Logistique BTP : le recours au bateau reste en chantier

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Un congrès sur la logistique du bâtiment en milieu urbain tenu par l’organisation néerlandaise du BTP a montré que le recours à la voie d’eau pour le transport de flux intéressant des chantiers de construction reste problématique. La volonté des villes de limiter les conséquences négatives du transport de minéraux et matériaux de construction est un levier majeur pour amener le BTP à opérer une transition logistique.

La relation du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) avec la voie d’eau continue à présenter un double visage. D’une part, les minéraux et matériaux de construction sont un des trafics prépondérants transportés par la navigation intérieure. En Belgique, par exemple, ils dominent les autres catégories de produits, avec une part d’environ 40 % dans le trafic fluvial tant wallon que flamand. D’autre part, le secteur fait toujours relativement peu usage de la voie navigable pour assurer l’approvisionnement direct de ses chantiers, où le poids lourd règne toujours en maître. Dans ce domaine, la multimodalité reste à construire.

Le potentiel sur ce dernier volet est pourtant énorme : la part du secteur de la construction dans les mouvements de poids lourds vers et dans les villes belges se situerait selon les estimations disponibles à 25 %, voire 30 %, du total. L’enjeu économique de cette logistique pour le secteur lui-même n’est pas moins appréciable : elle représenterait plus de 10 % du budget d’un chantier, avec des surcoûts importants liés aux difficultés dans la chaîne d’approvisionnement. De plus, ce trafic intense se retrouve de plus en plus dans le collimateur des villes désireuses de réduire les nuisances de ce va-et-vient incessant de poids lourds.

Une logistique urbaine à réinventer

Bouwend Nederland, l’organisation néerlandaise du BTP, a consacré à la mi-février 2020 un congrès sur la logistique du bâtiment en milieu urbain. L’événement était organisé en collaboration avec des instances comme la Fédération néerlandaises de transporteurs (TLN) et le gestionnaire flamand des voies navigables, De Vlaamse Waterweg.

Le congrès a reflété la situation existante. Dans la partie plénière, il n’a quasiment pas été question de la voie d’eau, même quand un responsable de la ville de Stockholm a expliqué l’approche logistique adoptée par la capitale suédoise dans la reconversion en zone d’habitation d’anciens docks dotés de quais parfaitement utilisables pour l’évacuation de terres et déblais ou pour l’acheminement de matériaux de construction.

Une table ronde consacrée plus spécifiquement aux possibilités offertes par le recours aux voies navigables a permis de mieux cerner le sujet. Plusieurs exemples cités avaient trait à des essais et projets qui datent déjà quelque peu (comme Distribouw en Flandre), ou à des cas connus de chaînes logistiques qui privilégient effectivement la navigation intérieure mais qui se situent, en fait, encore en amont de l’approvisionnement de chantiers de construction. Il s’agit alors souvent de transports de cargaisons homogènes d’un seul produit entre producteurs et distributeurs de matériaux de construction. Mais les exposés ont aussi permis de constater que la situation évolue.

Aux Pays-Bas, le projet « Amsterdam Vaart ! » a exploré comment les fameux canaux amstellodamois peuvent retrouver leur fonction première d’artère de transport, en particulier pour les matériaux de construction. Dans une ville qui veut parvenir à une logistique urbaine zéro émission d’ici 2025, la solution semble toute trouvée. Mais les 200 km de quais et bon nombre de ponts sont dans un état douteux. Les moyens de transport électriques envisagés restent à trouver, installer un point de transbordement n’est pas toujours évident, le surcoût par rapport au poids lourd constitue toujours un écueil économique et les mentalités de toutes les parties concernées doivent encore évoluer. Les neuf projets mis en place dans le cadre de ce projet se sont toutefois traduits par des gains appréciables en matière de réduction des émissions (-35 %) et du nombre de trajets effectués par poids lourd (-40 %).

En Belgique, De Vlaamse Waterweg entend lancer dans les mois à venir un appel à projets pour l’organisation d’un service fluvial régulier pour le transport de palettes et d’autres produits sur le canal maritime de Bruxelles. L’objectif est de combiner – en multipliant les « picks & drops » – des flux divers mais tous à haute rotation.

De son côté, l’opérateur multimodal Shipit a réalisé deux opérations importantes ces derniers mois. En septembre 2019, l’Oorderdam, bateau doté de sa propre grue, a acheminé d’un seul coup 1 000 tonnes de pierres pour le pavement de rues de Gand au terminal du groupe dans le port de Bruxelles, pour distribution sur commande et en juste à temps sur les chantiers du client concerné dans la ville. Un deuxième bateau a suivi en janvier 2020. Le trafic devrait prendre un caractère structurel, avec un volume prévu de 10 000 tonnes sur l’ensemble de l’année.

« Une première mondiale » a été réalisé avec le transport en deux temps et depuis deux fournisseurs différents des matériaux nécessaires pour la construction des murs intérieurs et extérieurs d’un même immeuble à appartements dans la capitale belge, cette fois via le Brussels Construction Consolidation Center (BCCC) au bassin Vergote. Les matériaux requis pour la finition feront, eux aussi, l’objet d’une consolidation pour une livraison par poids lourds sur le dernier kilomètre. « Avant, chaque palette parcourait de 65 à 130 km par la route. Aujourd’hui, entre 5 et 10 km », a déclaré Mark Goossenaerts, le dirigeant de Shipit.

Réglementations plus strictes

Ces réalisations prouvent le potentiel de la voie d’eau pour ce type de logistique. Pour Carl Verhamme, expert externe auprès de De Vlaamse Waterweg, les défis à relever restent importants : « Des avancées sont possibles pour des trafics ciblés dans des situations données. Mais il faut développer une vision cohérente et réaliste, sans nécessairement vouloir réinventer l’eau chaude. Chaque chantier doit faire l’objet d’une analyse spécifique, qui tient notamment compte du gabarit du réseau fluvial (tirant d’eau, tirant d’air…) et des réglementations propres à chaque ville. Le matériel flottant requis est souvent encore introuvable, surtout si on veut passer à une propulsion électrique. En outre, le modèle que pratique le secteur de la construction n’est pas encore adapté à la voie d’eau et le report modal requiert de la part du BTP un changement de mentalité. Le recours à des hubs de consolidation implique un surcoût qu’il faut intégrer dans la réflexion. A l’heure actuelle, si le chantier ne se trouve pas au bord de la voie eau, le point d’équilibre économique est extrêmement difficile à trouver ».

Carl Verhamme estime toutefois que des développements comme la navigation autonome vont ouvrir des avenues nouvelles à la logistique fluviale, dans la mesure où elle permettra de réduire les coûts en personnel. Mark Goossenaerts se dit lui aussi optimiste : « Un nombre croissant d’entrepreneurs réalise que la situation actuelle est intenable et tourne le regard vers la voie d’eau. Il reste des pas importants à faire, mais les mentalités évoluent ».

Carl Verhamme et Mark Goossenaerts se rejoignent pour estimer que la règlementation servira sans doute de levier de transition. Les normes imposées pour la délivrance de permis de construction, les conditions formulées dans les appels d’offres… peuvent influer sur les choix logistiques. Des villes comme Amsterdam, Bruxelles et Gand sont décidées à jouer cette carte pour stimuler le report modal. Ce sera alors aux acteurs sur le terrain de formuler la réponse économiquement la plus adaptée en intégrant ces nouveaux paramètres.

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