Les transporteurs fluviaux de passagers s’engagent dans la transition énergétique

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Avec le recours au GTL, carburant de synthèse qui diminue les émissions polluantes, le transport fluvial de passagers dispose d’une solution de transition, avant que l’évolution attendue des techniques permette une navigation sur batterie et, à plus long terme, une autonomie accrue grâce à l’hydrogène. Le projet de loi énergie-climat, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 29 juin 2019, vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. Un objectif qui nécessite de profonds bouleversements pour la flotte fluviale, et vers lequel les opérateurs de transport de passagers ont, semble-t-il, un temps d’avance sur leurs collègues du transport fluvial de marchandises. La question, il est vrai, se pose avec davantage d’acuité pour les bateaux à passagers, à bord desquels les clients se trouvent en première ligne pour respirer les gaz d’échappement nocifs et malodorants. D’autant plus lorsque ces bateaux naviguent en centre-ville, comme c’est le cas pour les bateaux-promenade embarquant le plus de passagers, que ce soit à Paris, à Strasbourg ou ailleurs. Continuer à naviguer au gasoil nuirait à l’image du transport fluvial, à l’heure où des municipalités s’orientent vers le bannissement de ce carburant des centres-villes, et où les pics de pollution aux particules fines, aux oxydes d’azote ou de soufre se multiplient. Le « verdissement » de la flotte, cependant, ne se fait pas du jour au lendemain. La motorisation électrique, seule à même de n’émettre aucune pollution pendant la navigation, est déjà largement au point techniquement. Seule ombre au tableau, et elle est de taille : ce sont souvent des groupes électrogènes, fonctionnant au gasoil, qui fournissent à ces moteurs l’électricité dont ils ont besoin. Cette solution diesel-électrique est d’ailleurs de plus en plus largement répandue dans la flotte fluviale, même si cela concerne surtout les bateaux à passagers. Elle présente un avantage majeur dans le cadre de la transition vers des énergies décarbonées : celui de pouvoir remplacer, ultérieurement et sans modification majeure du bateau, les groupes diesel par une autre source d’électricité, par exemple, une batterie si cela fournit l’autonomie suffisante pour la navigation envisagée.

Batorama, pionnier du GTL…

Mais il existe une autre solution de substitution au diesel, moins polluant et directement utilisable à la place de ce carburant sans aucune modification du moteur ni des soutes : le Gas to Liquid (GTL), pour lequel un avitailleur fluvial est désormais en activité sur la Seine (voir page 16). Batorama, filiale du port de Strasbourg proposant dans cette ville des croisières-promenade, a été le premier armement fluvial français à l’utiliser, dès juin 2017. « Nous avons commencé avec un seul bateau, après nous être assuré auprès du motoriste que l’on pouvait utiliser ce carburant de façon transparente, sans aucun réglage du moteur, explique Yann Quiquandon, directeur général de Batorama. Trois mois après, convaincus par l’absence de fumée et d’odeur et la réduction du bruit, nous avons adopté ce carburant pour l’ensemble de notre flotte ».

Batorama dispose de cinq bateaux couverts de 133 places et quatre bateaux découverts de 144 places. Au total, la société transporte 800 000 passagers par an, avec pour principale proposition, une boucle d’une heure et demie entre les canaux du centre-ville, le Petite-France, la Neustadt (quartier impérial) et le Parlement européen. Batorama exploite un seul bateau électrique : construit en 2000, il fonctionne uniquement avec des batteries au plomb. En juillet 2019, un autre bateau électrique entre en service, mais il s’agit là d’un yacht transportant 11 personnes.

… Un choix de transition avant l’électricité

Le reste de la flotte est donc dotée de moteurs classiques, utilisant depuis deux ans le GTL. Mais ce carburant n’est, pour Batorama, qu’un choix de transition. Car depuis trois ans l’entreprise, soucieuse d’exemplarité environnementale du fait de son activité située en centre-ville, peaufine un plan de renouvellement complet de sa flotte, qui devrait intervenir progressivement d’ici 2026, année à partir de laquelle les bateaux thermiques seront totalement abandonnés. Le projet Caravelle consiste à construire 7 bateaux neufs de 25 m de long, en remplacement des 9 actuels. Sans perte de capacité, puisque les quatre bateaux découverts actuels ne sont utilisables que cinq mois dans l’année, alors que les nouveaux seront couvrables et découvrables à volonté. Ils seront dotés de sièges plus confortables, de wifi, de chargeurs USB, et proposeront une visite virtuelle des bâtiments aperçus pendant la navigation : « Tout pour améliorer l’expérience des clients », résume Yann Quiquandon, le directeur général de Batorama.

