Plus intimes et souvent plus luxueuses que les paquebots de croisière naviguant sur les grands fleuves, les péniches-hôtel, après une présence discrète sur les petits canaux depuis des décennies, connaissent un fort développement, particulièrement en Bourgogne et sur le canal du Midi.
Un bateau de gabarit Freycinet, souvent ancien bateau de commerce reconverti pour accueillir et loger des passagers et les emmener à la découverte du terroir français en naviguant sur les canaux de petit gabarit : telle pourrait être la définition d’une péniche-hôtel. Ces bateaux, accueillant beaucoup moins personnes à leur bord que les paquebots de croisière fluviale, se distinguent par des services plus ciblés, et souvent une privatisation du bord. Ils connaissent depuis plusieurs années un véritable engouement. Selon VNF, « la filière des péniches-hôtel a connu en 2018 une année historique, avec 25 000 passagers et un élargissement de l’offre, portée à 97 bateaux », soit six bateaux supplémentaires par rapport à 2017, dont quatre pour la seule région Centre-Bourgogne.
Cette région, en effet, constitue encore aujourd’hui le bassin de navigation privilégié de ces péniches-hôtel, dont le développement a commencé en Bourgogne dans les années 1970, à destination d’une clientèle anglaise désireuse de découvrir les traditions gastronomiques et œnologiques de la région. Les péniches-hôtel ont ensuite conquis, dans les années 1980 et 1990, le canal du Midi, principalement dans sa partie Est entre Carcassonne et la Méditerranée, pour permettre aux touristes de découvrir le patrimoine fluvial très ancien de cette région, ses platanes aujourd’hui pour beaucoup disparus, mais aussi les villes traversées et l’arrière-pays.
« Il ne s’agissait pas forcément à l’origine d’un tourisme de luxe, toilettes partagés et lits superposés visaient plutôt une clientèle familiale, puis il y a eu une montée en gamme avec de gros efforts au niveau des cabines », explique Louisa Gronow, présidente de l’Union des péniches du canal du Midi (UPCM), qui propose, quant à elle, des croisières fluviales de luxe à bord de sa péniche-hôtel Enchanté. Ancien Freycinet coupé à 30 m et aménagé sur deux étages par un chantier belge, Enchanté et son équipage de cinq personnes (un capitaine, un matelot-chauffeur pour les expéditions à terre, un cuisinier et deux hôtesses) reçoit de fin mars à début novembre une clientèle anglo-saxonne pour des croisières all-inclusive entre Carcassonne et Narbonne.
« Historiquement, les péniches de croisière se sont développées autour de la clientèle anglo-saxonne, d’abord en Bourgogne, région qui a toujours fasciné les Anglais, rappelle Louisa Gronow. Mais c’est un choix de notre part de faire porter nos efforts marketing à destination des touristes anglophone, et de proposer un accueil bilingue. Certains collègues ont fait le choix d’une autre clientèle ».
Péniches de luxe et nouvelles destinations
Le marché est en effet en expansion, et les péniches-hôtel, à la clientèle au départ internationale, intéressent de plus en plus les Français. Logiquement, les propriétaires français de bateaux se multiplient, et les armateurs s’y intéressent également. L’Alsacien Croisieurope, par exemple, leader européen des croisières fluviales, n’a plus seulement le Rhône, la Seine et le Rhin à son catalogue français, mais propose aussi depuis quelques années, avec ses cinq péniches-hôtel, des croisières sur le canal de la Loire à destination de Briare, sur le canal de la Marne à destination d’Épernay, sur le canal de la Marne au Rhin à destination de Strasbourg, sur le canal de Provence à destination d’Arles, ou encore sur les canaux de Bourgogne… et même sur le canal Saint-Martin à Paris. Si les croisiéristes habitués des paquebots s’y intéressent, c’est que cela correspond à l’évolution du tourisme vers des croisières plus intimes, pour une clientèle aisée qui fuit la foule. Le monde du luxe s’intéresse aussi à ce marché : LVMH a ainsi racheté en 2018 le groupe d’hôtellerie de luxe Belmond (ex-Orient Express), qui exploite cinq péniches-hôtel de luxe en Bourgogne et sur le canal du Midi.
Le développement des péniches hôtel, qui présentent l’avantage par rapport aux paquebots fluviaux de pouvoir changer de bassin de navigation, utilisant le réseau Freycinet, se fait principalement sur ses deux régions d’origine, la Bourgogne et le Languedoc. Mais de nouvelles destinations, prisées de la clientèle étrangère, sont aussi en pointe, comme la Champagne et l’Alsace par exemple. Malgré l’essor des péniches-hôtel, les canaux sont loin d’être saturés pour ces bateaux, y compris le mythique canal du Midi que connaît bien Louisa Gronow : « Sur le grand bief, à l’ouest de Béziers et jusqu’à Carcassonne, les pénichettes louées sans permis sont nombreuses, attirées par le faible nombre d’écluses. Les bases de location sont bien regroupées sur ce secteur. Plus à l’ouest, entre Carcassonne et Toulouse, la fréquentation est bien moindre, ce qui conduit VNF à supprimer les éclusiers et à passer les écluses en automatique. C’est dommage, car les éclusiers arrivaient à nous écluser deux fois plus vite qu’en automatique. Surtout, les clients apprécient les rencontres avec les éclusiers, et les échanges qui vont avec. Cela peut néanmoins avoir un point positif, si cela conduit à rallonger les horaires de navigation et supprimer la pause de midi ».
Le grand bouleversement du canal du Midi
Le canal du Midi a connu un grand bouleversement avec l’abattage des platanes plantées le long de ses rives, qui participaient du charme du paysage : en dix ans, plus de la moitié des 42 000 platanes ont été abattus, atteint par le chancre coloré. Depuis 2011, un programme d’un coût de 220 M€, mis en œuvre par VNF, a permis de replanter plus de 10 000 arbres, dont un quart au cours du seul hiver 2018-2019. La petite taille des nouveaux arbres ne permet pas encore de retrouver l’ombrage caractéristique qui faisait l’image de marque du canal.
« L’arrachage est aujourd’hui terminé depuis deux hivers, mais il faudra des années avant que les nouveaux arbres atteignent la taille de ceux qui ont été abattus, constate Louisa Gronow. Mais l’abattage des arbres n’a pas été que négatif pour le paysage, puisque le tunnel de verdure a cédé la place à une vue magnifique, ouvrant des perspectives sur des clochers, des villages, des vignes… Aujourd’hui, tout cela est derrière nous, et les clients étrangers n’en parlent plus, alors que les platanes participaient à l’image très forte du canal du Midi à l’international ».
L’abattage des arbres a eu des conséquences négatives sur le canal, car leurs racines tenaient la berge, fragilisée depuis, et servaient souvent à fixer les amarres. Leur absence, et l’interdiction faite de s’amarrer aux racines des arbres restant, fait ressentir plus fortement le manque de points d’amarrage pour de courtes escales le long du canal. Or la demande augmente en la matière, tant pour les pénichettes de location que pour les péniches-hôtel. En effet, les loueurs ont souvent réduit les parcours proposés à leurs clients pour offrir une navigation plus détendue. Les péniches-hôtel, de même, ne naviguent souvent que trois ou quatre heures par jour, et non en continu tout au long de la journée comme cela se faisait davantage il y a encore quelques années. Peur de s’ennuyer si la navigation s’éternise, volonté de découverte de l’arrière-pays au cours d’excursion dans la logique du tourisme fluvestre, ou simple plaisir de s’arrêter pour déjeuner sur la berge, perdu en pleine nature ?