Depuis de nombreuses années et de façon très soutenue, la Flandre et la Wallonie déploient d’importants efforts pour favoriser le développement de la voie d’eau, en accordant une attention particulière à son rôle économique, mais en intégrant tous ses autres aspects sociétaux et environnementaux. De façon globale, on pourrait dire que quasiment tous les axes principaux du réseau fluvial belge bénéficient par là d’une modernisation infrastructurelle en règle, même si celle-ci se manifeste sous des formes parfois différentes d’un axe à l’autre. Dans bien des cas, les efforts des deux côtés de la frontière linguistique se complètent, car le plein effet des investissements consentis dans une région dépend de ceux réalisés dans l’autre.
Tant en Flandre qu’en Wallonie, le projet Seine-Escaut sert de cadre -et de moteur- à bon nombre d’investissements. Les deux régions tablent sur l’effet positif qui en est attendu pour la navigation intérieure, et ont bien l’intention de tenir leurs engagements dans ce contexte qui déborde largement de leurs frontières.
Le « moteur » Seine-Escaut
La Flandre et la Wallonie ont élaboré pour cela une programmation des travaux à effectuer et progressent pas à pas vers l’échéance finale de 2028 convenue avec l’Union européenne et la France.
Pour la Wallonie, cela se traduit notamment par la mise au gabarit de 2 500 tonnes de toute la dorsale fluviale qui va de Pommeroeul à Namur, avec la construction de quatre nouvelles écluses et des adaptations de tracé. La région wallonne est aussi partie prenante dans la réouverture du canal Pommeroeul-Condé, prévue pour l’année prochaine et où c’est surtout la section française qui doit être remise en état. Le tout conduira à ce que Pascal Moens, directeur à la Direction du Transport et de l’Intermodalité des Marchandises du Service public de Wallonie (SPW) Mobilité et Infrastructures, décrit comme « la modification en profondeur des conditions de navigation des canaux du Centre et de la Sambre ». Sur l’Escaut supérieur, le goulet d’étranglement que constituait la traversée de Tournai a déjà sauté, ce qui permet de naviguer en classe Va sur l’ensemble de la partie wallonne du fleuve.
En Flandre, l’attention porte surtout sur la Lys, qui est adaptée pour permettre le passage d’unités de 4 500 tonnes (Vb) et la navigation conteneurisée sur trois couches. Cela augmentera de façon drastique la capacité de transport sur un tracé long de quelque 70 km qui va de la frontière française à Gand, au débouché du Ringvaart qui ceinture cette ville au confluent avec l’Escaut, dans le canal maritime vers Terneuzen. Avec l’achèvement de la nouvelle écluse de Sint-Baafs-Vijve, en aval de Courtrai, tous les sas sur la Lys flamande ont été mis au gabarit Vb. Des rectifications de courbes ont également eu lieu sur certains tronçons. Des élargissements et approfondissements, ainsi que des remplacements et rehaussements de ponts, sont encore prévus. Sur la Lys mitoyenne, la Flandre travaille de concert avec la Wallonie et la France et s’attèle entre autres à l’amélioration de la traversée de Wervik et de Ménin.
©PHOTO DE VLAAMSE WATERWEG
En marge de Seine-Escaut, la Flandre se penche aussi sur les améliorations à apporter aux canaux latéraux Roeselare-Lys et Bossuit-Courtrai. Le premier a une importance régionale non négligeable. Le second pourrait surtout constituer une liaison rapide entre la Lys et l’Escaut (au gabarit Va) si le goulet d’étranglement formé par les très vieilles écluses à Courtrai pouvait être éliminé. Elles font qu’à l’heure actuelle, le canal constitue pour la navigation intérieure une sorte de cul-de-sac uniquement accessible depuis l’Escaut.
Meuse, canal Albert, Charleroi-Bruxelles
Les autres axes ne sont pas oubliés, d’autant qu’ils pèsent souvent lourd dans le transport fluvial de chaque région concernée et qu’ils constituent le prolongement physique et logique de l’axe Seine-Escaut.
La Flandre poursuit le rehaussement des ponts sur le canal Albert pour obtenir un tirant d’air de 9,10 mètres sur toute sa longueur et rendre possible la navigation avec quatre couches de conteneurs, faciliter le transport de colis lourds et surdimensionnés ainsi que le passage d’unités fluvio-maritimes. À l’heure actuelle, 54 des 62 ponts répondent déjà à cette norme, les autres sont en chantier ou en projet. La Wallonie a elle aussi quatre ponts à relever sur la section la plus orientale du canal.
À cela s’ajoutent des projets plus ponctuels comme la rénovation totale de l’écluse Royers à Anvers d’ici 2024. Elle constitue pour la navigation intérieure la porte d’accès directe entre l’Escaut et le canal Albert, via la zone portuaire.
