« On est allé très loin dans le gigantisme en navigation intérieure alors qu’il existe des besoins de bateaux adaptés aux voies à petit gabarit qui ont été abandonnés au profit du tout-route. Il faut redynamiser cette partie du transport fluvial tout en proposant un prix compétitif, la navigation autonome, la téléconduite, la télégestion peuvent jouer un rôle déterminant », relève Thierry Ledent. Il s’agit de proposer aux chargeurs une cale de 300 à 400 tonnes adaptée au petit gabarit, avec éventuellement plusieurs bateaux formant un convoi une fois rejoint une voie plus grande, le tout avec une seule personne à bord. C’est l’un des principes des projets européens Watertruck puis Watertruck+.
Le projet de test de navigation autonome sur la Haute Sambre entre Charleroi et Maubeuge nécessite de faire évoluer la réglementation en Wallonie, ce qui est possible par un décret, en cours de préparation, mettant en place une dérogation. D’un point de vue plus général, il faut aussi faire évoluer la réglementation au niveau de la CCNR, ce qui peut prendre du temps. La Belgique va prendre la présidence de cette organisation pour deux ans à partir du 1er janvier 2020, l’occasion pour ce pays de faire avancer un projet de création d’un nouveau « comité pour la navigation automatisée » dont le but sera d’aboutir à un cadre juridique qui permette la navigation automatisée à tous les niveaux d’automatisation. Il s’agira d’identifier les éventuels obstacles dans le RPNR concernant la navigation automatisée et innovante, de lancer une approche transfrontalière et transversale pour en mesurer le potentiel. Dans le même temps, les Etats membres peuvent investir dans des projets-pilote, des dérogations ponctuelles étant accordées par eux et/ou le comité.
Un projet en 4 étapes
Le projet de navigation autonome sur la Haute Sambre prévoit d’utiliser une barge construite dans le cadre de Watertruck+, de 38,5 m sur 5, 05 m, dotée d’une propulsion Z-drive, non équipée d’une timonerie mais avec un poste de télécommande pour une navigation par téléguidage. Les essais-pilote comptent quatre étapes. La première est un voyage à vide aller entre Charleroi et Maubeuge avec un équipage composé d’un capitaine et d’un matelot plus un observateur chargé de noter tous les événements lors de la navigation. Lors de ce voyage, il s’agit de collecter un maximum d’informations sur l’environnement, les ouvrages, la navigation, les actions de l’équipage… afin de les intégrer dans le système de navigation à distance et de déterminer si d’autres outils doivent compléter l’équipement du bateau qui, outre le poste de télécommande, comprend un système de mesure bathymétrique à l’avant, une caméra horodatée pour des prises de vue toutes les 5 secondes, un GPS. Pour le relevé des informations, des thèmes ont été définis : sécurité, équipage, infrastructures, communication. Pour chacun de ces thèmes, une liste de questions a été établie : signaux, urgences, arrimage, arrêts, conditions limites d’exploitation, passage des écluses, adaptations aux quais, moyens de communication suffisants ou non, etc.
La deuxième étape est un voyage retour avec un chargement de Maubeuge à Charleroi avec la même composition d’équipage, deux personnes plus un observateur et les mêmes objectifs de recueil d’informations.
La troisième étape est un voyage aller-retour, si possible avec un chargement, avec à bord un opérateur de télé/radiopilotage spécialisé et formé, éventuellement un matelot, et un observateur. Un bateau suivra à distance pour une observation à vue. C’est le moment des derniers relevés d’informations pour les intégrer au système de commande à distance. La quatrième phase est celle de la navigation autonome avec un téléguidage à distance de la barge par un pilote installé dans un centre d’opération à Anvers, il n’y a plus personne à bord, sous réserve des autorisations des autorités compétentes.
Pour la réalisation de ces essais-pilote, le SPW collabore avec le groupe De Cloedt et avec la société Seafar. Fondée en 2018, celle-ci développe une technologie permettant de piloter à distance des unités automatisées en navigation intérieure (longueur maximum 55 m et capacité maximale de 750 t) avec un centre de contrôle basé à Anvers. Des systèmes de capteurs sont installés à bord et permettent à un opérateur de surveiller et contrôler l’unité à distance depuis le centre de contrôle. Seafar a notamment perfectionné ses systèmes par des tests conduits pendant 6 mois sur un navire d’essai au port d’Anvers.
« Ce projet et les essais-pilote, c’est de la recherche et du développement. La navigation autonome peut-être une solution innovante pour redynamiser la navigation intérieure à l’avenir, assure Thierry Ledent, plus particulièrement sur le réseau à petit gabarit où il y a des potentiels de trafics. Il y a aussi le contexte du défi climatique et la nécessité de renoncer au tout-route ».
La navigation autonome a fait l’objet en Flandre d’une première série de tests avec un modèle réduit - long tout de même de 5 m – sur l’Yser. Ces derniers mois, l’unité autonome baptisée Cogge, qui se pilote elle-même sans assistance extérieure, a effectué des trajets de plusieurs kilomètres sur l’Yser où le trafic fluvial est réduit. Durant ces voyages, elle a évité avec succès plusieurs obstacles statiques sans intervention extérieure. Cogge fait appel à des capteurs avancés, des lasers et une caméra pour analyser l’environnement dans lequel elle navigue. Les informations recueillies sont traitées par un logiciel qui intègre aussi les données GPS et tient compte de la faible marge de manœuvre disponible dans la navigation intérieure. Un suivi à distance est assuré au moyen de différentes technologies (3G, 4G, wifi, radio), pour permettre de prendre le controle de l’unité en cas de besoin.
Ce n’est qu’une première étape dans ce projet cofinancé par l’Europe. D’autres doivent être franchis pour permettre une navigation autonome à une échelle commerciale, explique le professeur Peter Slaets de l’université de Leuven. « A l’heure actuelle, les obstacles détectés ne peuvent pas être ajoutés aux cartes numériques et les bateaux ne sont pas en mesure d’échanger ce genre d’informations ».
Les prochains essais porteront sur des manœuvres, comme le passage d’une écluse ou l’amarrage autonome. L’intention est d’appliquer la technologie utilisée à des unités d’une longueur de 38,5 m pouvant transporter 250 à 400 t.
Un des objectifs est de stimuler le recours au transport fluvial sur des voies navigables de faible gabarit et d’offrir aux chargeurs une alternative durable au transport routier, indique Chris Danckaerts, administrateur délégué de De Vlaamse Waterweg, le gestionnaire du réseau fluvial flamand.
Un des obstacles à surmonter est l’absence de plates-formes régionales où les marchandises peuvent non seulement être transbordées, mais également stockées de façon temporaire. Sur l’Yser, de telles installations sont prévues à Furnes et Diksmuide.