À Nogent-sur-Seine, tout est prêt pour le grand gabarit. Les bateaux de 2 500 t sont attendus avec impatience, pour le transport de conteneurs mais surtout pour les vracs, au premier rang desquels les céréales. Le principal acteur portuaire nogentais est, en effet, le groupe agroalimentaire Soufflet, dont des silos et une malterie sont implantés en rive gauche de la Seine, à deux pas du centre-ville. Un second port a été créé en rive droite, le port de l’Aube, dont l’exploitation est confiée, depuis 2011, à l’Union nogentaise de manutention, émanation du groupe de transport routier Blanchet. Pourtant, c’est bien en rive gauche, sur le port Soufflet, que sont chargés et déchargés les conteneurs de la Société nogentaise de transport combiné (SNTC), dont le groupe céréalier est l’unique actionnaire.
La SNTC dispose de deux bateaux, affrétés auprès d’artisans. Le premier l’est par Marfret, et assure un aller-retour hebdomadaire jusqu’à Rouen. Le second l’est par Giocanti (groupe Blanchet) et va à Gennevilliers et Limay. Au cours de la campagne céréalière d’exportation 2019-2020, Soufflet a expédié 17 000 EVP, dont 47 % par voie d’eau au départ de Nogent-sur-Seine, et 11 % par train entre Valenton et Le Havre. Les conteneurs restant sont expédiés directement de Nogent au Havre par la route.
Au-delà de ses propres conteneurs, qui contiennent principalement du malt d’orge brassicole destiné à l’exportation, le groupe Soufflet est aussi commissionnaire, complétant les bateaux selon les besoins d’autres chargeurs. « Nous le faisions pour l’usine Michelin de Troyes, avec l’approvisionnement en matière première dans un sens et l’expédition de pneus dans l’autre. Ces flux sont passés sur la route, la logique du flux tendu détournant les industriels du fluvial », explique Lionel Le Maire, directeur des transports du groupe Soufflet.
Tonnage attendu en hausse
La mise à grand gabarit de la Seine entre Bray et Nogent va-t-elle permettre de reconquérir des trafics ? C’est le but, selon VNF, qui estime que le trafic fluvial à destination de Nogent, aujourd’hui légèrement supérieur à 2 Mt, pourrait atteindre 6 Mt en 2060 avec la mise à grand gabarit, mais plafonnera à 3,6 Mt si le projet ne se fait pas. Bray-Nogent a été inscrit, comme la mise au gabarit européen de l’Oise (Mageo) ou l’accès fluvial à Port 2000, parmi les aménagements annexes, côté français, du projet européen de liaison Seine-Escaut, dont le canal Seine-Nord sera le chantier le plus important. À ce titre, la mise à grand gabarit de Bray-Nogent, dont le coût est estimé à 343 M€, sera financé pour 40 % sur fonds européens.
Le calendrier du projet prévoit la tenue d’une enquête d’utilité publique avant la fin de l’année 2020, puis le début des travaux en 2024 pour une mise en service de la liaison à grand gabarit en 2027. Les dernières annonces ministérielles, repoussant la date de mise en service à 2030 ou 2032, accroissent l’impatience des Nogentais. « On attend avec beaucoup d’espoir le grand gabarit, car le chargement des bateaux à 2 500 t, contre 1 200 à 1 300 t aujourd’hui, va entraîner des gains de productivité significatifs. Une baisse de 20 % du coût de la tonne transportée rendra beaucoup plus attractif le transport fluvial, et nous permettra d’élargir l’hinterland au départ de Nogent, pour aller chercher plus loin les produits en vrac, voire en conteneurs », indique Lionel Le Maire.
Une productivité accrue pour le fluvial
Pour les transports de conteneurs cependant, il ne sera sans doute pas possible de doubler la capacité des bateaux, aujourd’hui limités à 58 EVP sur deux hauteurs. Pour les vracs en revanche, la compétitivité du fluvial devrait apporter davantage de céréales vers Rouen. « Pour les céréales de la région de Troyes, l’expédition vers Rouen pour l’exportation ou vers l’Allemagne ou le Benelux, via Metz, se fait en fonction de la qualité du produit, mais aussi de la demande du marché, qui change de mois en mois. Cela rend les anticipations difficiles, mais le grand gabarit à Nogent sera forcément favorable, et devrait nous permettre de maintenir et même de dépasser les 2 Mt actuellement exportées chaque année au départ de nos silos de Rouen. 20 % de productivité gagnée sur le transport terrestre, c’est énorme pour des produits principalement destinés à l’export sur un marché très concurrentiel à faible marge », précise Lionel Le Maire.
L’effet positif du grand gabarit sur les trafics fluviaux est aussi attendu sur les quais de l’autre port de Nogent, en rive droite de la Seine : le port de l’Aube. Les trafics y sont modestes. De juillet 2019 à juin 2020, y ont été déchargés 11 500 t de vracs non-alimentaires (bauxite, vermiculite), ainsi que 70 000 t de vracs alimentaires (principalement du soja destiné à l’usine Saipol). Des opérations de manutention ponctuelles ont aussi lieu pour des colis exceptionnels, comme ceux liés à l’entretien de la centrale nucléaire de Nogent. Au printemps, le remplacement de la turbine a donné lieu à un transport fluvial. Peu d’expéditions au départ du port de l’Aube, où l’on est loin des tonnages et du trafic de conteneurs annoncés lors de sa création. Selon Oleg Litvinenko, du groupe Blanchet : « Pour profiter du grand gabarit, les expéditions de vrac se passent surtout à Bray, où nous utilisons le quai municipal. À Nogent, nous recevons 700 t par voyage, sur des bateaux prévus pour 1 500 ou 2 000 t. Avec le passage au grand gabarit, nous pourrons charger jusqu’à 2 500 t à Nogent, ce qui va nous faciliter les choses. Nous ne serons plus obligés de transporter les équipes et les engins de manutention jusqu’à Bray. Nous pourrons alors développer tous les trafics à Nogent, et surtout les denrées alimentaires et les engrais ».
Fin de campagne active pour Soufflet
La campagne céréalière qui s’est achevée au 30 juin 2020 s’est inscrite dans la moyenne des campagnes précédentes pour Soufflet, qui a affrété 700 000 t à destination de Rouen, principalement pour ses propres silos mais aussi pour ceux de Senalia. La fin de campagne a été particulièrement intense, avec une forte demande à l’exportation en particulier d’avril à juin. De ce point de vue, la crise sanitaire a eu des conséquences positives pour l’activité d’exportation de céréales de Soufflet, comme l’explique Lionel Le Maire : « L’arrêt des chantiers de travaux publics pendant plusieurs semaines en région parisienne a libéré des capacités fluviales qui nous ont été très utiles car en mai 2020, nous avons expédié deux fois plus de céréales qu’en mai 2019. » Un recul d’activité a, en revanche, été constaté à partir de la fin du mois de mai sur les expéditions de conteneurs, qui concernent surtout du malt d’orge. Les diminutions de commande de malt, avec deux à trois mois de retard, ont suivi la baisse mondiale de consommation de bière.