Davantage que du Brexit, c’est de la crise sanitaire qu’a souffert le trafic tourisme Transmanche du port de Calais en 2020 : -84 % pour les autocars, -70 % pour les véhicules légers et -61 % pour les passagers avec seulement 1,45 millions de personnes transportées, chauffeurs de poids lourds compris. Mais dans le même temps, le nombre de camions traversant la Manche entre Calais et Douvres n’a baissé que de 8 % : 1,66 millions de camions ont embarqué sur ferries pour franchir le détroit du Pas-de-Calais.
Malgré le Brexit, le port de Calais, qui s’est vu remettre le 5 mai 2021 les clés de son nouveau port (projet « Calais 2015 »), pourrait voir l’avenir en rose si l’on en juge par les annonces des armateurs. Ainsi, Irish Ferries a annoncé pour le mois de juin le lancement d’un nouveau service, positionnant pour l’instant un navire roulier destiné au transport de fret comme aux passagers sur la relation Calais-Douvres. Ce ferry pourrait être renforcé par d’autres navires dans les mois qui viennent, si les flux le justifient. L’armement P&O, déjà présent sur la traversée de la Manche au départ de Calais, a annoncé début mai le retour prochain du Pride of Burgundy pour le transport de camions à destination de Douvres. Le ferry avait arrêté ses rotations en raison de la crise sanitaire ; son retour portera à cinq navires la flotte P&O sur la liaison Calais-Douvres.
Le non-accompagné, c’est l’avenir
L’armement danois DFDS, également très actif sur les navettes ferry entre Douvres et Calais, a annoncé, pour sa part, le lancement d’un nouveau service de transport pour les remorques non-accompagnées à destination de l’estuaire de la Tamise. Au 1 juin 2021, le Gothia Seaways, navire roulier d’une capacité de 165 remorques, débute une navette entre Calais et le port anglais de Sheerness situé sur l’île de Sheppey, sur l’estuaire de la Medway et au débouché de celui de la Tamise, à 60 km à l’est du centre de Londres. « On pourra désormais transporter une remorque depuis la Turquie jusqu’aux portes de Londres sans passer par la route, puisqu’il existe une liaison ferroviaire entre Sète et Calais », souligne Jean-Claude Charlo, directeur général de DFDS France, qui estime que « les remorques non-accompagnées et l’intermodalité, c’est l’avenir ! »
Richard Goffin, directeur des ports de London Medway dont fait partie Sheerness, indique avoir « constaté que le trafic RoRo accompagné d’un chauffeur pour le transport de marchandises via Douvres et le tunnel sous la Manche est de moins en moins utilisé, au profit du modèle non accompagné. Compte tenu des restrictions actuelles entourant les voyages internationaux, des contrôles plus stricts aux frontières et de l’épidémie de Covid-19, l’un des avantages les plus remarquables est que l’utilisation de méthodes sans chauffeur réduit le risque de retards associés à ces défis particuliers. »
La nouvelle digue de l’extension du port de Calais fait 3,2 km de long © SPD
Du côté de Calais, le pdg du port, Jean-Marc Puissesseau, souligne aussi que « L’ouverture d’une route dédiée aux remorques non accompagnées reliant Calais à l’estuaire de la Tamise répond très clairement aux attentes exprimées par le marché ». Le port de Calais espère aussi que cette nouvelle liaison maritime avec l’Angleterre permettra d’accompagner le développement des différents services ferroviaires au départ de Calais, Jean-Marc Puissesseau indiquant que « ce nouveau service s’intégrera parfaitement aux autoroutes ferroviaires en service à Calais en provenance d’Italie, d’Espagne et du sud de la France ». Calais voit en effet d’intéressants développements dans le transport ferroviaire, avec l’annonce du lancement par CargoBeamer d’une autoroute ferroviaire en provenance de Perpignan : deux rotations hebdomadaires à partir du 16 juin, puis quatre rotations par semaine dès le 5 juillet.
Calais, c’est aussi le tunnel sous la Manche, à travers lequel 1,45 millions de camions ont transité en 2020, selon son exploitant Getlink, soit 9 % de moins qu’en 2019. Au premier trimestre 2021, le nombre de camions embarqués sur train pour emprunter le tunnel sous la Manche a encore diminué de 9 % par rapport au premier trimestre 2020. Getlink pourrait cependant profiter d’un certain renforcement des trafics à l’avenir, de la reprise des traversées pour les véhicules de tourisme, ainsi que du développement de l’intermodalité au port de Calais avec de nouvelles autoroutes ferroviaires vers le Sud de l’Europe en prolongement de son offre ferroviaire Transmanche. « En tant que port sec, Getlink est à la croisée des chemins du maritime et du ferroviaire, et à ce titre très intéressé par l’intermodalité. C’est un sujet d’avenir, puisqu’on voit le transport de remorques non-accompagnées renaître dans les ports de la Manche, alors que c’était précédemment le monopole des ports belges et néerlandais », souligne le directeur général adjoint de la société, Michel Boudoussier.
Dunkerque contourne l’Angleterre
Avant le Brexit, le lien entre Dunkerque et les îles britanniques consistait en une navette ferry avec Douvres, sur laquelle DFDS avait positionné trois navires. Cette liaison, existant depuis 20 ans, concerne un trafic roulier constitué de camions accompagnés et de voitures. En 2020, avec la crise sanitaire, le nombre de passagers empruntant la ligne a connu une chute brutale. Mais dans le même temps, le trafic fret roulier a augmenté de 4 %, sous l’effet d’un sur-stockage en Grande-Bretagne au dernier trimestre en préparation du Brexit.
