Tourisme fluvial :  Une reprise lente et progressive après une saison 2020 catastrophique

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2020 a été très difficile pour le tourisme fluvial avec une fréquentation en baisse suite à la crise sanitaire qui a stoppé les activités. La visibilité de reprise est, à ce stade, incertaine. La priorité d’Entreprises fluviales de France est la survie des PME et TPE du tourisme fluvial en cette période critique en obtenant des mesures d’accompagnement tout en travaillant à des initiatives pour repartir sur des bases solides et avec des perspectives de développement. 

En France, le tourisme fluvial est un secteur qui présente des activités diversifiées avec des offres variées, des bateaux différents en termes de dimensions et de nombre de passagers accueillis à bord, des secteurs géographiques qui vont des grandes métropoles à des destinations « nature », le tout sur des voies d’eau qui vont des fleuves -la Seine, le Rhône, le Rhin- à des canaux du Sud-Ouest, de Bourgogne, du Grand-Est… donc sur l’ensemble du réseau du pays quel que soit son gabarit. 

« Le segment dominant est celui des bateaux-promenade avec lesquels on visite avec ou sans prestation, c’est-à-dire avec ou sans restauration, les villes de Paris, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, d’Annecy… Paris représente une destination phare et accueille 8 millions de passagers par an, à comparer à un total de 12 millions au niveau national. Paris est le premier port mondial pour les passagers », explique Frédéric Aviérinos, vice-président du collège passagers d’Entreprises fluviales de France (E2F)

Viennent ensuite les activités privatives et événementielles : à bord d’un bateau (en navigation ou à quai) ou d’un établissement flottant amarré à quai, sont organisés des moments festifs pour des particuliers (mariages, anniversaires…) ou professionnels pour des entreprises (séminaires, conférences…). 

Il y a les croisières avec hébergement à bord de bateaux pouvant accueillir jusqu’à 135 passagers et qui naviguent sur les fleuves de France et d’Europe. Les croisières avec hébergement, ce sont les bateaux en location avec ou sans pilote et personnel à bord, qui accueillent jusqu’à 12 ou 15 passagers. Ce sont les péniches-hôtel haut de gamme à destination d’une clientèle internationale. 

Des entreprises sous perfusion

« Le tourisme fluvial est un secteur que la crise sanitaire puis économique a encore plus mis en lumière. Auparavant, il était plutôt méconnu alors qu’il est important dans l’écosystème touristique et participe au développement des territoires français. Le tourisme fluvial, ce sont des emplois directs et indirects non délocalisables et une irrigation des territoires en lien avec d’autres secteurs et des activités annexes », indique Frédéric Aviérinos. Parmi ceux-ci, les autocars, les restaurants, les hôtels, les musées, etc. 

« Le tourisme fluvial est un secteur, dès à présent, « éco-sensible », c’est-à-dire à la fois respectueux de l’environnement et dans la tendance actuelle de recherche d’évasion au plus près de la nature », ajoute le représentant d’E2F

2019 a été positive pour le tourisme fluvial avec près de 11,3 millions de passagers transportés (+2,1 % par rapport à 2018), même si les « gilets jaunes » et les grèves contre la réforme des retraites ont eu des répercussions. Les années précédentes avaient été chaotiques : les attentats de 2015 ont entraîné une moindre venue des touristes internationaux, des crues se sont produites en 2016, 2018. 

« Début 2020, le tourisme fluvial sortait de plusieurs événements compliqués mais les perspectives étaient prometteuses. Puis nous avons vécu l’arrêt complet des activités mi-mars ». Des mesures spécifiques ont été mises en place pour la filière tourisme dans son ensemble qui ont concerné la partie fluviale comme la prise en charge à 100 % par l’Etat du chômage partiel, le prêt garantie par l’Etat (PGE) a été adapté à la saisonnalité des activités, sans oublier les reports et annulations de charges sociales et le fond de solidarité. 

« Ces mesures ont permis aux entreprises de pouvoir tenir mais elles sont sous perfusion. Nous les avons obtenus car nous avons été membre fondateur de la confédération des acteurs du tourisme il y 2 ans et avons participé aux réunions du comité de filière présidées par le secrétaire d’Etat au Tourisme ». 