Point majeur du projet Caravelle, dont le coût est estimé à 20 M€ : des moteurs électriques pour les sept nouveaux bateaux. « Nous avons, pendant trois ans, fait beaucoup d’études et de comparaisons pour déterminer la solution à choisir, explique Yann Quiquandon. L’hydrogène constituerait la solution idéale sur le papier, mais il se heurte à trois contraintes : l’absence de filière d’approvisionnement ; le manque de maturité technique des piles à combustibles, dont on ne connaît pas précisément la durée de vie ; et enfin la réglementation fluviale, qui interdit tous les gaz sauf dérogation accordée par la CCNR, ce qui nous aurait fait perdre des années sur ce projet sans certitude d’aboutir. À terme, l’hydrogène est pourtant la solution sur laquelle il faudra miser, car c’est la seule qui associe autonomie de fonctionnement et absence d’émission polluante ».

Pour l’heure, c’est la solution électrique sur batterie qui a été retenue, avec une autonomie de 10 heures dans les conditions de courant les plus défavorables et un chargement uniquement lorsque les bateaux sont revenus à quai pour la nuit. Pour le dimensionnement des batteries, Batorama s’est fondé sur les près de 20 ans d’expérience acquise par la société dans ce domaine. Mais sur le bateau électrique de 23,5 m de long construit en 2000, tout le fond de la cale est tapissé de 3 tonnes de batteries au plomb. Les batteries des futurs bateaux seront beaucoup plus légères et compactes. Il est en outre prévu qu’elles soient remplacées, lorsque la technique le permettra, par des piles à hydrogènes, même s’il est difficile pour un architecte naval d’anticiper un tel changement sans connaître la future réglementation concernant l’hydrogène. La construction du prototype doit commencer début 2020, pour une mise en service 15 mois plus tard. Selon le retour d’expérience, le cahier des charges sera modifié pour la construction des six autres bateaux, dont le dernier doit naviguer au plus tard en 2026.

Les techniques évoluent vite

La mise en service par AS Energy de l’avitailleur fluvial Eseve sur la Seine, pour la distribution de GTL dans Paris, offre une nouvelle perspective aux transporteurs fluviaux. Le 28 juin 2019, Croisieurope a, pour la première fois, avitaillé un de ses paquebots fluviaux, le Botticelli, avec ce nouveau carburant. Le croisiériste a décidé de l’utiliser désormais pour tous ses paquebots fluviaux naviguant en Seine, ce qui représente un volume de carburant conséquent pour AS Energy et en fait un de ses principaux clients pour le GTL (voir page 16).

Parmi les opérateurs tout aussi enthousiastes figurent la Compagnie des Bateaux Mouches, qui avait expérimenté l’utilisation du GTL pour ses bateaux en novembre 2018. La P-dg de la compagnie, Charlotte Bruel, évoque d’autres « projets en cours, en matière de motorisation, utilisant le gaz liquide ou l’hydrogène. Nous avons eu les accords des institutions concernées. Reste à voir comment les mettre en application, car réduire la pollution à Paris n’aurait plus de sens si ça se faisait au détriment de l’environnement ailleurs dans le monde. Et, évidemment, trouver le financement ».

Le groupe Sodexo, qui exploite avec les Bateaux parisiens la plus grande flotte de bateaux-promenade dans Paris, et opère également le service de transport touristique Batobus, avec 9 escales dans Paris, a décidé pour ces derniers d’utiliser désormais le GTL. « Le passage au GTL est le fruit d’une réflexion globale engagée depuis de nombreuses années pour aller plus loin dans notre action en faveur de l’environnement, explique le directeur général adjoint, Arnaud Daniel. Toute notre flotte a été refaite entre 2010 et 2017. Parmi les 21 unités des Bateaux parisiens et les 8 des Batobus, 70 % sont en diesel-électrique, les 30 % restant étant les bateaux-promenade qui naviguent le moins. » Une réflexion est aussi envisagée par le groupe, pour évoluer encore vers des énergies plus propres. Les pistes explorées vont des batteries électriques à la pile à hydrogène, en passant par d'autres carburants plus propres. « L’hydrogène est une alternative prometteuse, mais il s’agit encore d’une technologie trop jeune et les investissements à prévoir sont colossaux. Pour l’instant, les Batobus utilisent le GTL, et ce sera le cas de l’ensemble de notre flotte en 2021. Dans un deuxième temps, c’est-à-dire avant 2024, la technologie retenue, qui sera sans doute électrique-hybride, c’est-à-dire alliant batterie et groupe, sera implantée en priorité sur les Batobus, avant de l’être au reste de la flotte. Nous commençons par les Batobus car ce sont les plus exigeants : ces bateaux naviguent tous les jours de l’année, de 10 h à minuit. La technologie qui leur conviendra s’appliquera d’autant plus facilement à nos bateaux-restaurant, qui ne naviguent que le temps d’un repas ».

