Alain Schuhl, directeur général délégué à la science au CNRS, a souligné que « le portuaire n’est pas un enjeu accessoire et ses problématiques sont pluridisplinaires ». La réalisation de plusieurs cartographies montre d’ailleurs qu’il y a 4 sciences « cœur de métier » autour de la recherche portuaire (économie, géographie, gestion, juridique) auxquelles s’ajoutent bien d’autres (science de la vie, biologie, urbanisme/aménagement, environnement, informatique, ingénierie, robotique…), a détaillé Eric Foulquier, enseignant-chercheur à l’université de Brest. Un total de 50 à 60 chercheurs français effectue des recherches autour des problématiques portuaires, dont la moitié sont des spécialistes de l’une des 4 sciences « cœur de métier ». Ils sont majoritairement établis à Paris (« effet de la capitale ») mais aussi dans les universités installées dans des villes du littoral pas forcément dotées de « grands ports », a ajouté Eric Foulquier.
Les chercheurs s’adaptent à la temporalité des acteurs économiques
« Augmenter la visibilité de la recherche est important pour les chercheurs. Les résultats de la recherche ne sont pas lus par les décideurs ou les acteurs économiques. Ceux-ci voient la temporalité de la recherche comme un frein par rapport à celle des entreprises. Nous essayons de réduire l’écart entre ces deux temporalités. Notre objectif est de créer du lien pour montrer que les chercheurs peuvent être réactifs pour répondre à des questions des acteurs économiques ou portuaires plutôt que de faire appel à des analystes privés. Créer du lien est l’un des éléments d’une stratégie portuaire innovante », a expliqué Arnaud Serry, enseignant-chercheur à l’université Le Havre-Normandie et coordinateur du projet Devport qui est un partenariat de recherche noué avec Haropa depuis 7 ans.
Pour Cyril Chédot, chef du service planification et aménagement du territoire du GPM du Havre : « La collaboration au sein de Devport porte sur des sujets en lien avec l’actualité comme de long terme. L’essentiel est la qualité du lien entre les deux parties ».
La neutralité du chercheur est source d’innovations et d’idées nouvelles
Antoine Frémont, directeur de recherche à l’université Gustave Eiffel à Paris, a montré à partir du projet de recherche Fluide, achevé en 2015 et qui avait bénéficié d’un financement par l’agence nationale de la recherche (ANR), la valeur ajoutée d’un tel programme dont les résultats sont toujours d’actualité malgré les années qui ont passé. La problématique de Fluide avait été posée au-delà de l’intérêt des acteurs concernés : la relation entre les ports maritimes et les métropoles intérieures de Paris, Lyon, Strasbourg et leurs ports fluviaux, comment développer la relation de manière durable.
« Des notions comme les corridors, les axes ont émergé, mais aussi le sujet de l’organisation de la manutention portuaire dans les ports maritimes, l’insertion des ports fluviaux dans les villes. Les résultats sur les conditions du report modal demeurent valables aujourd’hui : nécessité d’avoir des volumes, de proposer un coût inférieur du fluvial et du ferroviaire par rapport au TRM, d’organiser la massification aux deux extrémités, dans le port lui-même soit en faisant une cueillette dans les différents terminaux soit un seul terminal dédié, et dans la ville intérieure, etc. En conclusion, il était indiqué qu’il fallait privilégier le report modal dans les ports et y localiser les financements là où les conditions sont déjà réunies », a rappelé Antoine Frémont.
Le projet de recherche a été poursuivi avec TDIE et a mis en évidence la nécessité d’aménagements logistiques pour les collectivités territoriales. « Cela a entraîné que la logistique soit incluse dans les SRADDET. Il y a eu ici une continuité entre les travaux de la recherche et la réalité suite à l’intervention d’un intermédiaire ».
Pour Antoine Frémont : « Il faut comprendre que la valeur ajoutée d’un programme de recherche est liée à la neutralité du chercheur qui n’est pas pour ou contre un intérêt particulier. Un chercheur éclaire les différents acteurs de manière libre, ce qui est très différent d’un bureau d’étude qui travaille pour un commanditaire. Cette liberté du chercheur peut faire peur à des acteurs économiques, à des administrations mais elle source d’innovation et d’émergence d’idées nouvelles ».
Les ports d’Anvers et Rotterdam l’ont bien compris qui associent leurs universités respectives aux groupes de réflexion portuaires.
5 propositions pour une « feuille de route recherches portuaires »
Les travaux menés depuis le printemps 2020, réalisation de cartographies (voir plus haut) et d’une enquête auprès de chercheurs a permis d’élaborer une « feuille de route recherches portuaires », a précisé Eric Foulquier. Elle comprend 5 propositions :
- Créer un réseau de chercheurs qui mènent des recherches portuaires, sous la responsabilité du CNRS.
- Organiser un événement une ou deux par an pour faire se rencontrer les chercheurs et les décideurs portuaires mais aussi d’autres acteurs comme les élus, pour tenir compte des liens entre les ports, les villes, les territoires.
- Créer un fond spécifique de financement de la recherche portuaire en France.
- Militer pour intégrer les scientifiques dans les instances de gouvernance portuaire en France (sur le modèle de ce qui se fait ailleurs).
- Rédiger un « Livre blanc » qui serait un bilan des travaux menés depuis le printemps 2020 autour de la recherche portuaire en France et comment améliorer les échanges entre les acteurs des mondes de la recherche et des ports.
Le tout dans le contexte de la stratégie nationale portuaire à venir et pour atteindre l’objectif qui lui est fixé « passer à une stratégie offensive de reconquête de parts de marché pour les ports français par rapport aux concurrents étrangers », selon la ministre de la mer.
Le premier webinaire des Assises du port du futur a eu lieu le 17 novembre 2020), le troisième se déroule le 19 novembre 2020 autour du thème « l’innovation portuaire en grand et petit format.