«Il y a un grand nombre de chantiers numériques autour de la voie d’eau, car le projet stratégique de VNF, dont l’élaboration est en cours et doit s’achever à la fin de l’année, est un véritable projet de modernisation de l’établissement », indique Benoît Dufumier, directeur général délégué de VNF. L’exploitation à distance des écluses de grand gabarit en fait partie. Sur le canal du Nord, une écluse sur deux est déjà exploitée en télé-conduite. L’éclusier présent à une écluse manœuvre aussi, à distance, l’écluse suivante. Les sept écluses de la Petite-Seine, en amont de Montereau-Fault-Yonne, sont exploitées à distance depuis février 2017 depuis le centre de télé-conduite de Mouy-sur-Seine, qui devrait bientôt aussi commander les écluses de l’Yonne.
C’est ce schéma qui va être utilisé pour la télé-conduite de l’ensemble des écluses de grand gabarit de la direction territoriale Nord-Pas-de-Calais de VNF, avec deux centres d’exploitation : un centre principal à Waziers, près de Douai, et un secondaire à Valenciennes. Outre les écluses de grand gabarit existantes en Nord-Pas-de-Calais, déjà très largement automatisées, huit ouvrages du canal Seine-Nord seront aussi exploités à distances, depuis ces mêmes centres. Il s’agit des cinq écluses à grand gabarit du futur canal, de l’écluse de petit gabarit prévue pour la connexion du canal Seine-Nord avec la Somme, de l’alternat sur le pont-canal, ainsi que du bassin réservoir prévu pour l’alimentation en eau et la gestion hydraulique.
Offre de services améliorée
Le projet de télé-conduite des écluses du Nord-Pas-de-Calais est engagé depuis plusieurs années, et devrait être achevé en 2025. Pour assurer l’exploitation à distance des 17 écluses de grand gabarit, dont trois écluses doubles, un investissement de 34 millions d’euros (hors bâtiments) a été nécessaire, dont 24 millions d’euros pour l’automatisation, la commande et le contrôle, et 6 millions d’euros pour le déploiement d’un réseau de communication à haut débit, basé sur la fibre optique. Sont concernées les écluses de l’Escaut, de la Deûle, de la Sensée, de la Lys, ainsi que celles du canal aboutissant au port de Dunkerque. L’écluse de Palluel, qui commande l’accès au canal du Nord, sera aussi télé-conduite.
À Waziers et Valenciennes, les centres d’exploitation à distance des écluses sont déjà construits ; ils doivent encore être équipés des pupitres qui seront utilisés par les télé-éclusiers. Chaque centre pourra surveiller et manœuvrer à distance n’importe quelle écluse depuis l’Oise jusqu’à la frontière belge, l’affectation des ouvrages à chaque agent se faisant selon le trafic. Ces centres assureront à la fois la télé-conduite des écluses et la gestion du trafic, mais aussi la diffusion des avis à la batellerie : toutes les informations aux usagers des voies d’eau y seront centralisées, de même que la remontée des problématiques identifiées localement et le déclenchement de l’intervention des équipes de maintenance.
« Waziers sera un des plus gros centres de télé-conduite en France, car ceux du Rhône ne pilotent pas autant d’ouvrages. L’objectif est d’améliorer la compétitivité du fluvial en proposant une meilleure offre de services. Aujourd’hui, les écluses ferment à 20 h 30, avec un fonctionnement possible à la demande jusqu’à minuit. Demain, nous pourrons nous adapter plus facilement à la demande des chargeurs », explique Luc Feret, qui assure par intérim la direction territoriale Nord-Pas-de-Calais de VNF. En effet, avec la télé-conduite, chaque agent peut exploiter deux écluses à la fois, ou en exploiter une et en surveiller plusieurs. Ainsi, il sera possible d’autoriser la navigation de nuit d’un bateau isolé, avec un nombre réduit d’agents et non avec un éclusier par écluse.
Le projet répond donc à une nécessaire souplesse d’exploitation. « C’est un sujet technique, mais aussi un sujet d’organisation et un sujet social. Nous avons des éclusiers qui travaillent de façon isolée et dont les conditions de travail seront améliorées. Ils vont intégrer une équipe, et changeront de métier pour devenir opérateur de télé-conduite. La pyramide des âges de nos effectifs indique que 30 à 50 % des éclusiers sont susceptibles de prendre leur retraite entre 2023 et 2025. Centraliser la gestion des écluses permettra d’optimiser l’exploitation à effectifs constants. Et la montée progressive du dispositif nous laissera le temps d’embaucher et de former de nouveaux agents », ajoute Luc Feret.
La formation sera aussi nécessaire pour les agents déjà en poste qui, affectés à une écluse précise, connaissent très bien son fonctionnement. Chaque opérateur devra donc faire des visites et des manœuvres sur site, pour connaître toutes les écluses du réseau. Pour la préparation de l’exploitation à distance des écluses, les équipes de VNF, qui sont secondées par Egis comme assistant maîtrise d’ouvrage et par Setec et CNR comme maîtres d’œuvre, sont allé voir la façon dont la télé-conduite est menée sur le Rhône, en Allemagne, en Belgique et sur les canaux de la ville de Paris. VNF profite de cette expérience pour déterminer, sur tout le réseau à grand gabarit du Nord-Pas-de-Calais, le nombre de caméras à installer par écluse ou l’ergonomie du pupitre de commande.
Les études techniques se poursuivent jusqu’au début de l’année 2021. Les travaux débuteront en 2022, à commencer par le déploiement de la fibre optique. Fin 2022 ou début 2023, les premières écluses du Douaisis seront testées en télé-conduite. Puis la mise en service se fera progressivement jusqu’en 2025.
La fibre optique, un pré-requis
Sur le petit gabarit, ce n’est pas la télé-conduite mais l’automatisation des écluses qui est prévue là où ce n’est pas encore le cas, ainsi qu’une évolution vers la supervision à distance, déjà effective sur la Sarre depuis 2019. Une écluse automatique, opérée par l’usager, pourra ainsi être redémarrée à distance en cas de problème, alors qu’à présent elle s’immobilise en attendant qu’un agent se déplace pour intervenir.
La gestion hydraulique à distance doit aussi se généraliser. Les prises d’eau peuvent encore être manuelles. D’autres sont mécanisées. La majorité, soit 80 %, est automatisée, ce qui rend plus facile leur exploitation à distance. Le programme AGHYRE (Application pour la gestion hydraulique et la ressource en eau) vise à instrumenter l’ensemble des prises d’eau, pour connaître en temps réel les débits et les quantités prélevées. « Le déploiement de fibre optique est un prérequis pour déployer la télé-conduite des écluses et des prises d’eau, les caméras, notamment, exigeant un débit de données élevé », précise Benoît Dufumier.
VNF s’intéresse aussi de près aux objets connectés pour la maintenance de ses ouvrages. Par exemple avec des capteurs d’activité pour connaître le niveau de sollicitation d’une écluse et anticiper sa maintenance. Toujours dans le domaine de l’Internet des objets, le projet FluvIoT prévoit des capteurs pour les barges, qui ne sont pas équipées d’AIS, afin de mieux gérer les places à quai. Une expérimentation de six mois va être lancée sur la Seine en septembre 2020, sur cinq sites identifiés en lien avec les chantiers du Grand Paris, dont le quai des Champs-Élysées.