Les Vedettes de Paris complètent, avec les Bateaux parisiens et les Bateaux Mouches, le trio de tête des bateaux-promenade dans Paris. La société, équipée de 5 bateaux de 250 places, transporte environ 800 000 passagers par an sur la Seine, et s’est équipée de trois bateaux neufs ces cinq dernières années. Le gros investissement en cours concerne deux pontons, fabriqués en Belgique, qui seront livrés en 2019 et en 2020 en remplacement de celui actuellement utilisé (voir page 44). Les Vedettes de Paris sont aussi intéressées par le GTL : « C’est une bonne solution de verdissement de la flotte pour les quelques années à venir, en attendant une nouvelle technologie, souligne Frédéric Avierinos, ancien directeur général, aujourd’hui conseiller du président. Le diesel-électrique a déjà permis de réduire de 30 % la consommation de carburant, mais on sait que le diesel est condamné et on doit penser à un autre mode de propulsion. Le tout-électrique est prématuré pour des bateaux comme les nôtres, qui naviguent beaucoup, car cela nécessiterait un parc de batterie considérable. Mais les techniques évoluent vite. Le diesel-électrique permet d’aller vers l’hybride, le groupe prenant le relais quand les batteries sont vides. Le gaz naturel est aujourd’hui interdit pour le transport fluvial de passagers, même si des dérogations sont possibles. Quant à l’hydrogène, la réglementation n’existe pas encore pour son stockage et son transport, sans compter que les piles à combustible d’une taille suffisante pour nos bateaux restent à développer. Bref, la filière n’est pas encore en place ».

GTL sur les lacs savoyards

Les fleuves et canaux ne sont pas les seules voies d’eau intérieures à voir les bateaux adopter le GTL. C’est aussi le cas sur les lacs du Bourget et d’Annecy, où 11 bateaux utilisent ce carburant depuis avril 2019. « C’est un impact financier réduit, avec 3 centimes supplémentaire par litre, pour un premier pas vers une propulsion plus propre », souligne Philippe Gausset, qui préside la Compagnie des bateaux du lac du Bourget depuis neuf ans. Il y exploite, depuis Aix-les-Bains, trois bateaux-restaurant et trois bateaux-promenade de 75 places, transportant 90 000 personnes par an. Outre les promenades sur le lac, un bateau a été entièrement rénové et spécialement aménagé pour le transport de vélo. Il fait, depuis mai 2019, la navette d’un bout à l’autre du lac du Bourget, en particulier pour les cyclistes qui rejoignent, au nord du lac, le canal de Savières qui le fait communiquer avec le Rhône. Une alternative au contournement du lac, dont les routes sont dangereuses, pour les cyclistes souhaitant rejoindre la véloroute Via Rhôna depuis la Savoie.

Depuis mars 2019, Philippe Gausset est également président de la Compagnie des bateaux du lac d’Annecy, rachetée par le fonds Tourisme Participations, qu’il préside. Un bateau-restaurant de 450 places et trois bateaux-promenade de 200 places permettent à la société de transporter 170 000 passagers par an sur le lac d’Annecy. Cette flotte utilise désormais aussi le GTL, de même que le nouveau bateau de 170 places, L’Amiral, qui sera inauguré à l’automne 2019. Destiné à faire la navette entre Annecy, au nord du lac, et Dousssard, à l’extrémité sud, ce bateau de 20 mètres de long et d’un coût de 1,8 million d’euros a été éco-conçu par l’architecte naval Éric Jean : carène profilée en aluminium, peinture à base d’eau sans solvant… et réseaux électrique léger, alors qu’il s’agit d’une propulsion hybride-électrique, sur batterie lithium et groupe fonctionnant au GTL. « Un bateau entièrement électrique, ne fonctionnant que sur batterie, ne serait pas adapté aux limites de vitesses, qui sont bien supérieures à celles du fluvial : 25 km/h sur le lac du Bourget, et 50 km/h sur le lac d’Annecy, souligne Philippe Gausset. Or l’activité de navette suppose une vitesse élevée et des rotations rapides, donc sans interruption pour recharger les batteries ».

Pour le bateau-navette transportant des vélos sur le lac du Bourget, entièrement réaménagé cette année, une nouvelle motorisation électrique avait été envisagée, abandonnée pour la même raison. Une solution hydrogène avait aussi été étudiée, avant d’être, elle aussi, mise à l’écart. À cause du coût, dix fois supérieur à celui d’une motorisation thermique, mais aussi en raison du délai de 48 mois nécessaire pour obtenir une autorisation administrative : « Quatre ans de délai, ça tue tout projet, résume Philippe Gausset. Surtout pour une petite entreprise qui ne peut se permettre d’investir des centaines de milliers d’euros en études, sans être sûr d’obtenir une dérogation à la fin ».

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