« Avec le Brexit, on s’attendait à une reprise difficile du Transmanche sur Douvres, mais le travail effectué depuis quatre ans avec les services de l’État a porté ses fruits. Contrairement à d’autres ports, Dunkerque est avant tout un port transocéanique, habitué aux contrôles et aux opérations de dédouanement. Nous étions prêts », affirme Daniel Deschodt, directeur commercial de Dunkerque Port, dont il assure également la direction générale par intérim depuis que Stéphane Raison, en novembre 2020, a été nommé préfigurateur de la fusion de Haropa.
Les échanges de Dunkerque avec la Grande-Bretagne, davantage que par le Brexit, ont été perturbés par la crise sanitaire, qui a entraîné une obligation de se faire tester pour les chauffeurs routiers traversant la Manche. Au premier trimestre 2021, le port a retrouvé un niveau de trafic Transmanche équivalent à celui de l’année précédente.
C’est l’Optima Seaways de DFDS qui a officiellement lancé la nouvelle ligne de ferry de fret Irlande-France entre Rosslare et Dunkerque début janvier 2021 © Dunkerque PortDe nouvelles liaisons ont été mises en place avec les îles britanniques, avec en particulier des navettes ferries directes avec l’Irlande. Il s’agit, au départ du continent européen, d’un itinéraire alternatif au traditionnel landbridge, ce pont terrestre qu’empruntent les camions à travers l’Angleterre et le pays de Galles, avec à chaque bout des traversées maritimes : Manche ou mer du Nord à destination de Douvres, puis mer d’Irlande entre le Pays-de-Galle et l’Irlande. La traversée maritime directe permet d’éviter les passages de frontière et les contrôles qui les accompagnent. Du moins côté européen, car le Royaume-Uni n’a pas encore mis en place de contrôle à ses frontières avec l’Union européenne.
Depuis le 2 janvier 2021, une liaison quotidienne a été mise en place entre Dunkerque et Rosslare par l’armement danois DFDS. Trois navires, transportant des camions complets comme des remorques non-accompagnées, effectuent la traversée en 24 heures. Deux mois après le lancement, preuve du succès de cette nouvelle relation maritime, DFDS a annoncé avoir transporté 10 000 unités de fret, avec un taux de remplissage des navires de 90 %. Un quatrième navire est positionné sur Dunkerque-Rosslare. « La création de la ligne entre Dunkerque et Rosslare est venue répondre à un besoin de la clientèle, car le Brexit occasionne une redistribution des cartes sur la desserte de l’Irlande », explique Jean-Claude Charlo, directeur général de DFDS France.
Le port de Dunkerque affiche fièrement son statut de tête de pont du continent vers la verte Érin. « Avec huit rotations hebdomadaires depuis et vers l’Irlande, le port de Dunkerque est devenu, en l’espace de quatre mois, le port continental européen affichant le plus grand nombre de rotations de services rouliers vers l’Irlande », souligne Daniel Deschodt.
Des travaux prévus
L’Irlande n’est d’ailleurs pas la seule destination visée par le port flamand, puisque le Brexit, paradoxalement, offre à Dunkerque des opportunités pour renforcer ses liaisons maritimes vers la Grande-Bretagne elle-même. Containership, filiale du groupe CMA-CGM spécialisée dans le transport shortsea européen de conteneurs, avait ajouté dès novembre 2020, en préparation du Brexit, une nouvelle escale à Dunkerque sur sa ligne reliant Rotterdam à Dublin. L’armement, en janvier 2021, a lancé un nouveau service qui relie cette fois Dunkerque aux ports anglais de Bristol et Liverpool. Il ne s’agit donc plus de contourner la Grande-Bretagne, mais de mieux la desservir. Avec des conteneurs plutôt que des remorques routières, pour faciliter le passage en douane et éviter du temps d’attente aux chauffeurs. Et avec dans l’idée de faire de Dunkerque, à nouveau desservi depuis peu par les plus grands porte-conteneurs CMA-CGM de la ligne FAL1, un hub de transbordement pour relier les ports anglais aux grandes lignes conteneurisées deepsea.
« Devenir un port de transbordement à destination de la Grande-Bretagne, non depuis le continent européen mais aussi pour les marchandises en provenance du monde entier, c’est une stratégie que nous avons mise en place depuis dix ans, profitant du positionnement géographique de Dunkerque. Le transport maritime de courte distance, de ce point de vue, est un complément du transport transocéanique au même titre que peuvent l’être le ferroviaire ou le fluvial », précise Daniel Deschodt.
Cette stratégie est d’ailleurs avant tout celle des armements maritimes, au premier rangs desquelles CMA CGM qui est le principal actionnaire du terminal des Flandres. Doté en 2019 d’un linéaire de quai rallongé et en 2020 de nouveaux portiques, le terminal à conteneurs du port de Dunkerque, va bénéficier d’une surface de terre-plein étendue avant la fin de l’année 2021. Objectif : doubler le trafic conteneurisé d’ici 2025 pour atteindre le million d’EVP. Le port compte, pour atteindre ce but, sur le développement des modes massifiés. Le fluvial bénéficie déjà de l’absence de surcoût pour sa manutention. Le chantier ferroviaire situé en arrière des quais du terminal à conteneurs fait actuellement l’objet de travaux en vue d’allonger les voies. Fin 2021, il disposera de quatre voies de 850 m de long, afin de ne pas couper les trains de combiné.
« À ce jour, quelque 23 ports de Grande-Bretagne et d’Irlande sont connectés à Dunkerque au travers de flux réguliers, pour un trafic global de 17 Mt. Plus que jamais, Dunkerque s’affirme donc en tant que port des îles Britanniques », souligne la présidente du conseil de surveillance du port, Emmanuelle Verger. Une nouvelle liaison entre Dunkerque et la côte Est de la Grande-Bretagne doit être mise en place début juin.