Une autre mesure de soutien a été obtenue auprès des différents bailleurs publics concernant les redevances d’occupation du domaine public. « Nous avons obtenu des réductions voire même des annulations. Il ne faut pas oublier les décisions de Voies navigables de France concernant les péages et les COT qui relèvent de cet établissement qui est beaucoup impliqué aussi dans le tourisme fluvial. Haropa-Ports de Paris a décidé de prolonger les mesures déjà en place en 2020 jusqu’à la fin du deuxième trimestre 2021. Nous comptons sur le même engagement des autres bailleurs publics auprès des opérateurs locaux du tourisme fluvial ». 

CroisiEurope : 89 % de chiffre d’affaires en moins

« En 2020, nous avons 89 % de chiffre d’affaires en moins par rapport à 2019. Nous avons réalisé, cet été, quelques croisières en France sur le Rhin, sur les canaux du Nord, à Berlin, en mer Baltique, sur le Douro. Beaucoup d’autres ont été annulées à cause des mesures sanitaires et de l’absence d’harmonisation des règles pour les déplacements entre les pays », explique Lucas Schmitter, directeur de CroisiEurope. La compagnie a mis en place l’activité partielle, a obtenu un PGE, le report d’échéances bancaires. « Nous avons beaucoup de chance d’être en France, ces mesures nous ont permis de tenir tout comme le soutien de nos partenaires financiers. Il ne faut pas oublier le système des avoirs jusqu’à 18 mois ».

2021 « se présente plutôt bien. Nous profitons des reports, enregistrons quelques nouvelles réservations même si ce n’est pas comparable à d’habitude. Nous ne sommes pas les plus mal lotis ». 2021 sera « sans doute encore compliquée avec peut-être un retour à un rythme normal l’été ? Mais tous les jours, ça change, vaccin, conditions sanitaires… ». Il rappelle que le tourisme fluvial a des arguments : bateaux à taille humaine, loin de la foule, respectueux de l’environnement.

Une vulnérabilité importante

Pour le tourisme fluvial, la reprise des activités a été possible à partir de fin mai avec la réouverture du réseau à la navigation et avec des règles sanitaires strictes comme une jauge diminuée pour le nombre de passagers à bord, distanciation, port du masque... Pour les croisières avec hébergement, il a fallu attendre mi-juillet.

« Au-delà des règles sanitaires, nous savions que cela allait être très difficile pour les activités privatives et événementielles, car l’été n’est pas la meilleure période, ainsi que pour les croisières avec hébergement, dont la clientèle étrangère n’allait pas être au rendez-vous ».

C’est une autre caractéristique du tourisme fluvial : la part des clients étrangers, en provenance de pays lointains pas seulement européens, est supérieure à 50 % et dépasse 80 % pour les péniches-hôtel. Cette capacité de la filière à attirer une clientèle internationale s’est révélée une vulnérabilité très importante avec le Covid-19 qui a stoppé le trafic aérien, fermé les frontières, inciter les touristes à rester dans leur pays.

« Au cours de l’été 2020, à bord des bateaux, nous avons, un peu, vu des Européens des pays les plus proches et des Français mais pas de clientèle internationale ». Cela signifie que même avec la possibilité de reprendre les activités, le tourisme fluvial ne peut retrouver le chemin de la reprise rapidement. Constitué très majoritairement de PME/TPE (90 %), il a vu sa fréquentation moyenne dévisser de 75 %, selon l’enquête réalisée par E2F auprès de ses adhérents. Au plus haut de la période estivale, la fréquentation des bateaux d’Ile-de-France a atteint 19 % du niveau habituel, en région, au mieux, 29 %. Il est apparu qu’il n’y aurait pas d’arrière saison : l’absence de visibilité sur le retour des touristes et la possibilité d’une deuxième vague de l’épidémie a conduit fin août à un nouveau report de réservations...sine die. 70 % des voyages jusqu’à la fin de l’année sont annulés pour les opérateurs parisiens, 67 % en région... Et 100 % d’annulations pour le seul segment des paquebots fluviaux pour la saison 2020 dont une partie seulement reportée sur 2021.

Les activités ont été de nouveau complètement stoppées fin octobre avec la mise en place du deuxième confinement. S’il faut distinguer entre les activités qui font l’objet d’une fermeture administrative (comme les croisières avec hébergement) de celles qui n’en relèvent pas, en pratique, l’ensemble de la filière est à l’arrêt, même s’il y a quelques différences au niveau de l’accompagnement, par exemple pour le fond de solidarité.