En Wallonie, d’autres chantiers importants vont aboutir dans les prochaines années, comme la construction de la nouvelle écluse d’Ampsin-Neuville sur la Meuse, qui parachève la modernisation des écluses du bassin de la Meuse. Le premier sas sera opérationnel dans les mois à venir. À Liège, le barrage de Monsin, ouvrage critique pour la gestion des eaux dans le bassin liégeois, subit une reconstruction approfondie. Sur le canal Charleroi-Bruxelles, les écluses sont modernisées pour garantir une plus grande fiabilité et une meilleure gestion des ressources en eaux (notamment en vue de la construction, à terme, d’une deuxième écluse sur chaque site). De même, le plan incliné de Ronquières va subir une réfection importante, nécessaire pour éviter les pannes trop fréquentes à l’heure actuelle sur ce maillon vital de la liaison fluviale qui va d’Anvers à Charleroi. Là encore, les investissements côté wallon trouvent un prolongement côté flamand.
En outre, des deux côtés de la frontière linguistique, ports et terminaux intérieurs déploient évidemment eux aussi des plans de développement.
L’infrastructure est une chose, sa gestion en est une autre. L’extension des heures d’ouverture des ouvrages, la gestion à distance des ouvrages d’art (ponts, écluses, barrages, stations de pompage…) via leur automatisation, la mise en valeur de terrains en bordure d’eau pour des entreprises intéressées à utiliser la voie d’eau pour leur logistique, la promotion de la navigation autonome figurent également en bonne place sur les agendas des deux gestionnaires de voies navigables, De Vlaamse Waterweg et le Service public de Wallonie.
En Flandre, par exemple, le canal Albert est passé au régime 24/7 et 100 des 427 ouvrages d’art mobiles sur le réseau navigable sont désormais commandés à distance. Le but est de généraliser cette pratique d’ici 2032. La Wallonie avance dans la même direction avec son centre Perex 4.0, qui doit agir comme une véritable tour de contrôle pour la gestion des infrastructures.
Gestion des crues et étiages
Une ombre de plus en plus grande glisse sur ce tableau d’ensemble qui témoigne de la volonté flamande et wallonne de jouer à fond la carte de la voie d’eau : le climat commence de plus en plus à jouer les trouble-fêtes. Pour la résilience opérationnelle et infrastructurelle du réseau et pour atteindre les objectifs fixés (20 % de part modale pour la navigation intérieure en Flandre d’ici 2030, 18 % en Wallonie), la gestion de l’eau elle-même devient absolument cruciale pour l’avenir.
Les inondations dévastatrices de juillet 2021 ont provoqué un choc à cet égard. La Wallonie a été très durement frappée par la catastrophe et lèche encore ses plaies. Les estimations parlent de près de 4 milliards d’euros de dégâts. Les infrastructures hydrauliques n’ont pas été épargnées. Différents barrages et écluses du bassin de la Meuse et de nombreux équipements annexes ont subi des dommages. Même si des réparations d’urgence ont limité les conséquences immédiates sur la navigation et la navigabilité du fleuve, d’autres interventions restent nécessaires.
Au niveau des infrastructures régionales de transport, la facture totale pourrait se situer entre 200 et 300 millions d’euros (routes comprises). Ce chiffre est sujet à réévaluation, mais ces dépenses risquent d’affecter la capacité d’investissement, d’autant que la pénurie de certains matériaux et équipements critiques a déjà fait grimper leur prix… et que l’ampleur des besoins excède les moyens disponibles ou prévus. Le gouvernement wallon pourrait dès lors se voir contraint de reporter certains projets. La « sacralisation » des moyens dédiés à la voie d’eau dont parlait, il y a un an, Etienne Willame, directeur général du SPW Mobilité et Infrastructures, dans une interview avec NPI, pourrait devoir céder devant l’urgence.
De Vlaamse Waterweg n’a enregistré lors des inondations de juillet que des dommages relativement mineurs, évalués à 7 millions d’euros et rapidement réparés. Au Limbourg, la Meuse a pourtant connu ses plus forts débits (3 620 m³ par seconde) depuis le début des observations.
Du fait de sa géographie, la Flandre peut plus facilement absorber de subits trop-pleins d’eau, même si certaines régions y restent vulnérables. De plus, depuis les inondations de années 1970, de grands travaux -toujours en cours- ont été entrepris dans le cadre du Plan Sigma pour éviter leur répétition : rehaussement des digues, aménagement de zones inondables, notamment dans les anciens méandres de rivières canalisées, modernisation de barrages en font partie. Ils ont porté leurs fruits lors de la récente catastrophe. Mais la gestion de l’eau s’est désormais hissée au rang des priorités absolues.
Une attention particulière y est portée aux manques d’eau. Les périodes de sécheresse prolongée qui ont marqué les étés des quatre dernières années ont affecté la navigabilité des cours d’eau. Un plan d’action a été défini pour augmenter la résilience du réseau face à ce type d’événements. Il prévoit notamment de donner plus d’espace aux fleuves et rivières pour déborder de leurs rives de façon contrôlée en cas de nécessité. L’aménagement de ces zones inondables sont l’occasion d’une refonte axée sur l’écologie et sur des activités récréatives respectueuses de l’environnement.