L’Eseve approvisionne Paris en carburant moins polluant

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Afin de réduire odeurs, fumées et émissions de particules et d’oxydes d’azote, 30 bateaux à passagers naviguant dans le bief parisien ont opté pour le GTL. C’est aussi le cas de quelques pousseurs, comme celui de Lafarge, approvisionnés en carburant par l’Eseve, avitailleur d’AS Energy.

Derrière la barge de 2 500 t, chargée de granulats et amarrée dans Paris au pied du pont Mirabeau, le long du quai de la centrale à béton Lafarge du port de Javel, on ne devine même pas le bateau. L’Eseve, avec ses 24 mètres, passe inaperçu. Il joue pourtant un rôle essentiel auprès des bateaux naviguant dans le bief de Paris, puisqu’il les approvisionne en carburant. Avec une particularité : ses cuves de 82 m³ ne contiennent pas du gazole, mais du GTL (gas to liquid), un carburant de synthèse issu du gaz naturel. Après s’être amarré à couple du Marsouin, le pousseur de manœuvre utilisé par Lafarge pour déplacer ses barges dans Paris, l’équipage de l’Eseve prépare la livraison du jour : 3 500 litres de GTL. Cela représente un mois de consommation pour les deux moteurs Caterpillar de 300 chevaux du pousseur, qui navigue uniquement dans Paris intramuros, du pont de Bercy au pont Mirabeau.

Avant le soutage, Younes, le second de l’Eseve, suit une procédure rigoureuse pour n’oublier aucune des consignes de sécurité. Contrôle de la capacité des cuves, prélèvement d’échantillons, branchement de la sonde anti-débordement… Le tuyau peut ensuite passer à bord du Marsouin et être connecté à sa cuve pour que l’opération de soutage commence. « Le GTL est plus agréable à manipuler que le gazole car, même si ça reste un hydrocarbure, l’odeur n’est pas désagréable, proche de la paraffine. On a aussi constaté la différence d’odeur au niveau des fumées d’échappement, car l’Eseve utilise le GTL pour sa propulsion », explique Younes.

Un constat partagé par Richard, marinier à bord du Marsouin : « On utilise le GTL depuis environ six mois, et, même si je ne suis pas expert, je constate bien qu’il y a moins de fumée à l’échappement ». Lafarge a en effet commencé depuis mi-décembre 2019 à utiliser le GTL en remplacement du gazole sur ce pousseur. Un essai pour voir les effets positifs ou négatifs de ce carburant sur les machines.

« Nous avions des doutes notamment sur la tenue des durites, car un moteur est conçu pour un certain type de carburant. Je suis souvent démarché pour des additifs améliorant la consommation et la pollution, mais ces produits détériorent les moteurs. Avec le GTL, ce ne semble pas être le cas jusqu’à présent », précise Thibault Poilleux, responsable d’exploitation de la marine fluviale de Lafarge.

Pour l’instant, Lafarge va donc pérenniser l’utilisation du GTL par ses bateaux du bief parisien, avant de généraliser éventuellement au reste de sa flotte. Des mesures à l’échappement vont aussi être faites sur le Marsouin, pour comparer les émissions du gazole et du GTL. Au niveau de la consommation, Lafarge n’a pas constaté de différence. L’utilisation du GTL par ce bateau ne sera que transitoire, car le Marsouin devra être équipé dès 2024 d’une pile à combustible à hydrogène. « La première transition, vers le GTL, s’est déroulée facilement car il n’y a rien eu à transformer ou à adapter. Nous n’avons même pas eu à vider nos cuves de gazole. La prochaine étape sera d’équiper le Marsouin de moteurs électriques sur groupe électrogène, mais l’objectif est bien de converger vers l’hydrogène. Quant à la navigation sur batterie, ce n’est pas envisageable vu les trajets effectués, les amplitudes horaires et le couple nécessaire pour pousser des barges de 2 500 t dans les conditions de navigation parisiennes », indique Thibault Poilleux.

