Le gouvernement reprend donc bien d’une main ce qu’il donne de l’autre. Et c’est la filière fluviale qui est dans le viseur et en fait les frais. A l’initiative du gouvernement lui-même, la loi de finances remet en cause ses propres engagements vis-à-vis de la profession, à savoir le régime fiscal applicable au gazole non routier et aux carburants de synthèse.
En octobre 2018, le gouvernement revenait sur un projet de la DGEC présenté en septembre qui supprimait pour les transporteurs fluviaux le bénéfice à partir du 1er janvier 2019 du gazole non routier et de son régime fiscal à taux réduit. Reconnaissant la justesse des arguments de la profession et les conséquences potentiellement désastreuses du projet, le gouvernement décidait, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances 2019, de surseoir à la mesure et même d’aligner le régime fiscal du carburant applicable au transport de passagers sur celui du transport de marchandises. Cela revenait à exonérer totalement de taxes sur le carburant la consommation de gazole en navigation intérieure et alignait, en fait simplement, la situation du mode fluvial sur celle dont bénéficient tous les autres modes. Garantie était aussi donnée d’appliquer le même principe d’exonération aux carburants de synthèse aux performances avérées en matière de réduction des polluants.
Un vain travail sur le « pacte de verdissement » ?
En contrepartie, d’un commun accord entre la profession et l’Etat, il était décidé d’engager une transition écologique du transport fluvial, en accélérant le rythme de renouvellement de la flotte, en incitant les opérateurs à changer de motorisation sur les bateaux existants, en déployant le recours aux carburants alternatifs au gazole. L’objectif était de parvenir à la signature en fin d’année d’un « pacte pour le verdissement », en fait, une feuille de route engageant les professionnels et l’Etat sur un résultat à atteindre et un calendrier. Un important travail a été engagé entre les représentants du fluvial et l’Etat, mobilisant les deux parties… Avec la volte-face du gouvernement, tout ceci aurait donc été mené en vain.
Il faut relever aussi que le gouvernement a adopté un amendement introduisant un régime de sur-amortissement fiscal pour le transport fluvial aligné sur celui du transport maritime et non pas sur celui du transport routier de marchandises… ce qui rend cette mesure totalement inapplicable compte-tenu des modalités techniques retenues.
Ces décisions s’expliqueraient par le coût total des mesures annoncées par Emmanuel Macron et l'exécutif depuis début décembre sous la pression des « gilets jaunes » qui s'élève à 10,3 milliards d'euros. Le gouvernement vise 4 milliards d'euros de recettes supplémentaires et d'économies budgétaires pour financer ces mesures, a expliqué Edouard Philippe dans une interview au journal Les Echos le 17 décembre. Le solde, soit 60% du total, sera financé par du déficit budgétaire, selon un communiqué de Matignon. Dans le montant de 10,3Md€, le gouvernement n'inclut pas les mesures annoncées mi-novembre : élargissement du chèque énergie, renforcement des primes à la conversion, qui devraient représenter 500 millions de dépenses. Le gouvernement est donc à la recherche du moindre euros pour engranger des recettes et réduire le déficit budgétaire qu’accentuent ces mesures « gilets jaunes ». Le fluvial fait donc les frais de cette recherche tout azimut.
Ce revirement du gouvernement interroge sur la volonté sérieuse de l’Etat de considérer le mode fluvial, aussi bien dans sa dimension transport que passager, comme un enjeu majeur pour le système de transport et la transition écologique du pays.
Il reste à espérer un sursaut afin que la filière fluviale ne soit plus systématiquement traité comme une variable marginale d’ajustement mais comme un secteur économique à part entière, à considérer comme tel dans le cadre de la définition des politiques énergétiques et des transports, sur lequel il convient de compter parce que créateur de valeur.
Tout repose désormais entre les mains de la ministre chargée des Transports, Elisabeth Borne, membre du gouvernement, vers laquelle les représentants du secteur se sont bien évidemment tournés.