Les étés se suivent et ne se ressemblent pas. En 2021, la pluie avait fait remonter tôt en saison le niveau d’eau de la Loire, interrompant dès le 4 octobre les travaux commencés le 1 septembre. Cette année, un été particulièrement sec a permis le redémarrage des travaux dès le 22 août. Deux conditions étaient en effet réunies : la fin du cycle le plus sensible pour la reproduction des espèces de Loire, et un niveau d’eau suffisamment bas pour permettre aux engins de chantier d’accéder aux épis.
Les pelles mécaniques, dont certaines ayant pris place sur un ponton flottant pour traiter les parties en eau, procèdent actuellement au remodelage de 23 épis situés entre Montjean et Ingrandes. Les épis, ce sont des ouvrages en enrochement, construits dans le lit de la Loire, transversalement au courant, qui ont été installés pour concentrer le flux d’eau et favoriser la navigation en augmentant le mouillage.
Contrairement à une idée répandue qui en ferait le « dernier fleuve sauvage d’Europe », la Loire a en effet, de très longue date, été aménagée par l’homme. Elle n’est pas équipée de barrages de navigation et d’écluses, mais son cours est enserré par des « levées », c’est-à-dire des digues construites à la fois pour éviter les inondations dans son lit majeur et pour conserver l’eau dans son lit mineur afin de favoriser la navigation. C’est entre ces levées que les épis ont été construits, afin de resserrer encore le cours de la Loire lors des périodes de basses eaux pour concentrer le flux.
Un fleuve très aménagé
Il existe plus de 700 de ces épis de navigation sur la seule Loire navigable gérée par Voies navigables de France (VNF), d’Angers à Nantes. En concentrant et accélérant le cours de la Loire, ils ont conduit le fleuve à creuser son lit. Un mouvement amplifié par les importantes extractions de sable opérées au cours du XXe siècle. Malgré cela, le mouillage est inférieur à 60 cm à l’étiage. Les épis ne permettent donc pas de maintenir de de bonnes conditions de navigation, alors que c’était le but recherché lors de leur installation.
« Le fond du lit s’est abaissé d’1 m aux Ponts-de-Cé [près d’Angers] et de 4 m à Nantes », précise Séverine Gagnol, cheffe de l’unité « Loire aval » de Voies navigables de France (VNF). « La pente de la ligne d’eau a augmenté, l’eau court plus vite et la Loire creuse davantage son lit ».
C’est pour briser ce cercle vicieux qu’a été décidé le rééquilibrage du lit de la Loire avec des périodes de travaux allant de 2021 à 2026. En 2022, les travaux débutés le 22 août vont se poursuivre jusqu’à fin octobre, voire au-delà si le niveau d’eau le permet. Il s’agit de supprimer certains épis, de diminuer la hauteur de certains autres pour redonner de la mobilité au chenal d’étiage. Cela permettra à la Loire de charrier à nouveau du sable, qui va se déposer dans le fond du lit principal. Les bras secondaires fermés par des enrochements seront rouverts. Leur remise en eau aura un effet environnemental important, restaurant la biodiversité du fleuve.
Un chenal de navigation plus mobile
Les travaux vont se poursuivre à partir de l’été 2023 sur le secteur d’Ancenis, avec cette fois environ 120 épis à traiter. Ce chantier pourrait s’étaler sur deux, voire trois ans en fonction du niveau d’eau estival de la Loire.
Afin de pérenniser le résultat de ces travaux, un ouvrage va aussi être créé à Bellevue, à l’amont immédiat de Nantes, à partir de l’été 2024. Il s’agira de reconstituer un ancien seuil rocheux naturel, qui existe encore en partie et qui marquait encore au début du XXe siècle la limite amont de l’estuaire. « Dans les années 1970, ce seuil a été « dérocté » pour faire remonter la marée plus haut dans le fleuve et favoriser la navigation, rappelle Séverine Gagnol. Cela a bien fonctionné, la marée remontant aujourd’hui jusqu’à Ancenis. Le nouvel ouvrage de fond, qui sera sans effet à marée haute, devrait ralentir l’écoulement à marée basse, et permettre que le sable se dépose plus facilement en amont, favorisant l’effet attendu des travaux sur les épis ».
Conséquence de tous ces travaux : le chenal de navigation en amont de Nantes devrait retrouver de la mobilité. Avec, à la clé, davantage de travail de balisage pour les équipes de VNF, mais pas de conséquence attendue sur la navigabilité de la Loire.
« Il a été acté en 1997 que la navigation en amont de Nantes doit s’adapter à la Loire, et non l’inverse, souligne Séverine Gagnol. Nous ne faisons donc plus de dragage, mais seulement du balisage et de l’information. Les épis remodelés il y a plus de dix ans sur le secteur de Chalonnes ont montré que cela n’avait pas de conséquence sur les hauteurs d’eau, mais nous obligeait à déplacer plus souvent les bouées balisant le chenal pour s’adapter aux déplacements des bancs de sable, surtout en période d’étiage ».
Des fouilles archéologiques réalisés à l’étiage
L’été 2022 a aussi vu le début des fouilles archéologiques dans le lit de la Loire. Celles-ci font suite aux diagnostics archéologiques, prescrits par la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), qui avaient conduit à des investigations sur une surface de 250 ha, menées de 2019 à 2021. Trois chantiers de fouilles ont été décidés suite à ces diagnostics, qui avaient fait apparaître des épaves de bateaux, des pêcheries ou encore des alignements de pieux, témoins d’une activité intense et d’aménagements humains très anciens sur le fleuve.
Les fouilles, réalisées par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), ont débuté le 16 août 2022, les trois chantiers étant menés de front. Un de ces chantiers est situé sur la commune de Mauges-sur-Loire. Les deux autres sur la commune d’Ancenis dont un, celui du site de l’île aux Moines, est déjà achevé.
« Les chantiers archéologiques pourront se terminer avant la fin de l’année, à condition que le niveau d’eau du fleuve reste bas », espère Séverine Gagnol. Dans le cas contraire, les fouilles devront reprendre à l’été 2023. Mais cela occasionnera un surcroît de travail pour les archéologues, les crues hivernales ayant perturbé leurs fouilles entre temps. Cela fait aussi peser un risque de retard sur le chantier de rééquilibrage du lit de la Loire.
Les trois chantiers ont déjà amené des « résultats intéressants pour les archéologues », indique Séverine Gagnol. « Cela remet en mémoire le passé très actif de la Loire, aménagée par l’homme depuis longtemps et foisonnante d’activité jusqu’au XIXe siècle ».