« Comment se passer des ressources fossiles pour transporter nos marchandises ? Quelles alternatives sont possibles dès aujourd’hui ? Comment les solutions techniques peuvent devenir des réalités économiques et logistiques ? ». Voici quelques-unes des questions auxquelles ont tenté de répondre les intervenants à la rencontre-débat organisée à Pont-à-Mousson en décembre 2019 par l’Observatoire régional du transport et de la logistique (ORT&L) Grand Est. Les alternatives à la dépendance actuelle au pétrole du secteur du transport de marchandise ont été passées en revue, avec des présentations de motorisations innovantes et une attention portée à tous les modes de transport ainsi qu’à la multimodalité. La centaine de personnes présentes à ce colloque, intitulé « Demain, quelles motorisations pour transporter nos marchandises ? », ont aussi pu assister à deux tables-rondes, l’une sur les moteurs de demain et le passage du diesel à l’électrique, l’autre sur la place des modes massifiés dans le contexte de la transition énergétique.
Changement climatique et qualité de l’air
La première intervention de la journée a été consacrée à ce qui induit la nécessité de la transition énergétique : le changement climatique. Sophie Roy, climatologue à Météo France, rappelle que la région Grand Est est particulièrement concernée par le réchauffement climatique, avec des températures d’ores et déjà en hausse de 1,5°C, alors que la moyenne mondiale du réchauffement n’est que de 1°C. À l’horizon 2050, selon le scénario envisagé d’une température mondiale en augmentation de 4°C, la région pourrait enregistrer des pics de température dépassant 55°C. « Les vagues de chaleur dans les climats futurs vont être très pénalisantes au quotidien et dans nos activités professionnelles », conclut Sophie Roy.
Après le climat, la qualité de l’air : Emmanuel Rivière, directeur délégué d’Atmo Grand Est, rappelle que deux habitants de la région sur trois, soit 3,5 millions de personnes, vivent dans des zones où le seuil défini par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour les particules fines est dépassé, ce qui occasionne 2 000 décès chaque année. La pollution de l’air, deuxième cause de mortalité en France, y a un coût global annuel de 100 milliards d’euros. Le transport routier, souligne Emmanuel Rivière, est à l’origine de 51 % des émissions de dioxyde d’azote, provenant à 96 % des moteurs diesel.
Gaz naturel, électricité sur batterie ou sur pile à hydrogène
Dès lors, quelle alternative opposer au moteur diesel, encore très majoritairement utilisé pour le transport de marchandises ? Olivier Jacquin, sénateur (PS) de Meurthe-et-Moselle, souligne « la nécessité d’aller très vite vers un changement de modes de transports ; et également cette perplexité face à la multitude de solutions et les freins nombreux, à commencer par le manque de solutions sur les infrastructures et le financement. Il n’y aura pas de solution unique, mais des bouquets de solutions ».
Nicolas Quéromès, ingénieur de recherche à l’université de Lorraine, en présente trois : le moteur au gaz naturel, le moteur électrique sur batterie et le moteur électrique sur pile à hydrogène. « C’est lorsqu’il est produit à partir de la méthanisation (biogaz) que le gaz naturel est particulièrement intéressant, indique-t-il. Sur un cycle de vie, un véhicule biogaz peut même être moins émetteur de CO2 qu’un véhicule électrique pénalisé par la fabrication de la batterie. » Dans le domaine de l’hydrogène, le « pôle véhicule du futur » mis en place dans le Grand Est participe à l’initiative Dinamhyse, lancée début 2019, qui regroupe l’ensemble de la filière hydrogène régionale.
L’hydrogène, dont l’utilisation apporte aux véhicules terrestres électrique l’autonomie que les batteries ne permettent pas, peut aussi être utilisé en fluvial, mode de transport pour lequel cet avantage prend encore plus d’importance. Jean-Luc Jacquot, directeur de CEA Tech Grand Est, conduit un projet de construction de péniches Freycinet pour le transport de conteneurs. Le bateau, qui pourrait naviguer à partir de 2023 avec comme premier utilisateur PSA, utilisera une pile à combustible à hydrogène pour charger les batteries de ses moteurs électriques. Il sera aussi autonome, ce qui aura pour effet de libérer de la place à bord pour les conteneurs, et d’accroître la compétitivité du fluvial en réduisant les coûts d’exploitation. Le transport fluvial de conteneurs sur le petit gabarit deviendrait ainsi quatre fois moins cher que la route.
Surcoût à l’équipement et économie à l’exploitation
Au départ, les matériels n’utilisant pas le diesel comme carburant nécessitent cependant un investissement plus important. Bertrand Collin, président de LTG Andreani qui utilise trois camions au gaz naturel (GNV), estime cela 1,5 fois plus cher à l’achat et 2 fois plus cher en entretien. Un surcoût compensé par des économies sur le poste carburant : « Au bilan, notre investissement depuis 3 ans sur ces 3 véhicules GNV s’avère rentable dès lors que l’usage est de plus de 10 000 km par mois. Le frein du développement de la flotte, c’est le réseau d’approvisionnement en GNV. » Un réseau qui s’étoffe avec 2 à 5 nouvelles stations chaque mois, venant s’ajouter aux 150 points de distribution de gaz aux camions déjà existant en France.
Surcoût à l’investissement, aussi, pour VFLI qui s’est équipé d’une locomotive Eurodual, matériel innovant conçu par le constructeur suisse Stadler. Sa particularité : elle peut circuler selon quatre modes d’alimentation différents : en diesel, en électrique 25 000 V alternatif, en électrique 1 500 V continu, ou encore en hybride diesel et électrique, pour apporter un surplus de puissance sur les voies équipées en 1 500 V. La locomotive, utilisée pour des transports de Nestlé Water, fait trois allers-retours par semaine entre Vittel et Arles en utilisant l’alimentation électrique sur les voies principales qui en sont équipées et le diesel pour les derniers kilomètres. Ce matériel présente une flexibilité bienvenue, qui évite deux écueils : faire tout le trajet en diesel alors que la plupart des voies sont électrifiées, ou procéder à une lente et coûteuse rupture de traction pour utiliser une locomotive diesel au départ et à l’arrivée, l’alimentation électrique n’équipant pas toujours les voies desservant les sites industriels ou logistiques. Une illustration de la nécessité de n’opposer ni les modes, ni les sources d’énergie, mais de l’intérêt de les associer pour favoriser la transition énergétique et le report modal.