L’annonce a été faite le 27 juin 2019 par Didier Léandri, président du Comité des armateurs fluviaux (CAF) en clôture de l’assemblée générale de cette association : la représentation professionnelle des transporteurs fluviaux pourrait prendre un « nouveau départ » avec la création d’un nouvel organisme. « Nous souhaitons que se crée dans les prochaines semaines une fédération unique du transport fluvial, qui prenne la suite à la fois de la CNBA et du CAF » (voir notre article)
Si l’enjeu est important pour les armateurs fluviaux, il l’est encore bien davantage pour les artisans bateliers. En effet, la Chambre nationale de la batellerie artisanale (CNBA), établissement public créé en 1985 qui tenait lieu pour les bateliers à la fois de chambre des métiers et d’organisme de représentation professionnelle, n’existe plus depuis le 1er juillet 2019.
La loi de finance 2019 avait prévu sa suppression, en même temps que celle de la taxe payée par les bateliers, qui finançait son fonctionnement (voir notre article).
Les 648 entreprises adhérentes à la CNBA (chiffre 2018), dont environ la moitié en entreprise individuelle et l’autre en société, doivent donc s’inscrire auprès des chambres de métiers et de l’artisanat (voir notre article). Les frais d’immatriculation de 132 € par bateau sont pris en charge par la CNBA pour 2019, afin que les bateliers ne paient pas deux fois pour cette année. La chambre en a les moyens, puisqu’elle dispose d’une « cagnotte » d’environ 4 M€, constituée au fil des ans en ne dépensant par l’intégralité du produit de la taxe acquittée par les bateliers. Les sommes restantes, après liquidations de la CNBA, rejoindront les caisses de l’État.
Un historique compliqué
Les artisans bateliers n’auront donc plus une chambre de métier nationale dédiée à leur profession, chacun rejoignant une chambre régionale. Mais qu’en est-il de la représentation professionnelle ? Aucune association ne semble en mesure de prendre la relève, comme s’il n’y avait pas eu de prise de conscience de la fin pourtant annoncée de la CNBA. Le syndicat La Glissoire est en sommeil depuis plusieurs années. L’association Agir pour le fluvial, plus dynamique, compte certes des transporteurs fluviaux parmi ses adhérents, mais rassemble le secteur fluvial bien au-delà des seuls artisans bateliers.
D’où l’idée d’un rapprochement avec les armateurs fluviaux, qui possèdent déjà, avec le CAF, un outil de représentation professionnelle en ordre de marche. Pour autant, tous les bateliers ne sont pas enthousiasmés par une collaboration avec les armateurs fluviaux : deux mondes très différents, bien que fréquentant les mêmes voies d’eau. Et des rapports marqués par un historique compliqué, comme l’a montré le difficile rapprochement initié, il y a quelques années, entre le CAF et la CNBA sous la bannière des Transporteurs fluviaux de France (TFF), qui préfigurait peut-être ce qui pourrait maintenant se mettre en place.
« Le rapprochement avec les armateurs fluviaux est à l’étude jusqu’à la fin de l’été, avec un petit groupe de travail mis en place qui doit fonctionner jusqu’en septembre, explique un artisan batelier. Nous avons intérêt à travailler ensemble, car 90 % des enjeux sont les mêmes entre armateurs fluviaux et artisans, les 10 % restant concernant les canaux de petit gabarit. Mais certains bateliers ne veulent pas en entendre parler, et de l’interprofession encore moins ».
« Un saut dans l’inconnu »
La constitution d’une interprofession fluviale, engagé en juin 2018 sous l’égide du délégué interministériel au développement de l’axe Seine, le préfet François Philizot, a vocation à rassembler au-delà des transporteurs fluviaux, qu’ils soient armateurs industriels ou artisans indépendants. L’interprofession agrégerait l’ensemble des acteurs du secteur fluvial au sens le plus large : transporteurs, mai aussi chantiers navals, chargeurs, logisticiens, commissionnaires, courtiers, gestionnaires de ports et d’infrastructures, acteurs de la formation, assureurs, etc. Sa mise en place, prévue initialement pour le premier semestre 2019, a été repoussée à la fin de l’année 2019. Elle pourrait cependant prendre encore du retard si la représentation des artisans bateliers n’y était pas assurée.
« Nous avons réalisé un sondage, qui montre que 90 % des bateliers sont opposés à l’interprofession, car cela va leur coûter plus cher que la CNBA, avec un budget annuel estimé à 4 M€ contre 1,2 M€ pour la CNBA », confirme Michel Dourlent, artisan batelier et président de la CNBA de 2004 à 2019. Dans son dernier discours en tant que président de la CNBA, tenu le 22 juin 2019 à Conflans-Sainte-Honorine à l’occasion du 60e Pardon de la batellerie, Michel Dourlent affirmait : « La majorité des artisans bateliers n’identifie aucun établissement à même de représenter et d’engager légitimement les entreprises artisanales de transport fluvial. Pourtant, l’artisanat batelier, c’est plus de 60 % du transport fluvial de marchandises français. Et la décision du gouvernement de supprimer la CNBA s’apparente, pour les artisans bateliers, à un saut dans l’inconnu. La CNBA avait certes ses défauts, liés à son caractère à la fois administratif et professionnel, mais elle rassemblait la totalité des artisans bateliers français et dispensait des services adaptés à la situation si particulière des transporteurs fluviaux. Des missions qui ne pourront, dans leur ensemble, être repris par ses futurs successeurs qui ne maîtrisent pas toujours les spécificités du secteur. Les artisans bateliers sont une nouvelle fois condamnés à ne pouvoir compter que sur eux-mêmes ».