Les avantages du GTL

Malgré un prix plus élevé, beaucoup d’opérateurs parisiens ont adopté le GTL. Si Batorama, à Strasbourg, a franchi le pas dès 2017, les principaux opérateurs des bateaux à passagers de Paris l’on fait depuis qu’AS Energy propose ce carburant sur la Seine, à l’été 2019. C’est le cas des Bateaux-mouches, des Bateaux parisiens, des Batobus et, pour les croisières fluviales, de Scylla et de Croisieurope. Au total, une trentaine de bateaux y sont passés. L’engouement du tourisme fluvial pour le GTL se comprend : issu du gaz naturel, ce carburant émet certes du CO2, n’est pas issu d’énergie renouvelable, mais ne présente pas les mêmes inconvénients que le gazole, rendu indésirable en ville par ses émissions de particules, d’oxydes d’azote et d’oxydes de soufre.

Côté marchandises, Lafarge n’est pas le seul transporteur fluvial à utiliser le GTL. Son concurrent Cemex, par exemple, l’utilise aussi pour son propre pousseur de manœuvre parisien, l’Émerillon, qu’il a annoncé vouloir remplacer par un pousseur électrique sur pile à combustible à hydrogène qui sera construit dans les prochaines années. Mais le recours au GTL reste encore très limité pour le transport de marchandises. « Pour les artisans, en particulier, il est difficile d’assumer le surcoût du GTL, qui est actuellement de 100 € par m³. Ce produit encore peu distribué subit des frais logistiques importants, mais cela s’améliorera si la filière se développe », précise Jérémy Le Bonhomme, directeur d’AS Energy.

Pour les livraisons de GTL dans Paris, AS Energy a fait le choix du bateau-­avitailleur. Ce qui induit un surcoût, les quantités livrées étant encore limitées. Mais c’est un choix logique, le fluvial se posant en alternative au transport routier dans la capitale. « Nous ne voulons pas travailler par camion, d’une part, parce que cela est interdit, d’autre part, parce que le bateau apporte des avantages pour l’environnement, avec le respect de la réglementation ADN, ainsi que des avantages opérationnels pour le client », continue Jérémy Le Bonhomme.

Le bateau avitailleur fournit en effet aux bateaux qu’il approvisionne en carburant des services supplémentaires, très appréciés des navigants : distribution d’eau douce et de l’huile en vrac, récupération des huiles de vidange, etc. Surtout, les horaires et modes de livraisons s’adaptent mieux aux besoins de bateaux approvisionnés, qui peuvent aussi remplir leurs cuves pendant les opérations de manutention. « Il n’y a pas d’horaire fixe, mais un planning établi selon les horaires des clients. Les livraisons de carburant se font généralement tôt le matin, avant qu’ils commencent à naviguer. On peut aussi les approvisionner pendant qu’ils naviguent, mais pas dans Paris où les ponts et les bateaux sont trop nombreux », souligne Younes, le second de l’Eseve.

Cette adaptation aux contraintes des bateaux est appréciée au sein de la flotte Lafarge, comme l’explique Thibault Poilleux : « La livraison de carburant par bateau nous apporte de la souplesse et de la flexibilité, car il se déplace exactement là où nous avons besoin de ses services. Cela nous permet de nous avitailler sans le moindre arrêt d’exploitation. Si nous avions recours à des livraisons de carburant par camion, nous devrions passer commande plus de 24 heures à l’avance. Or nous ne savons pas toujours où sera chaque bateau le lendemain ».

Le Marsouin a ainsi pu faire le plein de carburant alors qu’il était en attente au pied de la centrale à béton du quai de Javel. Les bateaux à passagers naviguant peu en cette fin du mois de juin 2020, aucune autre livraison de GTL n’est prévue pour la journée. L’Eseve peut donc retourner vers Gennevilliers, son port d’attache. Le bateau, en démarrant, n’émet aucun panache de fumée et n’agrémente pas les quais de l’odeur caractéristique du gazole.

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