Le canal Seine-Nord permettra aux céréales récoltées en région Hauts-de-France d’être chargées sur des bateaux à grand gabarit afin de profiter des avantages du transport fluvial à destination des silos d’exportation de Rouen ou, vers le nord, de ceux de Dunkerque et du marché du Benelux. Certains silos déjà présents le long de l’actuel canal du Nord pourront profiter directement de la future infrastructure à grand gabarit. Sur d’autres sites du canal du Nord, en revanche, des silos existants ne seront plus embranchés fleuve. C’est notamment le cas à Moislains, pour le silo exploité par la coopérative Advitam. Le canal du Nord devant y être remblayé sur 8 km entre Moislains et Étricourt-Manancourt, la coopérative Advitam envisage de construire un nouveau silo à Graincourt-lès-Havraincourt, qui serait situé sur le tracé du nouveau canal.
Une plateforme agricole à Languevoisin
La coopérative Agora exploite un silo sur le canal du Nord à Noyon. Elle a pour projet d’en construire un nouveau à Sermaize, quelques kilomètres plus au nord. Cela permettrait de profiter du grand gabarit, et aussi de réduire l’incertitude quant au devenir du canal du Nord : même s’il n’est pas prévu de remblayer cette portion du canal actuel, on ne sait pas encore quelles en seront les conditions d’exploitation : s’il est maintenu pour la plaisance, le tirant d’eau admis ne sera pas forcément intéressant pour le chargement de vrac.
La décision de construction d’un nouveau silo, cependant, n’est pas encore prise comme l’explique Thierry Dupont, présidents d’Agora et de l’union coopérative Senalia : « Un nouveau silo n’aura de sens que lorsque Seine-Nord sera ouvert à la navigation, ce qui nous donne du temps avant d’entreprendre sa construction. Il nous faut de la visibilité, car un nouveau silo est un investissement colossal : à 400 € par tonne stockée, on n’a pas le droit à l’erreur. D’autant qu’un silo en plaine a un taux de rotation de 1, un silo fluvial a un taux de 1,3 ou maximum 2 s’il est sur le grand gabarit, alors que les silos maritimes de Rouen ont un taux de rotation de 7 à 10, ce qui nous a permis d’expédier 5 Mt en 2019 pour 500 000 t de capacité ».
© Senalia
Agora, par ailleurs, dispose déjà de silos sur l’Oise à grand gabarit en aval de Compiègne, notamment à Pont-Sainte-Maxence, vers lesquels un brouettage routier depuis le noyonnais pourrait être une solution pour l’exportation via Rouen. « Cela dépendra du coût de construction d’un nouveau silo, du coût de brouettage, de la collecte, des débouchés, … Nous avons besoin de solutions alternatives car tout ne peut se faire par camion, mais le schéma ne sera pas forcément en place l’année de la mise en eau de Seine-Nord », rappelle Thierry Dupont.
Le principal projet agricole en lien avec Seine-Nord est situé à Languevoisin, près de Nesle, et mené par la coopérative Noriap qui y exploite déjà un silo sur le canal du Nord. Autour de Noriap, six autres coopératives (Capseine, Agora, Sana Terra, Cerena, Acolyance et Vivescia) et deux unions (Senalia et Invivo) se sont regroupées pour créer l’Union Euroseine. L’idée est de développer à Languevoisin une véritable plateforme pour les trafics vracs, qu’ils concernent l’agriculture (céréales, engrais, biomasse) ou le BTP (granulats). Cette plateforme de 40 ha travaillerait en coopération avec celle prévue à Noyon dans le projet Seine-Nord, qui sera portée par la communauté de communes (CC) de l’Est de la Somme et plutôt destinée à accueillir des trafics conteneurisés et des activités industrielles. Une convention a d’ailleurs été signée entre l’Union Euroseine et la CC de l’Est de la Somme, prévoyant notamment la présentation conjointe d’un dossier de demande de subventions à l’Union européenne.
« Les deux plateformes, distantes d’1,5 km, pourraient être jumelées avec l’installation d’un tapis convoyeur pour les relier, ce qui permettrait à la plateforme agricole de profiter indirectement du rail, qui desservira la plateforme industrielle de Nesle », explique André Salomé, vice-président de la CC de l’Est de la Somme, chargé de Seine-Nord et des ports intérieurs. « Le bief du canal du Nord sur lequel est situé le silo de Languevoisin est surélevé. Il sera donc asséché à la mise en eau de Seine-Nord, c’est pourquoi VNF prévoit la construction d’un quai public sur Seine-Nord pour desservir la plateforme de Languevoisin, qui sera utilisée pour les trafics agricoles mais aussi pour le recyclage de terres par exemple. Vinci est intéressé par des transports de granulats dans le cadre de Multiregio. Nous travaillons à ce que les entreprises soient déjà installées et actives sur la plateforme dès l’ouverture du canal ».
Un trafic d’amorçage
« Le jour où le canal ouvrira à la navigation, les céréales apporteront immédiatement des tonnages élevés. Cela représentera, avec les granulats, un trafic d’amorçage très important pour le fonctionnement du canal. Du côté des conteneurs, le mouvement sera forcément plus lent, le temps que les logisticiens assimilent tous les avantages qu’ils pourront tirer du nouveau canal et que les schémas logistiques se mettent en place », indique Jacques de Villeneuve, président du comité régional grandes cultures des Hauts-de-France.
Certains silos situés sur le canal du Nord pourront perdre de leur intérêt, vue la proximité avec le grand gabarit. Ces silos déjà anciens, dont la modernisation coûterait cher, pourront à moindre frais être transformés en simple plateforme où les agriculteurs peuvent acheminer par benne agricole leurs récoltes, qui sont ensuite rechargées sur camion à destination d’un silo où les capacités de traitement du grain et de chargement sur mode massifié sont présentes.
Selon Jacques de Villeneuve : « La tendance est à la réduction du nombre de silos. Dans le même temps, les moissons durent moins longtemps avec des machines et des remorques de plus grande taille. Il y a donc nécessité de plateformes à proximité des exploitations et les silos anciens, dont les fosses sont trop petites et les cadences d’élévation trop faibles pour les grandes remorques, peuvent jouer ce rôle. On cherche aussi des solutions pour passer par des petites barges, qui seraient chargées sur le réseau secondaire, puis regroupées pour naviguer en convoi lorsqu’elles atteignent un canal à grand gabarit. Cela permettrait de continuer à utiliser le fluvial sur les silos du canal du Nord et du réseau à petit gabarit. Le coût du transport, et surtout du transport terrestre, est très important pour la compétitivité à l’export des céréales françaises. Et cela compte pour les agriculteurs puisqu’un tiers de la récolte française de blé est habituellement vendue à des pays hors-Union européenne. Pour nous il est évident que la voie d’eau est intéressante, mais encore faut-il que le canal soit à proximité et que ce soit du grand gabarit ».