transport de céréales et de vracs agricoles chute fortement.

« En revanche, dans la région du Danube inférieur, en particulier sur les canaux reliant le Danube à la mer Noire, le transport de marchandises a enregistré une nette tendance à la hausse », une situation à relier avec la guerre en Ukraine qui a bloqué les ports maritimes de ce pays pour l’export des céréales et entraîné un report vers des solutions alternatives par les voies navigables.

Canaux danubiens et céréales ukrainiennes. Le canal Danube-mer Noire s'étend de Cernavoda, sur le Danube, à Constanta (bras sud) et à Navodari (bras nord), sur la mer Noire. En 2022, le volume de transport relevé sur ce canal était de 17,3 millions de tonnes (même quantité qu'en 2021).

Un autre bras d'estuaire est le canal Sulina, qui se jette dans la mer Noire dans la région du delta du Danube, près de la frontière entre la Roumanie et l'Ukraine. Les volumes de transport sur ce canal ont plus que doublé de 2021 à 2022 (10,6 millions de tonnes en 2022, contre 5,1 millions de tonnes en 2021). « Cette augmentation exceptionnelle s'explique par le blocus des ports maritimes ukrainiens et la nécessité de soutenir les exportations ukrainiennes de céréales via d'autres itinéraires (« corridors de solidarité UE-Ukraine »).

Le fret fluvial dans les ports maritimes européens. Le fret fluvial a souffert à Rotterdam (-4,1% avec 151,3 millions de tonnes) et à Anvers-Bruges (-7,5% avec 101,2 millions de tonnes), a progressé à North Sea Port (+7% avec un record de 64,6 millions de tonnes) et à Hambourg (+7,2% avec 7,47 millions de tonnes). A Constanta (15,4 millions de tonnes), la manutention fluviale a conservé un niveau similaire à 2021.

« Une baisse a été observée dans les principaux ports intérieurs en 2022, note le rapport, sauf pour les deux ports ukrainiens de Reni et d’Ismaïl qui ont enregistré une croissance exceptionnelle de leurs volumes de transport fluvial, résultant de la nécessité de soutenir les exportations ukrainiennes de céréales via des itinéraires alternatifs ». Nous revenons dans un autre article sur les résultats de ces ports intérieurs européens pays par pays.

Les chiffres pour la croisière et les passagers. A l’inverse du fret, la reprise est là pour le transport de passagers en 2022 après la période de pandémie. Les croisières fluviales, selon les chiffres relatifs aux mouvements des bateaux sur le Danube, le Rhin et la Moselle, « illustrent un rebond spectaculaire en 2022 par rapport à 2021 ». Le Danube supérieur (frontière Autriche et Allemagne) et la Moselle dépassent les niveaux de 2019 avec respectivement +5% et +1% alors que le Rhin reste en retrait de 6,5%. Deux autres indicateurs, évolution du nombre de passagers et taux d’utilisation des bateaux, montrent eux aussi une reprise significative mais encore légèrement inférieure aux niveaux de 2019, qui reste une année de référence.

Des basses eaux. Des phénomènes d’étiage important ont été observés en juillet et août 2022. « Sur la période de 2015 à 2022, les années 2018 et 2022 présentent le plus grand nombre de jour d’étiage, à la fois sur le Rhin et sur le Danube ». La conséquence en est une hausse des taux de fret en moyenne de +42,5% en 2022 par rapport à 2021. Lire également l'encadré à la fin de cet article.

Entreprises et emplois. Selon le rapport, le nombre d’entreprises dans le transport de passagers a progressé de 3529 en 2013 à 4231 en 2020 ; le nombre de leurs employés était de 17895 en 2010 puis de 23100 en 2019, pour revenir à 17895 en 2020, la pandémie étant passée par là.

Les entreprises dans le transport fluvial de marchandises apparaissent en recul de 5995 en 2010 à 5486 en 2020 tout comme leur nombre d’employés : 23100 en 2010, 22365 en 2019, 22417 en 2020.

