La Cour des comptes a publié le 9 octobre 2018 un référé suite à une enquête réalisée sur le terminal multimodal du Havre pour les exercices 2008 à 2017. Ce document revient sur l’origine et le déroulement du projet rappelant que « les terminaux de Port 2000 ne sont pas accessibles directement de la Seine et souffrent d’une desserte insuffisante par les modes ferroviaire et fluvial. Pour y remédier, le port du Havre a décidé en 2008 la création d’un terminal multimodal ».
Pour la Cour des comptes, « le démarrage de l’activité du terminal le 22 juin 2015 s’est soldé par un échec immédiat (qui) a plusieurs causes : le manque de coordination entre le gestionnaire du terminal et celui de la navette ; le retard dans la mise en place des systèmes d’information ; le sous-calibrage des financements de LHTE. (…) L’activité du terminal a redémarré progressivement en décembre 2015. En 2017, il a traité 84000 boîtes (soit 143000 EVP), ce qui est insuffisant pour assurer l’équilibre économique de LHTE ».
Dans son référé, la Cour des comptes reproche au Grand port maritime du Havre (GPMH) « une opération lancée à la hâte, sans analyse préalable, un montage déséquilibré au détriment des intérêts publics, un bilan financier déséquilibré entre acteurs publics et privés ».
Des mesures à prendre pour assurer l’avenir du terminal
Elle détaille ensuite deux mesures à prendre pour assurer la pérennité du terminal multimodal. La première mesure est l’unification de la gestion du terminal multimodal et de la navette dont la séparation actuelle est « source d’inefficacité, chacun des deux exploitants cherchant à optimiser son intérêt économique au détriment de l’autre, le terminal souhaitant une augmentation du nombre de navettes alors que l’exploitant de la navette cherche pour sa part à en accroître le taux de remplissage ». Pour la Cour, « l’unification de la gestion des deux acteurs permettrait de rechercher un optimum opérationnel susceptible d’augmenter les volumes transportés tout en dégageant des gains de productivité ». Cette unification « suppose de mettre fin à la délégation de service public avec Normandie Rail Service (NRS) ainsi qu’à la convention d’occupation temporaire du domaine public avec LHTE et de procéder à un appel à concurrence en vue de l’attribution d’une concession de services portant sur l’exploitation de l’ensemble constitué par le terminal multimodal et la navette ». La deuxième mesure concerne la « nécessité d’améliorer la desserte ferroviaire du GPMH ».
Le projet de « chatière » mentionné
D’un point de vue plus global, la Cour des comptes tire de son enquête des « leçons pour la gouvernance des grands ports maritimes et la politique portuaire de l’Etat ». Pour les GPM, il s’agit de « la nécessité de renforcer les capacités de régulation des terminaux maritimes par les autorités portuaires ». A ce propos, la Cour relève : « Le terminal multimodal a montré la nécessité pour l’autorité portuaire de s’impliquer fortement pour le succès des projets stratégiques pour le port, les acteurs privés étant au demeurant en demande de son intervention pour assurer l’indispensable coordination entre eux. Mais la réforme portuaire a réduit les leviers d’action à disposition de l’autorité portuaire et a donné aux manutentionnaires un rôle important dans la réussite ou l’échec du port dont on mesure ici les limites. Les conventions de terminal entre les grands ports maritimes (GPM) et les manutentionnaires, instituées par la réforme portuaire de 2008, ne donnent à l’autorité portuaire que des moyens limités pour assurer la régulation des terminaux maritimes. Il convient de renforcer les outils juridiques à la disposition des GPM pour qu’ils puissent assumer leurs responsabilités ». L’autre leçon pour les GPM est « d’utiliser davantage des outils de gouvernance créés par la réforme portuaire de 2008 ».
Pour l’Etat, les leçons à tirer sont : « la nécessité d’une implication plus forte des tutelles » et « affirmer des priorités portuaires et les faire respecter ». Sur ce dernier point, la Cour des comptes avance que « deux dossiers vont constituer des tests de la capacité de l’Etat à définir une politique globale pour l’ensemble des GPM en affirmant des priorités d’investissement. Il s’agit de la réalisation de l’accès fluvial direct à Port 2000, via la chatière, investissement qui risque de fragiliser dans un premier temps le modèle économique du terminal multimodal : il s’agit également du projet de terminal à conteneurs qu’envisage le GPM Dunkerque (projet Cap 2020) ».
Au final, dans son référé, la Cour énonce cinq recommandations destinées à assurer la pérennité du terminal et à tirer les leçons de ce projet pour la gouvernance des GPM et la politique portuaire de l’État :
1/ Veiller à ce que l’exploitation du terminal multimodal et de la navette ferroviaire soit unifiée dans le cadre d’une concession de services,
2/ Poursuivre l’effort en faveur de la desserte ferroviaire du GPMH, notamment la réalisation de Serqueux-Gisors et l’amélioration des sillons entre le Havre et son hinterland,
3/ Renforcer les capacités de régulation des terminaux maritimes par l’autorité portuaire dans le cadre des conventions de terminal,
4/ Veiller à ce que, dans les grands ports maritimes, les dossiers à enjeu financier important soient soumis systématiquement au comité d’audit en amont de leur présentation au conseil de surveillance,
5/ Assister les GPM dans l’analyse juridique et financière des sujets complexes à fort enjeu financier, et ce dès le début des projets, et veiller au renforcement de la fonction juridique en leur sein.
Retrouvez l’intégralité du référé : https://www.ccomptes.fr/system/files/2018-10/20181009-refere-S2018-2282-terminal-multimodal-du-Havre.pdf
Les ministres François de Rugy et Elisabeth Borne ont répondu à la Cour des comptes. Ils indiquent : « Nous souhaitons souligner que le terminal multimodal du Havre, après des difficultés rencontrées dans sa phase de démarrage, répond désormais à son objectif et permet d’offrir à tous les opérateurs de transport combiné un accès performant et fiable aux terminaux à conteneurs, et notamment ceux de Port 2000. L’ensemble des acteurs doit continuer à se mobiliser pour poursuivre la montée en puissance du terminal et assurer sa pérennité. L’unification de l’exploitation du terminal et de la navette est un élément déterminant pour optimiser l’organisation du service de transport massifié qui commence à faire ses preuves ». Pour les deux ministres, « la montée en puissance du terminal permet d’améliorer la desserte ferroviaire du Havre qui constitue un enjeu majeur pour le port dans l’objectif d’élargir son hinterland ». La lettre poursuit en soulignant que « la modernisation de Serqueux-Gisors reste essentielle ». Elle indique « la facilitation des services » entreprise par le GPMH qui participe avec le GPM Marseille et Naviland Cargo au nouveau service ferroviaire à destination de la Suisse. Les deux ministres proposent une « révision du cadre juridique des convention de terminal en concession de service par l’adoption de mesures législatives, en concertation avec les autorités portuaires et les opérateurs du secteur ». Ils donnent une suite positive aux recommandations de la Cour concernant les comités d’audit et le renforcement du rôle des tutelles qui « doivent poursuivre leur accompagnement des GPM notamment sur les dossiers à forts enjeux comme elles le font sur les principaux projets d’investissements ». Retrouvez l’intégralité de la réponse du gouvernement : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-10/20181009-refere-S2018-2282-terminal-multimodal-du-Havre-rep-MTES.pdf