NPI : quelles sont les complémentarités possibles entre ferroviaire et fluvial dans les ports intérieurs ?
Alain Lefebvre : Le développement du ferroviaire est avant tout lié au transport routier, d’autant qu’au sein même d’un port intérieur, toutes les installations ne sont pas forcément trimodales. Mais partout où il y a la possibilité de faire de l’intermodal fer-fleuve, le potentiel de développement existe, même s’il ne se réalisera pas forcément dans un avenir proche. Le passage du fer au fleuve, ou inversement, concerne surtout les conteneurs maritimes car il est possible de mettre un conteneur à bord d’un train, alors que l’on ne peut pas charger une caisse mobile dans la cale d’un bateau.
NPI : de tels trafics, en transbordement entre le rail et le fleuve, existent-ils au port de Lille ?
Alain Lefebvre : À Lille, des conteneurs maritimes provenant d’Anvers par transport fluvial repartent en ferroviaire à destination de la Nouvelle Aquitaine, par exemple. Les quais ont été équipés pour faire passer directement les conteneurs d’un mode à l’autre, avec des voies ferrées passant bord à voie d’eau, sous les portiques. D’autres trafics en bimodalité rail-route existent aux Ports de Lille, avec, par exemple, des produits de carrière arrivant par fer jusqu’aux quais portuaires, puis distribués en cœur de ville grâce au transport fluvial. Des traverses de chemin de fer en béton sont aussi acheminées jusqu’aux Ports de Lille en fluvial, avant de repartir sur wagon vers des chantiers d’entretien ou de construction de lignes à grande vitesse. Depuis janvier 2018, un nouveau trafic a été mis en place sur le site de Santes, avec des céréales arrivant jusqu’au port par train, et repartant en bateau fluvial.
NPI : quelles sont les limites au développement de ces trafics rail-fleuve dans les ports intérieurs ?
Alain Lefebvre : Tout d’abord, les ports fluviaux ne sont pas tous trimodaux, loin de là. Aux Ports de Lille, seuls deux sites portuaires sur douze accueillent des trafics ferroviaires. La limite vient aussi des ports maritimes, qui sont tous équipés de lignes ferroviaires. Ils ont donc, en principe, la possibilité de réaliser des expéditions en ferroviaire sur longue distance. Pour les destinations vers lesquels ils peuvent expédier directement par train, ils ne feront pas un premier transport par voie d’eau jusqu’à un port intérieur, rajoutant une rupture de charge. Enfin, il faut prendre en compte la capacité technique des ports intérieurs à se relier au réseau ferroviaire, leur possibilité de travailler de nuit pour ceux situés en milieu urbain, ou encore la capacité offerte par les gares de triage situées en amont.
NPI : des investissements sont-ils nécessaires pour développer les transports ferroviaires dans les ports intérieurs ?
Alain Lefebvre : Pour les ports qui ne sont pas raccordés au réseau ferré, le coût est souvent très élevé pour y parvenir. S’il faut tracer une ligne de 10 km pour raccorder le port au réseau ferroviaire, cela peut s’avérer compliqué, d’autant que les ports intérieurs sont souvent en milieu urbain. Par exemple, le long du tracé du futur canal Seine-Nord, Nesle est bien placé pour être raccordé. Pour Marquion, en revanche, la création d’un raccordement ferroviaire sera problématique et d’un coût élevé. La situation de chaque port doit s’évaluer au cas par cas, car le potentiel de développement industriel et logistique d’un site peut justifier des investissements lourds. On ne peut pas tirer de tendance générale, si ce n’est que les ports intérieurs intègrent la logistique ferroviaire.
NPI : les ports intérieurs sont donc davantage tournés vers le ferroviaire ?
Alain Lefebvre : Oui, il y a une attention pour le ferroviaire de la part de ports intérieurs, qu’ils n’avaient pas précédemment. Et cela se traduit par des hausses de trafic. Sur le Rhin, en 2018, il s’agit davantage, malheureusement, d’un glissement de trafic fluvial sur le ferroviaire, pour cause de basses eaux, que de report modal de la route vers le rail. Mais le ferroviaire reste malgré tout un axe fort de développement des ports intérieurs. À Dourges, où le trafic ferroviaire est bien implanté, le potentiel de croissance est encore énorme. Aux Ports de Lille, le trafic ferroviaire a été multiplié par 10 en cinq ans, partant, il est vrai, d’assez bas pour atteindre 500 152 t en 2018. La progression devrait désormais se poursuivre, mais à un rythme moins élevé. Les trains de combiné étant déjà bien remplis, en entrée comme en sortie, l’augmentation des trafics ne pourra venir que de la création de nouvelles lignes. Nous sommes approchés par des opérateurs réfléchissant à relier Lille par train avec le Benelux, l’Italie ou la Pologne, mais aucun projet ne se concrétise pour l’instant.
NPI : quelle est la répartition des trafics ferroviaires entre le site de Lille et celui de Santes ?
Alain Lefebvre : Plus de 90 % du trafic ferroviaire des Ports de Lille est réalisé sur le site lillois, relié par transport combiné avec Bordeaux, Bayonne, Toulouse, Avignon et Marseille. Le site de Santes rassemble les 10 % restant, trafic composé de produits de carrière et de céréales, ces dernières repartant par bateau à destination des ports maritimes.
NPI : les travaux d’aménagement d’un nouveau terminal à conteneurs à Santes seront-ils de nature à développer les trafics ?
Alain Lefebvre : Le projet que nous mettons en place à Santes comprend la création d’une nouvelle plate-forme à conteneurs dotée de 400 m de quai fluvial, de deux reach-stackers et de trois voies ferrées de 445 m de long. Les conteneurs y parviendront par bateau depuis les ports maritimes, et 50 % d’entre eux repartiront par transport ferroviaire. Il s’agit de capter de nouveaux flux pour ce terminal, opérationnel en janvier 2020, qui sera complémentaire de celui de Lille. Le turn-over y sera très rapide, avec une capacité de stockage limitée à 500 ou 1000 boîtes et sans dépôt de vides, le terminal de Lille, situé à seulement quelques kilomètres, jouant ce rôle.
NPI : les Ports de Lille pourraient-ils accueillir des trains en provenance de Chine, dans le cadre de la nouvelle route de la soie ?
Alain Lefebvre : Le port est limité par ses capacités de réception, Dourges étant mieux positionné pour jouer ce rôle lié à l’international. Par ailleurs, les Ports de Lille ne sont pas tournés vers les trafics de transit, mais vers la desserte de l’agglomération lilloise dans l’objectif de diminuer les flux de camion. Avec des terminaux situés à 2 km du centre-ville, notre but n’est pas d’attirer les trafics internationaux, raison pour laquelle nous ne nous positionnons pas non plus sur le créneau des autoroutes ferroviaires.