Avitaillé le 29 mai 2020 à Gennevilliers, le Sandre, automoteur de la Compagnie fluviale de transport (CFT, groupe Sogestran) est le premier bateau fluvial à utiliser l’Oleo100 comme carburant. Issu d’huile végétale, l’Oleo100 est un ester méthylique, obtenu par estérification d’huile de colza. Produit par Saipol (groupe Avril, également propriétaire de la marque Diester), il est transporté par voie fluviale et maritime depuis de nombreuses années. Saipol confie, en effet, chaque année plusieurs centaines de milliers de tonnes d’ester de colza à Sogestran pour des transports fluviaux dans le Nord et sur la Seine, ou pour du cabotage maritime en Manche et en Méditerranée. L’ester de colza de Saipol, acheminé vers les dépôts pétroliers, entre ainsi dans la composition du gasoil disponible à la pompe, en mélange à hauteur de 7 % dans le gasoil B7 par exemple.
Il était donc logique que la CFT soit le premier armement fluvial à utiliser l’Oleo100, agro-carburant déjà utilisé par 80 flottes de poids lourds : des transporteurs routiers de marchandises et des collectivités territoriales dont les flottes captives de transports en commun ne s’approvisionnent pas dans le réseau habituel de distribution de carburant.
Pas de modification des moteurs, seulement de la partie échappement
« Une réduction de 60 % des émissions de CO2 et jusqu’à 80 % des émissions de particules fines a pu être constatée sur les poids lourds routiers » passant du gasoil à l’Oleo100, indique Saipol. La réduction des émissions de particules fines, due à la nature même du carburant, est particulièrement recherchée pour les bateaux ayant une navigation en zone urbaine comme c’est le cas du Sandre, automoteur de 51 m effectuant des livraisons de ciment aux centrales à béton de la région parisienne. Quant à la réduction des émissions de CO2, elle n’est pas constatée à la sortie d’échappement du bateau, mais se calcule sur le cycle complet du carburant, la croissance des plantes utilisées pour la production de l’agro-carburant captant le CO2 atmosphérique. Notons cependant que, si ce type d’agro-carburant permet de réduire les émissions de CO2, leur utilisation reste contestée en raison des surfaces agricoles utilisées qui ne peuvent servir à la production de denrées alimentaires, ce qui fait augmenter le prix de ces dernières sur les marchés internationaux.
Le recours à l’Oleo100 s’inscrit pour la CFT dans une logique de transition énergétique de long terme de l’ensemble de sa flotte. « Beaucoup de technologies disponibles pour réduire notre empreinte environnementale nécessitent des investissements très importants et s’accompagnent d’incertitudes sur leur pérennité, explique Lénaïck Le Faou, responsable environnement du groupe Sogestran. Souhaitant expérimenter, nous nous engageons, d’un côté, dans l’hydrogène, avec la construction d’un pousseur sur le Rhône, et, de l’autre, Oleo100 nous permet, sans modification des moteurs thermiques, d’engager la transition d’une partie de notre flotte existante dans la réduction des émissions polluantes. Par ailleurs, nous restons actifs sur la rationalisation de la consommation, notamment via l’éco-conduite ».
Une étape intermédiaire sur le chemin de la décarbonation
L’expérimentation de l’Oleo100 nécessite tout de même quelques investissements, par exemple sur la partie échappement afin de mesurer les émissions de particules. L’utilisation de ce carburant à bord du Sandre, qui va durer six mois, a en effet pour but de vérifier l’incidence sur la consommation, sur les émissions et aussi sur l’entretien du moteur. Le Sandre, automoteur diesel-électrique, est doté de deux moteurs ayant chacun sa soute. Ce qui constitue une sécurité en navigation, puisqu’il peut naviguer sur un seul moteur, mais permettra aussi des comparaisons intéressantes entre les deux carburants utilisés, un seul moteur passant à l’Oleo100 tandis que l’autre continue à utiliser du gasoil.
L’approvisionnement en carburant du Sandre est prévu à Gennevilliers, une fois par mois. C’est par camion que sera acheminé l’Oleo100, puisqu’aucun réseau d’approvisionnement dédié au fluvial n’existe pour ce carburant sur la Seine, à la différence du gasoil ou, depuis peu, du GTL. Ce dernier carburant n’a pas été retenu par la CFT car ses avantages, incontestables sur les émissions de particules qu’il réduit quasiment à néant, ne sont pas énormes sur les émissions de CO2.
« L’objectif est de réduire l’empreinte environnementale du transport fluvial, et en particulier de trouver des étapes intermédiaires vers un transport entièrement décarboné, indique Steve Labeylie, responsable des relations institutionnelles du groupe Sogestran. De ce point de vue, l’Oleo100 est prometteur puisqu’il permet une réduction de 60 % des émission de CO2 du puits à la roue ou plutôt, en l’occurrence, du champ à l’hélice. Nous franchissons ainsi une étape majeure, d’autant plus facilement que ce carburant est utilisable tel quel sur tous nos moteurs si l’on en croit l’utilisation qui en est faite en transport routier. Nous devons encore voir s’il présente des contraintes d’utilisations particulières en fluvial, par exemple pour l’entretien des moteurs puisqu’il a une capacité détergente supérieure au gasoil, ou encore pour le stockage qui est plus long dans les soutes de nos bateaux que dans les réservoirs des camions ».
Au terme des six mois d’expérimentation, l’Oleo100 a-t-il vocation à se substituer au gasoil pour l’ensemble de la flotte ? Il y a, d’un côté, le surcoût de ce carburant qui pourrait être un frein, mais, de l’autre, une solution qui pourrait répondre aux exigences environnementales de certains clients de la voie d’eau, prêts à assumer le prix d’un transport moins polluant.