NPI : quel a été votre premier dossier en prenant vos fonctions de directeur de l'EFIP ?
Turi Fiorito : Le premier sujet de législation sur lequel j'ai commencé à travailler a été la rédaction de la position de l’EFIP sur la proposition de révision du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (MIE 2). Le MIE est essentiel pour les ports car il permet d’investir dans des projets qui, autrement, seraient impossibles ou non-viable commercialement. Le processus législatif européen comporte souvent des étapes très spécifiques qui nécessitent que les acteurs aient des positions bien définies sur le sujet. Lorsque j'ai pris mes fonctions, l'étape décisive pour le MIE 2 approchait rapidement. J'ai été en mesure de publier notre position grâce à une coordination efficace avec les membres de l’EFIP, puis de présenter avec succès cette position aux décideurs européens. Ce qui a finalement abouti à la présentation de toutes les propositions de l’EFIP au cours des négociations. Ceci est très important car l'influence que nous avons en dehors des jalons législatifs est extrêmement limitée et si vos idées n'entrent pas dans ce processus à temps, le succès sera extrêmement difficile.
NPI : comment la version 2 du MIE peut-elle répondre davantage aux enjeux des ports intérieurs européens ? Les moyens mis en œuvre sont-ils suffisants pour le développement des ports et des transports intermodaux ?
Turi Fiorito : Le MIE 2 a tout le potentiel pour aider les ports intérieurs à faire de bons investissements tournés vers l’avenir et pour accroître l’efficacité de la logistique européenne. Mais cela dépend de quelques prérequis.
Tout d’abord, des enveloppes dédiées pour les priorités « horizontales », c’est-à-dire la décarbonisation, la numérisation, la sécurité et les solutions innovantes. Ces sujets sont très importants pour rendre notre secteur des transports plus efficace. Les thèmes de la décarbonisation et de la numérisation, en particulier, sont essentiels pour les ports intérieurs. Nous avons toujours préconisé pour ces projets des enveloppes dédiées, avec des fonds réservés à ces priorités. La Commission l’avait déjà proposé et nous espérons que ce sera retenu dans la version finale du MIE 2.
Ensuite, des conditions de concurrence équitables. L'un des succès majeurs de la première période du MIE a été la quantité de subventions allouées à des projets ferroviaires. Les membres de l’EFIP accordent une grande importance aux activités ferroviaires, mais nous ne sommes pas satisfaits du peu de fonds alloués aux projets de navigation intérieure. Un niveau de subvention doit être défini pour chaque mode dans le MIE 2 pour résoudre ce problème.
Enfin, la transparence des appels. L’imprévisibilité des appels à projets étaient en effet un des problèmes que nous avons vu au cours de la première période du MIE. Les dates des appels à projets et leurs objectifs n'étaient pas toujours clairs à long terme. Souvent, un nouvel appel n’était confirmé qu’un mois à l’avance environ. Comme les projets mettent des mois à mûrir suffisamment, il est très difficile de planifier vos projets. C'est pourquoi nous avons proposé que la Commission publie les appels prévus dans les deux ans, avec leur taille et leurs objectifs. Cela aidera beaucoup les ports à planifier leurs projets et à s’assurer qu’ils atteignent le niveau de maturité requis.
NPI : plus généralement, les ports intérieurs ont-ils les moyens de se développer ? Peuvent-ils s'adapter à l'évolution de la logistique et de l'industrie et proposer de nouveaux services aux bateaux ou aux marchandises ?
Turi Fiorito : Chaque port intérieur est différent dans ses caractéristiques ou dans son offre commerciale, ce qui rend difficile toute déclaration générale. Cela dit, les ports intérieurs ont les moyens de se développer, quelles que soient les exigences de leur situation commerciale. Le secteur de la logistique européenne est en constante mutation, avec de nouveaux développements rapides ; les ports intérieurs sont les nœuds multimodaux de ce secteur, ils doivent donc s'adapter et sont habitués à le faire. C’est pourquoi les membres de l’EFIP travaillent sur l’avitaillement en hydrogène, la mobilité urbaine et la numérisation. Le principal domaine dans lequel nous pourrions nous améliorer est notre capacité à nous coordonner et à échanger les enseignements tirés les uns des autres. De nombreux ports fonctionnent encore à un niveau très individualiste, ce qui est loin d’être optimal.
NPI : quel regard portez-vous sur le programme Naiades II ? Quelle suite doit être donnée à ce programme ?
Turi Fiorito : Naiades II est un instrument politique très efficace utilisé pour accroître la navigabilité du réseau et la viabilité commerciale du transport fluvial. Mais ce travail est loin d’être achevé et de nombreux défis restent à relever. Cela passe par des mesures plus ambitieuses ayant pour but de verdir la flotte, remédier au manque de professionnels formés à la navigation intérieure, réhabiliter les infrastructures et mettre en place une véritable stratégie de numérisation.
NPI : quels éléments pourraient renforcer la multimodalité dans les ports intérieurs, et en particulier, y développer le transport ferroviaire ?
Turi Fiorito : Beaucoup de ports intérieurs, si ce n’est la plupart d’entre eux, fonctionnent déjà comme des nœuds multimodaux, réunissant divers modes et optimisant le système de transport européen. Dans de nombreux ports, le rail représente déjà une part essentielle des opérations. Et les ports intérieurs sont en tête dans ce domaine. Les ports de Liège et de Mannheim, par exemple, ont désormais des liaisons ferroviaires avec la Chine. Les marchandises peuvent ensuite emprunter d'autres trains ou des voies navigables intérieures. Le rail est une priorité pour tous les ports intérieurs.
NPI : par quelle politique européenne pourrait être favorisée l'innovation dans les ports intérieurs, par exemple, dans le numérique ou dans les énergies renouvelables ?
Turi Fiorito : C'est une question très importante pour nous à l'heure actuelle, mais avant de nous déterminer sur la politique à mener, nous devons décider de l’orientation à donner à nos ports pour l'avenir. Et cela ne devrait pas se limiter à la numérisation et aux énergies renouvelables. Tous les aspects des ports intérieurs étant interconnecté, aucun de ces sujets ne peut être vu de façon isolée. Par conséquent, l'EFIP participe activement à l'initiative « Docks the Future », soutenue par l'Union européenne, afin de définir une vision globale pour l’avenir des ports intérieurs.
NPI : quelle stratégie l'EFIP peut-elle déployer pour davantage de coopération avec d'autres organismes portuaires ou de la navigation intérieure pour peser sur les débats européens ?
Turi Fiorito : Nous avons déjà une coopération très étroite avec l’Organisation des ports maritimes européens (ESPO), Inland Navigation Europe (INE), l’Union européenne de la navigation fluviale (EBU), l’Organisation européenne de la batellerie (OEB), la Communauté européenne du rail (CER) et d’autres organisations. Nous sommes en mesure de trouver de nombreuses synergies avec elles. Cette approche a été très efficace et satisfaisante pour l’EFIP comme pour les autres organisations. La campagne pour les transports « More EU Budget for Transport » (en français : « le meilleur plan d'investissement pour l'Europe ») en est un bon exemple. L’EFIP a été une des organisations les plus actives dans cette campagne, qui a été couronnée de succès puisque la Commission a défini un budget adéquat pour sa proposition de MIE 2.