Part modale, un point bas. « Au cours de la dernière décennie, la part modale du transport fluvial au niveau de l'UE-27 a perdu 1,8% pour atteindre 5,6% en 2021, son niveau le plus bas depuis 2005 ». Elle se situe loin derrière le transport routier (77,3% en 2021, +3,4% en 10 ans) et le transport ferroviaire (17%, -1,7%au cours des10 dernières années).

Aux Pays-Bas, la part modale de la navigation intérieure a augmenté jusqu'en 2012, pour culminer à 47,2%. Elle a diminué au cours des années suivantes, pour tomber à 41,9% en 2021. Des tendances similaires sont observées en Belgique, en Allemagne et en France. Au Luxembourg, la part modale du transport fluvial a augmenté au cours des dernières années et est restée stable depuis 2019 (8% en 2021).

Parmi les pays danubiens, la Roumanie et la Bulgarie ont enregistré des parts modales élevées de transport fluvial, atteignant respectivement 25,1% et 24,4% en 2021. La part modale du transport fluvial dans les deux pays a cependant perdu, respectivement, 3,7% et 4,3% entre 2020 et 2021, au profit du transport routier.

Qu’en sera-t-il des débits du Rhin à l’avenir ? L’analyse de la CHR

Le rapport donne la parole dans ses premières pages au président de la Commission internationale de l’hydrologie du Rhin (CHR) qui a fêté ses 50 ans en 2021 et coopère avec la CCNR « pour l’élargissement des connaissances sur les effets du changement climatique et les phénomènes d'étiage ».

La CHR est une organisation au sein de laquelle les instituts scientifiques des États riverains du Rhin élaborent des propositions de mesures hydrologiques communes permettant d’assurer le développement durable de l'ensemble du bassin rhénan. L'objectif de la CHR est d’étendre les connaissances sur l'hydrologie dans le bassin du Rhin et de contribuer au règlement des problèmes transfrontaliers. Le changement climatique et les faibles débits qu’il engendre font partie intégrante du programme de recherche stratégique de la CHR.

2022, nouvelle année sèche. Concernant 2022, il est rappelé que dans la suite des années précédentes, elle « a été une année sèche présentant de faibles niveaux d'eau sur le Rhin. La faiblesse des précipitations dans le bassin du Rhin, mais aussi la diminution des eaux de fonte des Alpes en raison du changement climatique, ont une incidence sur ces faibles débits ».

Une analyse de l’hydrologie du Rhin. « Le régime hydrologique du Rhin, qui prend sa source dans les Alpes, subit l'influence des eaux de fonte au printemps et en été. Ces dernières années, la CHR a mené un projet de recherche (l’ASG) sur la proportion des composantes issues de la fonte des neiges et des glaciers dans les Alpes, et notamment sur la manière dont elle influe sur le débit du Rhin et de ses affluents ». Ce projet a permis « l’analyse des 100 dernières années, mais aussi des 100 prochaines années, afin d’illustrer les évolutions futures ».

Les résultats. « Sur la base des modèles et des scénarios », il est possible de « partir du principe que le débit total sera stable – également à long terme – et que les faibles débits resteront dans la fourchette habituelle au cours des trois prochaines décennies, pour diminuer ensuite assez rapidement au cours des 50 années qui suivront ».

« Les conséquences de ces changements seront considérables et toucheront tous les usagers du Rhin : la navigation rhénane et, avec elle, l’important secteur du transport de marchandises, sachant que, dans les sections concernées du fleuve, les périodes auxquelles la navigation sera restreinte s'allongeront forcément ;les centrales électriques et les fournisseurs d'électricité, qui ne pourront plus produire le même volume d'électricité ; et les fournisseurs d'eau potable, qui devront se préparer à des périodes de pénurie d'eau plus fréquentes ».

 

 

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