« Bien sûr, toutes les mesures de soutien se poursuivent mais c’est ça ou les entreprises crèvent. Tout est de nouveau à l’arrêt après une année catastrophique et les perspectives sont incertaines non seulement pour la fin 2020 mais l’absence de visibilité concerne aussi la saison 2021. Plus ça dure, plus c’est compliqué pour les entreprises. Certaines ne s’en remettront pas, il y aura certainement des restructurations, des évolutions. Nous n’avons pas eu de défaillances d’entreprises à ce jour mais qu’en sera t-il au moment où les mesures de soutien s’arrêteront, quand le temps viendra de rembourser les PGE ? L’une de nos priorités est d’obtenir le meilleur accompagnement possible, notamment, nous luttons pour le prolongement du chômage partiel au-delà du 31 décembre 2020, pour tout ce qui concerne les redevances d’occupation du domaine public en 2021. Nous avons commencé à négocier au niveau de la branche un accord d’activité partielle de longue durée. 2021 n’est pas partie pour être une année habituelle. 2022 ne sera pas non plus une facile. La priorité, c’est la survie des entreprises en cette période critique ».

Parmi les action à venir, il y a la poursuite des impératifs des transitions énergétique et écologique. « Les entreprises du tourisme fluvial sont impliquées dans le « verdissement » des flottes. Au fur et à mesure que les activités reprendront, nous continuerons à nous engager sur cette voie. Mais il ne faut pas exiger aujourd’hui d’entreprises déjà exsangues des investissements rapides qu’elles ne seront pas en capacité de faire à court terme ».

Diversification, le maître-mot

Parmi les enjeux pour l’avenir, il y a la diversification de la clientèle, des offres, plus globalement, des modèles économiques.

Par exemple, pour la clientèle, s’orienter vers davantage de proximité, des touristes plus nationaux ou locaux, un travail à mener avec les offices de tourisme (OT) et les comités régionaux du tourisme (CRT) pour accentuer la promotion. Mettre davantage en avant les atouts environnementaux du tourisme fluvial, que celui-ci est vertueux, écologique, constitue une autre priorité. Il en va de même pour sensibiliser encore davantage les collectivités locales sur l’intérêt des retombées économiques du tourisme fluvial sur les territoires, les emplois qu’il crée. Les collectivités ont un rôle à jouer pour susciter de nouvelles activités en lien et autour des voies d’eau (tourisme fluvestre). Certaines d’entre elles s’intéressent de plus en plus à leur fleuve ou canal ou se tournent de nouveau vers les voies d’eau, il faut en profiter.

Une autre piste est d’identifier des secteurs géographiques où pourraient se créer des activités touristiques fluviales nouvelles ou de (re)dynamiser certaines destinations. Il y a des perspectives de développement avec les Jeux olympiques à Paris en 2024 ou l’ouverture du canal Seine-Nord Europe en 2028 qui présente aussi une opportunité pour les activités touristiques fluviales.

« Notre objectif est de surmonter cette période critique en obtenant des mesures d’accompagnement tout en travaillant à des initiatives pour repartir sur des bases solides et avec des perspectives de développement ».

« La première fois que je travaille pour perdre un minimum »

« Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2020, nous avons eu 56 000 passagers soit 35 000 de moins qu’en 2019. Nous avons travaillé de début juin à courant octobre avec moins de passagers dans les bateaux pour respecter les règles sanitaires. Depuis 33 ans, c’est la première fois que je travaille pour perdre un minimum », détaille Michel Léger, dirigeant des Gabares Norbert, qui propose « des ballades de 55 minutes » sur la Dordogne à bord de deux bateaux de 48 places chacun. 

« Quand on est ouvert, on ne peut pas réduire le personnel à bord. Pour les 2 bateaux, ce sont 9 personnes qui travaillent 7 jours sur 7 et trois aux caisses. Tous les salariés ont fait le maximum ». Il souligne aussi « tous les efforts de soutien qui ont été faits au niveau de l’Etat », par exemple, l’activité partielle a été mise en place de mars à mai. La municipalité a réduit le prix de la location du quai.

Pour l’avenir, « la difficulté est l’absence de visibilité. Comment la crise sanitaire va évoluer ? En principe en novembre, il y a déjà des options des groupes de Belges, Allemands, Anglais pour la saison suivante. Là, il y a seulement des prises de contact, tout le monde est dans l’expectative ». Michel Léger dit « garder espoir, tout peut évoluer très vite. Les gens auront besoin de changer d’air »

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